Alors que le pays est confronté à de multiples difficultés, la classe politique, à de rares exceptions, se fait remarquer par un étrange silence. Par peur ou par calcul tactique, les partis, tout particulièrement ceux du pouvoir, sont confinés dans une posture attentiste. C'est un silence assourdissant. Alors que le pays fait face à d'immenses difficultés doublées d'enjeux cruciaux tant au niveau national que régional et que l'actualité nationale foisonne d'événements, la classe politique dans sa globalité reste curieusement aphone. Elle a comme perdu la voix et peut-être la voie. À l'exception de quelques sorties sporadiques de quelques partis politiques, la plupart des acteurs sont en congé. Autrement dit, ils assurent le service minimum dans une conjoncture politique exceptionnelle réclamant un déploiement soutenu. Pour pallier cet immobilisme mortifère, certains chefs de partis tentent, tant bien que mal, d'occuper le terrain... virtuel des réseaux sociaux, en commentant des faits se déroulant dans la vraie vie ou en répercutant communiqués et activités organiques de leurs partis. N'était ce ténu lien virtuel, l'on peut dire que les partis sont quasiment coupés de la population. Une césure qui fait certainement le bonheur du gouvernement et des tenants du pouvoir qui, débarrassés de la contradiction portée par les voix discordantes, jouent presque en solo et mènent sans encombre et comme bon leur semble, leur feuille de route. Il est vrai que les partis dits d'opposition démocratique peuvent opposer l'argument de la politique du durcissement adoptée à leur égard par le régime au lendemain de la présidentielle de 2019, voire bien avant, pour expliquer le peu d'activités politiques menées sur le terrain. En effet, un parti comme le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) s'est souvent plaint d'un black-out médiatique sur ses actions mais aussi du refus des autorités à lui accorder des salles pour y mener des activités partisanes. Bien plus, il s'est même attiré les foudres du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales pour le simple fait d'avoir mis son siège national à la disposition des partis et des personnalités activant sous la bannière du Pacte de l'alternative démocratique (PAD). Son président, Mohcine Belabbas, a été placé, il y a quelques semaines, sous contrôle judiciaire en représailles, disaient des cadres de son parti, de son opposition au régime en place. Pis encore, le coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), Fethi Ghares, est incarcéré depuis juin 2021 pour offense au chef de l'Etat. Et pas moins de deux organisations proches du courant démocratique et parties prenantes des forces du PAD, le Parti socialiste des travailleurs (PST) et l'association Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), ont fait l'objet d'une dissolution pure et simple à la suite d'une action en justice intentée à leur encontre par le ministère de l'Intérieur. Quant à l'Union pour le changement et le progrès (UCP) de Zoubida Assoul, elle a échappé de peu à ce funeste sort. Ces vents contraires, bien réels au demeurant, expliquent-ils à eux seuls cette aphasie des partis démocrates ? Certainement pas. D'autres raisons doivent certainement être pour quelque chose dans cette forme de paralysie d'actions et d'appauvrissement conceptuel qui ont gagné des partis qui, il y a moins d'une décennie, étaient des "machines de guerre" et de véritables forces de propositions. Les partis du pouvoir comme le FLN, le RND ou encore le Front El-Moustakbel, ne sont pas logés à meilleure enseigne. Objectivement non soumis aux pressions politiques, ils ne se distinguent pas moins par un silence... assourdissant. La peur de l'article 87bis Alors qu'ils sont censés — c'est ce qu'ils faisaient par le passé — accompagner avec vacarme la politique du gouvernement dont une bonne partie des membres est issue de leurs rangs, ces partis sont peu présents sur le terrain. Les dernières mesures prises par les autorités en faveur des travailleurs (baisse de l'IRG et la révision à la hausse du point indiciaire) ou des chômeurs (l'augmentation de l'allocation chômage en faveur des jeunes décidée par le président Tebboune en août 2021) auraient pu constituer une opportunité pour ces formations politiques de se rapprocher davantage des citoyens pour leur "vendre" ces "acquis sociaux" et faire en sorte que le gouvernement qu'ils sont censés soutenir puisse engranger des dividendes politiques. Il n'en fut rien ! L'expectative, même. C'est comme s'ils avaient perdu leur boussole et qu'ils ne savent plus sur quel pied danser. Une partie quelconque leur a-t-elle enjoint de "rengainer leur arme" et de "faire le mort" ? Attendent-ils des instructions qui ne viennent pas ? Echaudés par les précédents des anciens patrons du FLN et du RND, à savoir Mouad Bouchareb et Ahmed Ouyahia, qui étaient à fond la caisse avec les Bouteflika avant de finir en prison, sont-ils paralysés par la peur au point de ne rien entreprendre ? Difficile de le savoir, mais les faits sont là : les partis proches du pouvoir se sont inscrits aux abonnés absents au moment où ce même pouvoir, aux prises avec une situation économique et sanitaire difficile, a le plus besoin d'eux. Quant aux partis islamistes, manifestement en perte de vitesse, ils semblent faire délibérément profil bas dans cette période où le paysage politique est pour le moins incertain. Comment expliquer cette léthargie ? De l'avis du politologue Mohamed Hennad, c'est la conséquence de "la gestion du pays qui n'est plus politique, mais plus que jamais sécuritaire, comme l'illustrent si bien l'article 87 bis du code pénal et les restrictions draconiennes, mais ridicules, imposées à l'activité politique depuis l'élection présidentielle". Mais si la responsabilité du pouvoir est pour beaucoup dans ce silence politique, M. Hennad évoque d'autres raisons. "Nos partis politiques sont devenus aphones, justement au moment où la société algérienne connaît de sérieux problèmes, non seulement sociopolitiques, mais aussi moraux et peut-être surtout !", déplore-t-il. Circonstance atténuante, il se dit comprendre la peur "la peur des partis pour leur existence". Pour Mohamed Hennad, cette situation peut comporter paradoxalement quelque chose de positif. "À quelque chose malheur est bon, car l'épreuve devrait pousser nos partis politiques à refaire leurs classes à la lumière du Hirak et du processus électoral, invraisemblable, que le pays a connu depuis la démission du président déchu", espère-t-il. En définitive, les cadres partisans traditionnels, toutes tendances confondues, semblent avoir atteint leurs limites de fonctionnement et ont plus que jamais besoin de se réinventer et de se donner de nouveaux moyens d'action pour mieux se redéployer et se remettre sérieusement en service.