Soixante-cinq ans après son assassinat dans sa cellule, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957, par les hommes du sinistre Aussaresses qui a fini par avouer le forfait, le souvenir de Larbi Ben M'hidi reste intact chez les Algériens qui continuent de vouer un grand respect à ce révolutionnaire hors pair. "Jetez la révolution dans la rue et le peuple s'en emparera." Cette phrase culte, léguée à la postérité par le héros national Larbi Ben M'hidi, résume à elle seule la personnalité fascinante de cette figure emblématique de la Révolution algérienne : un révolutionnaire quasi mystique et pur, qui avait une foi absolue qui confinait à l'angélisme. Militant au tempérament bien trempé, il avait la conviction bien chevillée sur l'issue immanquablement heureuse de la Guerre de Libération nationale : la victoire. "Vous avez le passé et nous l'avenir", avait-il lancé, plein de confiance, aux militaires français, au lendemain de son arrestation. "Les débats du CCE ce jour-là avaient pris un tour passionné. Si Larbi, nerveusement, sans s'en rendre compte, tailladait la table avec un petit canif. La réunion terminée, une fois les membres du CCE partis, je poussais la curiosité de voir ce qu'il avait dessiné. Il avait gravé dans la table en bois de chêne, réputé pour sa dureté, la phrase suivante : 'L'Algérie libre vivra !', des mots qui témoignaient de sa passion patriotique", a écrit cette autre grande figure de la Guerre de Libération nationale et deuxième président du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), Youcef Benkhedda, dans son ouvrage Abane-Ben M'hidi : leur apport à la Révolution algérienne. Mieux, Ben M'hidi était un nationaliste qui croyait dur comme fer que sans l'unité du peuple, la victoire sur le système colonial resterait un vœu pieux. "Pour Ben M'hidi comme pour Abane, l'indépendance demeurerait une chimère sans l'unité effective du peuple. Tous les soulèvements et autres mouvements de résistance contre le système colonial n'avaient-ils pas été une succession d'échecs, y compris du temps d'Abdelkader, et cela, faute d'unité dans le combat collectif et faute de direction nationale ? La grande leçon de l'occupation coloniale de l'Algérie par la France ne réside-t-elle pas dans l'incapacité des Algériens d'opposer un front sans fissures à l'adversaire ? Seul le FLN, un siècle plus tard, saura cimenter cette unité des rangs et des objectifs et l'inscrire génialement dans une logique de victoire inéluctable", a témoigné le même Benkhedda. "Ils partageaient (Abane et Ben M'hidi, ndlr) avec une impérieuse ferveur l'impératif de l'unité patriotique du peuple algérien", a-t-il insisté. Preuve de l'esprit nationaliste qui animait Larbi Ben M'hidi, il avait fait une bonne partie de son combat à l'ouest du pays avant d'être désigné à la tête de la Wilaya V, l'Oranie, au déclenchement de la Guerre de Libération nationale, lui qui était pourtant né en pays chaoui, à Aïn M'lila plus précisément. Mieux, en algérianiste intransigeant, il s'était élevé contre toute immixtion étrangère dans le cours de la Révolution algérienne. Il n'avait d'ailleurs pas hésité à dénoncer le choix porté par le patron des Services égyptiens de l'époque, Fethi Dib, sur Ahmed Ben Bella pour en faire presque le seul interlocuteur du président Nasser. C'étaient certainement ce patriotisme intransigeant, son statut d'historique, sa sagesse et sa personnalité consensuelle qui avaient amené ses pairs à lui confier la présidence des travaux du fameux Congrès de la Soummam. Une réunion capitale pour la Révolution algérienne, qui avait rassemblé pendant plus d'un mois toute la crème de la Révolution algérienne à Ifri, au nez et à la barbe de la soldatesque coloniale, et qui avait réussi à doter la Révolution algérienne d'une assise et d'une vision politique claire. Pour beaucoup, sans le concours et l'appui tutélaire de l'historique Ben M'hidi, l'architecte du Congrès de la Soummam, Abane Ramdane, n'aurait peut-être pas réussi cette gageure. C'est dire l'importance du rôle joué par Larbi Ben M'hidi dans la Révolution algérienne. Sans parler de son grand courage et de sa sérénité que renvoyait le grand sourire qu'il affichait à son arrestation, le 23 février 1957, à l'âge de 34 ans, par les militaires français, qui étaient très impressionnés par la personnalité de leur prisonnier. "Si je reviens à l'impression qu'il m'a faite à l'époque où je l'ai capturé, et toutes les nuits où nous avons parlé ensemble, j'aurais aimé avoir un patron comme ça de mon côté, j'aurais aimé avoir beaucoup d'hommes de cette valeur, de cette dimension, de notre côté. Parce que c'était un seigneur, Ben M'hidi. Ben M'hidi était impressionnant de calme, de sérénité et de conviction. Je l'ai remis à l'état-major et à une équipe qui est venue le chercher, et c'était la nuit, et bien que le règlement s'y oppose, je lui ai fait présenter les armes, parce qu'il faut reconnaître chez son adversaire la valeur et le courage", témoigne le lieutenant Allaire, un de ses geôliers. Tout est dit. Ce qui n'a pas empêché les sbires du sinistre Aussaresses de l'étrangler dans la nuit du 3 au 4 mars, avant de maquiller leur forfait en suicide. Une insulte pour l'homme pieux et enfant de la zaouïa qu'était Mohamed Larbi Ben M'hidi. Né au douar Kouahi (commune d'Aïn M'lila, wilaya d'Oum El-Bouaghi), Ben Mhidi adhéra au mouvement des Scouts musulmans algériens (SMA), véritable école du nationalisme, en 1939 avant de rejoindre, à 20 ans à peine, les rangs du parti nationaliste, le PPA-MTLD. À Biskra, il prit part aux manifestations de Mai 1945 et fut arrêté pendant plus de 20 jours. C'est tout naturellement qu'il rejoint l'Organisation spéciale (OS) à sa création, en 1947, pour préparer le déclenchement de la Révolution. Et c'est tout aussi naturellement qu'il fut parmi la poignée de jeunes militants nationalistes (Ben Boulaïd, Boudiaf, Didouche, etc.), qui avaient créé le Comité révolutionnaire d'unité et d'action (Crua) à l'été 1954, pour faire partie ensuite des 9 historiques ayant déclenché la Révolution sous la bannière du Front de libération nationale (FLN).