Résumé : Mordjana se rend chez ses grands-parents. Sa grand-mère est surprise de la voir. La jeune femme lui promet de lui donner toutes les raisons qui l'ont poussée à faire ce voyage imprévu. Après le dîner, Mimouna prépare une tisane et Mordjana la rejoint dans la cuisine pour la tenir au courant des raisons de sa venue. Elle pousse un soupir. - Tu dois te douter de la tension qui règne ces derniers temps dans notre couple. Autant mon mari est patient, autant je deviens insupportable. - Tu le reconnais donc ! - Oui (elle hoche la tête ). Oui. Je reconnais que je suis insupportable. Je n'y peux rien, grand-mère. L'envie d'enfanter est devenue chez moi une obsession. - Et ce petit voyage que vous avez entrepris toi et Samir, il ne t'a pas permis de te détendre ? - Un peu. J'ai découvert de très belles régions de notre pays. J'ai acheté plein de choses. Hélas ! Cela ne m'a pas permis de me détendre autant que je le voulais. Elle prend une gorgée de tisane avant de poursuivre : - À Constantine, je me suis rendue dans un hammam. C'était magnifique. J'ai beaucoup apprécié. J'ai eu à discuter avec des femmes. Heu... à ma sortie de la salle chaude, j'ai rencontré cette vieille dame dont je t'ai parlé et qui m'a conseillé les massages. - Ah ! Ça y est, je vois plus clair maintenant. Tu veux que je t'oriente vers l'une de ces matrones qui procèdent à ces rituels. - Oui, grand-mère. J'ai bien réfléchi, et je pense que je devrais essayer. Je ne perds rien à essayer, n'est-ce pas ? - Non. Bien sûr que non. Seulement il y a un petit problème. Elle rajoute du miel à sa tisane et prend une petite cuillère pour touiller son breuvage avant de se mettre à le siroter à petites gorgées. Puis, revenant vers sa petite-fille, elle poursuit : - Lla Sakina, l'accoucheuse de la famille, est vieille et bien malade. Je ne sais pas si elle acceptera de te recevoir. - Pourra-t-on lui rendre visite demain matin à la première heure ? - Demain matin ? Oui. Mais pas à la première heure. Tu n'y penses pas, Mordjana. Cette femme n'est pas loin de ses quatre-vingt-dix ans ! Je n'aimerais pas la déranger de si bonne heure. Mordjana contemple son verre, avant de le faire tourner entre ses mains. - Je te laisse le choix de l'heure, grand-mère. Mais je ne peux attendre plus longtemps. Demain, Lla Sakina devra me recevoir ou m'orienter vers quelqu'un d'autre. La vieille dame lui tapote la main. - Combien de fois dois-je te répéter que seule la patience arrive à bout de tous les aléas ? Ton impatience risque de te jouer de mauvais tours si tu t'amuses à brûler les étapes. - Je n'ai pas brûlé les étapes, Yemma Mimouna. Je suis mariée depuis bientôt trois années maintenant. Jusqu'à quand devrais-je attendre la venue d'un enfant ? La jeunesse n'est pas éternelle, et je n'ai pas envie de tomber enceinte à un âge où les femmes deviennent grands-mères. - Il te reste bien du chemin avant d'en arriver, là ma fille. Moi, à ta place, j'attendrai encore une année ou deux avant de me prononcer. Tu ne peux pas parler de stérilité avant d'en avoir la preuve. Si les médecins ne trouvent rien à redire sur ta capacité de procréer, je ne vois pas pourquoi tu t'impatientes. - Heu... Je veux juste prendre les devants. - Pourquoi Samir ne fait-il pas autant de tapage que toi ? Lui aussi aimerait voir ses enfants autour de lui. Mordjana hausse les épaules. - Samir est bien plus fort de caractère que moi. Cependant je le sens très tendu ces derniers temps. - Cela va de soi. Tu n'as donc pas compris qu'il est préoccupé par ton état de santé et ton stress ? - Hein ? Tu crois, grand-mère ? - Comment ça si je le crois ? Je suis certaine que ses préoccupations ont leur source dans ton comportement. Tu es devenue stressée et stressante, Mordjana. T'en rends-tu comptes au moins ? La jeune femme baisse les yeux et se met à dessiner des cercles imaginaires sur la toile cirée. Elle se savait un peu perturbée ces derniers temps, mais elle n'a jamais fait la liaison entre son état et le stress de Samir. Ce dernier sait toujours la ramener à la raison. Combien de fois n'avait-il pas supporté ses états d'âme tout en tentant de trouver à toutes ses préoccupations une réponse rationnelle ? - Oui. Je me rends compte maintenant que Samir a déployé de grands efforts pour m'épauler. Je reconnais que je suis égoïste, mais mon égoïsme ne doit pas le surprendre. La vieille femme secoue la tête d'un air navré. - Je ne te reconnais plus, Mordjana. Tu étais plus forte et plus compréhensive. C'est toi qui pansais les plaies des autres, et ne voilà-t-il pas que tu t'amuses à écorcher les âmes sensibles. Ton mari est un ange. Ne t'amuse surtout pas à le malmener. Il ne faut pas trop pour un homme pour se détourner de sa propre femme et aller chercher la paix ailleurs. Si tu continues à te comporter comme tu le fais, ton mari finira pas se lasser de toi. Dieu seul sait quelles en seront alors les conséquences. Elle baisse la voix et se rapproche un peu d'elle pour poursuivre : - Je présume que tu as compris la leçon lors de ton dernier passage chez toi. Saléha, ta mère, ne verra pas d'un bon œil ton retour à la maison, et toi non plus, tu ne supporteras pas de vivre en recluse après avoir vécu comme une princesse auprès d'un homme qui t'aime, te respecte et t'a permis de reprendre confiance en toi. Regarde-toi un peu. Ton visage est lisse et beau. Qui aurait deviné que tu portais une tache de naissance sur ta joue gauche ? Hein, Mordjana ? N'est-ce pas une belle preuve de loyauté et d'amour que Samir t'a offerte en te permettant de te débarrasser à jamais de cette marque disgracieuse qui te complexait tant ?
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