Beyrouth, 7 janvier 2006. Il pleut pour la première fois depuis mon arrivée. Virée au faubourg de Harat Hreyk, dans la banlieue sud de Beyrouth. J'ai rendez-vous avec Wafa Hatite, chargée des relations avec la presse au Hezbollah. Tout un périple pour trouver leurs bureaux dans ce quartier méandreux. Les portraits des fidayine tombés dans les combats contre Israël (ou contre des factions rivales ?) ponctuent le paysage. Ils sont le plus souvent associés à ceux de l'ayatollah Khomeyni, de Ali Khamenay, de Hassan Nasrallah, de Nabih Berri ou encore de Moussa Sadr, véritable icône au Liban, enlevé en Libye en 1979 et qui a pris depuis les atours d'un imam El-Mahdi dont tout le monde attend la réapparition. Des slogans à perte de vue ornent ces “zouqaq” dont beaucoup portent encore les séquelles de la guerre civile ainsi que celles des frappes israéliennes, pêle-mêle, surtout à proximité du camp de réfugiés palestiniens de Borj-Brajneh. Sur une banderole, cette sentence péremptoire de Khomeyni : “Yadjibou an tazoula israël mina el woujoud” (Israël doit disparaître !). Dans les rues, on ne jure que par la “moqawama”, la résistance. C'est la fierté des activistes chiites. Leur raison d'être. Cela leur confère une sorte de “légitimité historique”. “Tout le monde ici est armé. Il suffit d'un rien pour que ça éclate”, lance un jeune résistant en civil. On l'interroge sur Sharon. “Sharon mérite de mourir sous la torture. Qu'il aille au diable !” profère-t-il. Des magasins proposent carrément des “albissa askariya”, des vêtements militaires. Cela dit, chaque fois que je pose la question à propos du siège du “parti de Dieu”, tout de suite, les gens se braquent. Se méfient. “Hizballah ? Ma baârif”, me répond-on invariablement d'un regard méfiant. On doit me prendre pour un “espion”. En errant dans un quartier qui s'appelle Bir-Abed, je fais une heureuse rencontre en la personne de Hassan. Hassan Arbid. Hassan est chiite. 23 ans, il travaille dans un bureau de “khadamat” : photocopies, reliures, CD (piratés ?), logiciels informatiques… À peine avons-nous échangé quelques mots qu'il s'est empressé de noter mon e-mail. “Nitrassel, mouch hik ?” insiste-t-il. J'acquiesce de bonne grâce. Sympathisant du Hezbollah, Hassan me propose gentiment de me conduire au bureau des relations publiques du puissant parti chiite. Il pleut des cordes. Dès que la pluie s'est calmée, il m'invite à monter à l'arrière de son scooter. On file ainsi vers les bureaux du Hezbollah. On a la nette impression que le parti de Hassan Nasrallah active dans la clandestinité. Au demeurant, il n'y a pas que lui qui me donne cette impression. Avec la série d'attentats qui ont ébranlé le Liban cette année, tous les hommes politiques influents observent un profil bas. On ne les voit que sur les grandes chaînes satellitaires ou au Parlement. Un “soldat” tout de noir vêtu, armé d'une kalachnikov, nous reçoit devant le “poste de police” du parti. Car le Hezbollah est une véritable institution, un Etat dans l'Etat. “Il est même plus puissant que l'Etat”, observe Joseph Semaha, directeur de la rédaction du quotidien Assafir. Le gardien en faction m'oriente vers un immeuble alentour. C'est là que se trouve le bureau des relations extérieures. On m'introduit dans la salle d'attente. Tout de suite me sautent à la figure deux grands portraits de Khomeyni et de Khamenay. Sur une table basse est étalé un magazine, l'une des publications du Hezbollah. Je lis subrepticement en “une” : “Nihayat djazzar” (La fin d'un boucher) avec la photo de Sharon en aplat. Soudain entre une jeune fille en hidjab. C'est elle. Wafa Hatite. Très belle, très classe, elle tranche nettement avec l'image colportée sur les mouvements classés radicaux comme le Hezbollah. Wafa prend méthodiquement note de ma requête en m'expliquant aimablement que “dans le contexte actuel, il est difficile d'entrer en contact avec la direction du parti”. Elle promet néanmoins de faire quelque chose. J'avais émis le désir de faire un reportage sur le Hezbollah dans le Sud-Liban. “Mou moumkin”, rétorque-t-elle, navrée. À “Amal”, on me promet quelque chose dans ce sens. Les rivalités ont parfois leur utilité. Hassan, lui, rêve d'entrer dans la “moqawama”. Il se dit “mouqallid” de Ali Khamenay. Il n'a toutefois rien d'un intégriste “folklorique”. Physiquement, il s'habille très cool, est accro au tchat, et la tenancière de son “Internet café” préféré semble être une bonne copine. On le voit de prime abord : le Hezbollah est un parti très moderne, très puissant, avec de solides réseaux caritatifs. Il y a un débat féroce au Liban quant à sa démilitarisation. Joseph Semaha, notre analyste, est sceptique : “Désarmer le Hezbollah ? Il ne faut pas rêver. Ça serait le démantèlement de l'entité libanaise tout entière…” M. B.