Née le 27 novembre 1966 à Tunis, originaire de Gabès, Salwa Mazhoudi est professeur de sciences naturelles et poétesse. Elle exerce actuellement à Tunis. Procès d'orgueil est son premier recueil de poésie : Dilemme, le second. Liberté : Pourquoi avoir choisi la poésie comme moyen d'expression ? ll Salwa Mazhoudi : En effet et à mon avis, dans la vie d'une personne, l'amour est une expérience très importante pour acquérir son accomplissement et son épanouissement ; si par malheur la personne rate son chemin, elle vit mal l'échec et l'amertume peut la plonger dans la déprime et la désolation. Dans mon cas, l'extrême douleur amoureuse a donné à mon simple “jargonnage”, une composition particulière à la fois rimée et rythmée, qui a donné naissance d'abord à des vers puis à des poèmes. Suite à cet état instinctif, s'ajoute un phénomène nouveau : l'envoûtement par l'alchimie du verbe ; en effet, chaque terme est devenu révélateur, je suis devenue captive d'une forme d'expression suave et apaisante, et le mal d'amour prend une autre forme et devient un délicieux tourment et la cause de ma douleur devient ma source d'inspiration (ma source inspiratrice). Sachant que vous êtes de formation scientifique, vous vous êtes pourtant orientée vers l'écriture... À vrai dire, c'est l'abattement vécu à la suite d'une expérience douloureuse qui a été l'instigateur à l'écriture. Votre thématique porte essentiellement sur la femme ; elle suscite un questionnement... Vu notre éducation arabo-musulmane, l'amour dans la vie d'une femme est un sujet non abordable pour ne pas dire un sujet tabou. Donc, les mal-aimées doivent subir l'inclémence du destin et la cruauté du regard d'autrui, doublement victimes, donc doublement peinées, le rejet et l'indifférence de l'être aimé, et le rejet de la société qui se manifeste par le regard réducteur, la non-désirée devient “une adultère passive”. La rage et l'extrême frustration ont conduit cette femme (moi-même) à sortir de son oisiveté et de sa torpeur pour puiser de l'énergie de ce sentiment qui apparaît comme un don suprême et inespéré : l'amour fonctionne comme un culte secret, voire même une grâce, une source, un abreuvoir de réussite et de prouesse. En effet, la sensiblerie, éprouvée par certaines femmes envers leurs présumés prétendants, nourrit le sentiment tyrannique de ces derniers et déclenche chez eux un mécanisme d'hypocrisie et ils deviennent par conséquent des meneurs de jeu diabolique et cela entraîne la mise en abyme et la dislocation de tout un vécu, d'une histoire où l'on s'est construit une idée saine de la vie de l'amour platonique, de la vie de couple. Et face à la lacération des sentiments, l'esprit pur, l'esprit immaculé se trouve consumé et devant la nudité de la vérité, la femme sombre dans la déprime et l'ennuyeuse tristesse, elle récuse alors l'idée de l'échec. Quels sont les acquis de cette expérience littéraire ? L'écriture et particulièrement la poésie étaient pour moi une sorte de psychothérapie. L'idée n'était pas préconçue mais c'était un résultat curatif inéluctable et non un simple palliatif. À la naissance de chaque texte, ma joie fut à son comble et le sentiment de réussite de réalisation, une autre quête s'instaure : l'accomplissement de l'œuvre artistique, l'inscription sur la marche des grands, les éternels, se libérer des idées reçues, être maître de soi, dompter l'amour et le soumettre et non se soumettre, la femme anodine n'existe plus au fond de soi, l'âme se trouve libérée, c'est un travail d'exorciste : chasser les fausses idées et au lieu d'être l'appât de la chiromancie, la femme trace elle-même son destin. Vous avez choisi d'écrire dans la langue de Voltaire. Pourquoi ce choix ? J'étais, dès mon jeune âge, attirée par cette langue, mes précepteurs étaient à l'origne de cet amour pour la langue française, la langue de Voltaire et de Hugo. En effet, une simple lecture monotone et litanique a subjugué les disciples attentifs et moi-même, je me suis trouvée envoûtée par la voix du conteur, le conte, l'écrivain et bien évidemment par la langue, une langue a fortiori vecteur de cet élixir et de l'oralité à l'écrit, le passage n'était qu'une évidence. Entretien réalisé par N. S.