Le climat rude a contraint les autorités à prendre des dispositions inédites en matière d'aide et de secours en direction des SDF. Au SAMU social de Dély-Ibrahim, peu importe les saisons. Qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il fasse chaud, les pavillons sont toujours au complet. “C'est pourtant une structure d'urgence”, ne cesse de marteler la directrice Mme Aberkane. Ne pouvant renvoyer à la rue ses pensionnaires et fermer la porte du centre aux contingents des nouveaux arrivants, elle n'a trouvé d'autre solution que d'ériger des baraquements supplémentaires pour contenir le flux intarissable. D'une capacité réelle de 140 places, le SAMU est au bord de l'asphyxie. Chassés de leurs coins de trottoir par le givre, les sans-logis l'ont assailli. Durant le dernier week-end, près de 300 s'y sont précipités pour trouver, dans un bol de soupe, un lit et le réconfort de leurs hôtes, un peu de chaleur qui manque à leur corps. Beaucoup sont arrachés in extremis à la mort par la bienveillance des brigades itinérantes du centre qui sillonnent de nuit comme de jour les grandes artères de la capitale. D'autres y sont acheminés par la Protection civile, alors que certains ont franchi son seuil, seuls, guidés par le bouche à oreille. “Pour accueillir tout le monde, on a dû enlever les sommiers des chambres et installer les matelas à même le sol”, confie encore la directrice. Face à une population déclassée, sans repère ni adresse dans le Grand-Alger, elle a dû faire toutes sortes d'autres concessions et se résoudre à transformer le centre d'urgence en structure d'hébergement. “Beaucoup sont là depuis l'ouverture du SAMU en 1995”, raconte Mme Aberkane. Dans une visite guidée à travers l'établissement subdivisé en deux compartiments, l'un pour les hommes et l'autre pour les femmes, d'innombrables silhouettes guettent le soleil timide de janvier. Fous de désespoir, aliénés par une vie trop ingrate, égarés dans ses incertitudes, les malades mentaux constituent une frange assez importante. Répertoriés dans la catégorie des déclassés sociaux, ils n'ont aucune chance de salut. “Aucun centre spécialisé ne veut d'eux. On a tenté à plusieurs reprises de les placer. Mais toutes les institutions sollicitées invoquent une surcharge de leurs infrastructures”, souligne Mme Aberkane. Dans d'autres cas, comme celui des mères célibataires, les pesanteurs sociales font que leur existence n'est que très rarement admise. Souvent, elles arrivent enceintes au SAMU. En principe, hébergées jusqu'à leur accouchement, quelques-unes continuent à y vivre. Bénéficiant d'un abri pour la nuit, elles vont travailler le jour, font des économies et espèrent ainsi trouver un toit qui puisse les accueillir avec leurs enfants. “Malheureusement, le logement constitue pour nous un énorme problème”, se plaint la responsable du SAMU. Elle dit que si ses pensionnaires arrivent à trouver un emploi, la plupart ont peine à dénicher un logis. Face à toutes ces entraves, les efforts de réinsertion demeurent très aléatoires. Pour preuve, sur 1 285 pensionnaires comptabilisés en 2002, seuls 930 ont bénéficié d'un retour à la vie sociale. Quant au reste, si beaucoup continuent à hanter le centre, d'autres préfèrent retourner à la rue en dépit de toutes les actions entreprises pour rendre leur séjour agréable. Salon de coiffure, classe d'alphabétisation, garderie…, l'appel des dédales semble irrésistible pour quelques locataires, hommes et femmes, qui font de la rue leur source de revenus. “La plupart ne veulent pas rester dans les centres d'hébergement parce que leur coin de rue est chèrement acquis. Ils le disputent à d'autres SDF et l'occupent pour faire la manche”, explique M. Saïdi, chargé de la communication au ministère de la Solidarité et de l'Action sociale. M. Azazen, directeur de Diar Errahma, est du même avis. Il soutient que nombre de sans-abri viennent passer la nuit à l'abri du froid pour se nourrir et dormir. Au matin, ils retournent dans la rue. “Nous ne pouvons pas les retenir”, dit-il désolé. Pour tous les autres, qui aspirent à une générosité plus étendue, notre interlocuteur affirme que son établissement vient de dégager un espace pour l'accueil des sans-abri durant l'hiver. “Nous y avons accueilli deux familles”, révèle-t-il. De même, les autres institutions sous tutelle du département de la Solidarité ont mis en place un dispositif similaire. La décision vient du ministère qui a installé depuis trois semaines une cellule de crise pour le secours des sans-abri. Regroupant tous les intervenants dans le programme d'aide sociale, aussi bien gouvernementaux qu'associatifs, cette commission a, selon M. Saïdi, initié diverses actions dont l'ouverture de cinq points de restauration — à la place des Martyrs, El-Biar, Hussein-Dey, Bab El-Oued et El-Harrach — dirigés par les Scouts musulmans. “Les repas sont fournis par les différentes institutions telles que le centre des personnes âgées de Bab-Ezzouar”, affirme le chargé de la communication de la Solidarité nationale. De son côté, le directeur de Diar Errahma évoque la mise sur pied d'une mission itinérante d'approvisionnement qui arpente depuis deux semaines les rues d'Alger. “Nous offrons à chacun un bol de soupe, une demi-baguette de pain, une orange, deux œufs durs, des médicaments, ainsi que des couvertures pour ceux qui en ont besoin”, fait-il valoir. Au total, 200 parts sont distribuées, note pour sa part M. Saïdi. Ce dernier indique par ailleurs que les services de la Protection civile ont été sollicités pour servir de relais à cette opération de solidarité. Du côté des pompiers, on révèle que l'initiative prise d'ouvrir les casernes pour l'accueil des sans-abri est du ressort exclusif de la direction générale. “Nous nous consacrons essentiellement à inviter ceux qui veulent bien nous suivre dans les casernes. Nous leur faisons passer une visite médicale, nous leur donnons à manger et nous les conduisons au SAMU social”, nous apprend le capitaine Achour, chargé de la communication. Combien de temps encore ce dispositif inédit de prise en charge des SDF va-t-il fonctionner ? Sera-t-il prolongé au-delà de l'hiver ou le SAMU social devra-t-il continuer seul à être le réceptacle de la détresse sociale que le froid polaire a projetée au devant de l'actualité. S. L. Bataille autour des chiffres Contactée hier, la direction générale de la Protection civile récuse le nombre, annoncé par la presse, de SDF (une dizaine) tués par le froid. Parlant d'une mauvaise lecture du bilan de cette institution établi lors d'une récente conférence de presse, le service de communication affirme que deux morts seulement, causées par les intempéries, ont été enregistrées depuis un mois. Pour le reste, on affirme que les décès ont été provoqués par des rixes ou une consommation exagérée de drogue et d'alcool. De même, le ministère de la Solidarité nationale infirme l'information. A la direction de Diar Errahma, on évoque tout juste deux ou trois évacuations de SDF aux urgences hospitalières. S. L.