Nouara Hocine nous livre dans son premier ouvrage une réflexion et pas des moindres, Les intellectuels algériens, avec tout ce que ce mot peut comporter comme interrogation, complexité, et incompréhension. Qu'englobe donc ce terme “d'intellectuel” ? Quelle est la définition exacte de ce terme ? Que dire des intellectuels algériens, de leurs préoccupations, de leurs positions dans des moments cruciaux, de leurs engagements ? Et qui est intellectuel et qui ne l'est pas ? Le livre de Nouara Hocine suscite dès le titre des interrogations, et dans la préface du livre, faite par le Pr Mahfoud Keddache, nous retrouvons ces questionnements : “Ce terme s'applique-t-il à tous les écrivains, les artistes, penseurs et élites plus au moins diplômées ?” Le livre de Nouara Hocine, le premier du genre à se pencher sur cette problématique et de tenter de cerner les tenants et les aboutissants, ne peut que susciter intérêt et débat sur un sujet complexe par sa thématique et par sa dimension. Nouara Hocine ne s'est pas contentée d'énumérer des noms et des courants, son travail, accompli avec ténacité et détermination (par rapport au sujet), offre déjà une plate-forme sensible d'orienter des recherches et des approfondissements. Nouara Hocine a tenté de situer l'intellectuel algérien dans son environnement, de le placer devant ses pensées et d'en tirer les conclusions inhérentes de ses engagements et des idées qu'il peut défendre. La question donc à la lecture de ce livre et de se demander si le passé n'a pas cessé de faire valoir ses conséquences dans ce processus d'autonomisation d'un intellectuel en Algérie. Mais avant d'aborder l'essentiel de son livre, l'auteur a jugé utile de consacrer la première partie de son livre au “ “concept “intellectuel”, genèse et spécificité : positionnement philologique”, à tenter de répondre aux questions primaires que se poserait tout lecteur. Cette anticipation a eu pour but de revenir sur l'historique et le concept du mot intellectuel, en expliquant que ce concept est né au moment de l'affaire Dreyfus et du néologisme. Autrefois, explique l'auteure, existait des penseurs, des humanistes, des savants, Aristote, Galilée, Ibn Sina, Platon, et à chaque époque, il y a eu des érudits plus au moins audacieux. L'auteure décortique méthodologiquement tous ces mots qui gravitent autour de cette thématique en la situant dans le temps et dans les courants, ainsi les élites dans les pays du Tiers-Monde, les groupes de pressions, l'évolution du concept intellectuel dans les démocraties modernes, le concept intellectuel dans le monde arabe, Entre idéologie et intellectualité… Dans la deuxième partie , “Définition positionnelle de l'intellectuel dans le contexte socio-historique algérien”, l'auteure entre dans le vif du sujet qui constitue le corpus de son ouvrage. En reconnaissant que, je cite, “Les lettrés algériens du passé et les intellectuels d'hier et d'aujourd'hui ne pouvaient pas et ne peuvent pas se constituer en classe homogène autonome”. De là, la réflexion de l'auteure va enchaîner sur trois parties et plusieurs chapitres dans cette suite d'idées éclairées et rationnelles. L'auteure parle des rapports des intellectuels avec la Guerre de libération nationale ; la réalité de la participation des étudiants, surtout des lycéens dans l'action armée, la place qu'occupaient ces intellectuels dans les directions politico-militaires du FLN et surtout de la conclusion tirées en analysant tous ces faits. “Les intellectuels ont rejoint et servi une Révolution qui a éclaté et qui s'est développée pratiquement sans eux.” Nouara Hocine aborde donc la marginalisation de cette élite des grandes décisions. Si l'auteure interroge notre mémoire à travers l'histoire et certains écrits, c'est pour mieux comprendre les évolutions et les transmutations. Pour ce faire, elle met en évidence à profit les engagements et les positions de certaines personnalités algériennes comme l'émir Khaled, Ferhat Abbas, Albert Camus, Mouloud Mammeri, Frantz Fanon ou encore Kateb Yacine. Dans un souci d'authenticité, Nouara Hocine donnera la parole (à travers des entretiens) à plusieurs historiens Harbi, Daho Djerbal, Mafoud Keddache, Mahfoud Bennoune. Nouara Hocine a fourni là, un travail de recherche, d'investigation et d'analyse qui s'apparente à une plate-forme avec ses repères qui pourront servir éventuellement de terreau de recherche notamment pour les étudiants. Les intellectuels algériens, Mythes, Mouvance et Anamorphose, paru aux éditions Enag/Dahlab, des années de braise (guerre d'Algérie) aux années de feu (terrorisme) est l'illustration parfaitement révélatrice de l'importance d'une élite dans une nation et surtout du dynamisme socio-culturelle de celle-ci au sein de la société dont elle reflète la pensée. Nouara Hocine en éclairée ne s'est pas contentée de rapporter des faits, mais d'analyser sociologiquement une réalité socio-culturelle précise. Un livre riche et bien documenté. N. B.