Universitaire et auteur de plusieurs ouvrages, Mohamed Lakhdar Maougal dénonce, dans cet entretien, le maintien par le pouvoir des responsables médiocres à la tête des hautes institutions du pays. L'Expression: Quelle évaluation faites-vous de la place actuellement des intellectuels dans la société? M.L. Maougal:Les intellectuels ont en permanence démontré leur existence dans la société, soit par la production intellectuelle soit à la fin des années 80 et les débuts 90 à travers des structures de mobilisation, lesquelles, hélas, ont subi de plein fouet les contrecoups de la décennie noire ont pratiquement disparu. Nombre d'universitaires ont payé leur engagement de leur vie. D'autres encore ont préféré fuir le pays et s'installer ailleurs. Pour autant, reste maintenant - et c'est une urgence - de mettre un terme à la confusion dans l'appropriation de l'appellation - d'intellectuel - pour définir, rigoureusement, les critères. L'intellectuel est-il un écrivain? un universitaire? une personne compétente? ou bien, comme la tradition des grands intellectuels l'exige, quelqu'un qui se pose des questions sur la société en prenant le soin, bien entendu, d'y apporter les réponses? Pourquoi ne s'impliquent-ils pas davantage dans les débats de société? Il nous est arrivé, dans les années 1990, de nous rassembler, en tant qu'enseignants, au campus de l'université de Bouzaréah autour des questions de l'actualité comme ce fut alors le cas pour la première guerre du Golfe (1990-91), de la situation en Palestine ou encore pour ce qui est de certains problèmes qui concernaient d'autres pays, arabes notamment. Cela dit, je regrette que cet esprit d'entrain et d'initiative, qui a prévalu des années durant, se soit ainsi estompé pour, ensuite, disparaître. La raison est qu'il y a eu une reprise en main de la société par l'Etat, après une période - les années 1990 - où les pouvoirs publics, pour contrecarrer l'intégrisme, avaient fait montre plutôt de souplesse et de permissivité vis-à-vis des intellectuels. Aujourd'hui, alors que l'on se félicite de l'affaiblissement et du recul du terrorisme, l'intérêt que l'Etat manifestait auparavant à l'intellectuel, n'a plus, depuis, lieu d'être. Il s'agit, présentement, d'un antagonisme entre l'Etat et les intellectuels au même titre que celui, existant bien avant, avec le peuple. Là aussi, il y a beaucoup de choses à dire. La preuve est que la contestation sociale, face au mutisme des autorités, s'exprime, très souvent, avec de plus en plus de violence à l'image des événements qui ont eu lieu, il y quelque temps, à T'kout, dans la wilaya de Batna. Cette situation illustre au mieux le fossé grandissant entre la population et ses gouvernants. L'Etat n'arrive plus à comprendre ces mécanismes et ne peut, par conséquent, recourir aux intellectuels à force de les avoir muselés et verrouillé leur champ d'intervention. Il n'y a donc aucune lisibilité possible des événements. Pourtant à chaque occasion, l'Etat vante leurs mérites et exprime ses «préoccupations» quant à leur «fuite» à l'étranger... D'abord, je considère, personnellement, comme un non-intellectuel celui ou celle qui, du pays étranger où il réside, ne préserve aucun lien, qu'il soit idéologique, politique ou autre, avec son propre pays. Les universitaires, les chercheurs ou ceux qui ont quitté le pays de leur propre gré pour se réfugier sous d'autres cieux, sans se soucier de l'évolution de leur société, ne requièrent ni le nom, encore moins la qualité d'un intellectuel algérien. Ce sont des personnes qui ont perdu tout rapport avec les leurs. D'autres sont partis tout de même en raison des conditions socioprofessionnelles que leur offrent les pays d'accueil... C'est exact. Les problèmes socioprofessionnels - graves - en Algérie se posent, pour la communauté des universitaires, de façon très sérieuse. Car ces derniers, qui écument les sphères d'intelligence, de la conception, aussi bien dans les hautes instances administratives qu'au sein des entreprises sont, à ce jour, mis à l'écart. Or, ces mêmes institutions - où pullulent pourtant les intellectuels, sont gérées par des cadres incompétents. Il faut appeler les choses par leur nom. Ces gens ont, en effet, peur de la contestation intellectuelle. La compétence, dans ce cas de figure, devient un danger à leurs yeux. Il n'y a rien de pire pour un médiocre qu'une personne intègre. Quelle appréciation faites-vous de l'état actuel de la recherche scientifique en Algérie? Il faut reconnaître qu'un effort colossal a été consenti depuis 5 ou 6 années grâce à la politique du ministère de l'Enseignement supérieur, mais aussi celle du secrétariat d'Etat à la recherche scientifique. Ces deux derniers ont le mérite de mettre en oeuvre le PNR (Programme national de recherche) au profit des chercheurs. Mais si l'initiative au même titre que les moyens financiers existant notamment, sont importants, il reste néanmoins que la composition des équipes de recherche, pose problème. Le critère de qualité n'est pas respecté même pour ceux qui ont la délicate tâche d'évaluer les travaux élaborés. L'université algérienne demeure, quant à elle, dans une situation peu reluisante pour ne pas dire dramatique. Pourquoi? En effet, la situation des universités en Algérie est très grave. Durant des années des personnes ont tiré en vain la sonnette d'alarme depuis, notamment le départ massif des enseignants vers d'autres pays. Seulement, je dois préciser, au passage, que le discours qui situe le marasme universitaire au seul problème du cadre enseignant ne tient pas tout à fait la route. C'est un discours vide. La compétence existe et les enseignants intègres ne manquent pas, pour peu seulement qu'on s'intéresse à eux. Ils sont frappés d'ostracisme par des gestionnaires carriéristes et médiocres qui occupent, eux, les fonctions dirigeantes au sein des universités. Cela va sans dire de la crise de déontologie qui secoue, depuis quelques années, nos facultés. Régulièrement, la presse fait écho de scandales relatifs, entre autres, aux passe-droits, au népotisme, à l'escroquerie...une situation que les étudiants n'ont eu de cesse de dénoncer mais hélas, la contestation pédagogique a été détournée de sa vocation pour ne concerner que les problèmes d'oeuvres sociales. Un mot sur la révision du code de la famille que les pouvoirs publics entendent mettre en oeuvre... Le problème, sur ce sujet, n'est pas d'introduire ou non des amendements. C'est tout le texte - anachronique - qu'il faut revoir. Comment se fait-il qu'à l'aune du troisième millénaire en Algérie, des femmes représentent presque la moitié de la population et dont nombre d'entre elles occupent actuellement des postes de responsabilités très importants, soient maintenues en statut d'infériorité totale, sous l'emprise du tutorat par exemple. C'est une aberration! Il n'est pas, à mon avis, insensé de mettre sur pied un dispositif juridique qui accompagne l'évolution de la société et celle des femmes de façon particulière. Mais à chaque fois, on agite le leitmotiv religieux et les constantes nationales pour freiner l'élan féminin... C'est du baratin. Nous n'avons pas eu le courage d'aborder un certain nombre de problèmes de transformations qui sont sans lien avec l'interprétation du texte coranique, mais qui sont en revanche liés à des impératifs d'évolution de la société. C'est là où réside réellement le problème. Comment analysez-vous la revendication identitaire? Jusqu'aux années 80, la revendication identitaire ne recoupait qu'un aspect de la question dans la mesure où ce qui apparaissait en tant que telle, était essentiellement la question amazighe. Mais depuis, les choses ont commencé à se compliquer sérieusement. De nos jours, nous avons en face des revendications importantes et antagoniques: l'une amazighe et l'autre islamiste. Le pourquoi de cet état de fait s'explique par le fait que la société n'a pas encore fait le pas suffisant pour aller vers un système qui diminue l'importance des identités et qui accroît en même temps l'intérêt de la citoyenneté. Il est donc temps de régler le problème identitaire par la citoyenneté.