Après avoir prôné une fermeté à toute épreuve quant à la présence américaine en Irak, le patron de la maison-Blanche change subitement d'attitude et parle maintenant d'un transfert rapide de la souveraineté à un pouvoir irakien. Juin 2004 est évoquée comme une date de concrétisation de l'opération. Le président des Etats-Unis a surpris tout son monde en voulant changer sa manière de gérer l'Irak de l'après-guerre. Qu'est-ce qui peut bien expliquer ce revirement dans la politique de l'administration Bush ou que peut-elle bien cacher ? La question s'impose, car Washington a fait la sourde oreille aux critiques de la majeure partie de la communauté internationale depuis presque une année quant à la gestion du dossier irakien. Il faut admettre que beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. En effet, les pertes, surtout humaines, que subit l'armada US depuis quelques semaines ne sont pas étrangères à cette modification dans la politique de Bush, lequel à moins d'une année des présidentielles américaines tente par tous les moyens de redorer son blason. Sa cote de popularité étant au plus bas ces derniers temps, à en croire les résultats des sondages, à cause de la dégradation de la situation sécuritaire en Irak, le locataire du bureau ovale tente de redresser la barre avant qu'il ne soit trop tard. Et le seul moyen de regagner la confiance du peuple américain demeure une sortie rapide du bourbier irakien. Reste à savoir comment il compte mettre en œuvre sur le terrain sa nouvelle stratégie, car les conditions matérielles d'une sortie de crise ne sont guère réunies. Le conseil de gouvernement transitoire de Bagdad agit trop lentement aux yeux de l'administrateur américain de l'Irak pour espérer aboutir à un transfert de souveraineté aux Irakiens dans des délais raisonnables, comme le souhaite la communauté internationale. Devant cette situation de lenteur, et particulièrement dans le but d'éviter de plus grandes pertes à ses troupes, le département d'Etat envisage même de décaler l'adoption d'une nouvelle Constitution irakienne, après l'installation d'un véritable pouvoir à Bagdad. Ceci dit, il y a lieu de s'interroger sur les réelles intentions américaines, car il est peu vraisemblable que Washington, qui a tant investi sur l'invasion de l'Irak, reparte bredouille. Les “faucons” de la Maison-Blanche, dont une bonne partie possède beaucoup d'intérêts dans le secteur pétrolier, acceptent de lâcher prise aussi facilement, parce que nul n'ignore que les gigantesques réserves pétrolifères irakiennes sont la principale raison du déclenchement de la guerre contre le régime de Saddam Hussein. Il doit certainement y avoir une possibilité de sauvegarder les intérêts US en Irak, dans la nouvelle stratégie de Bush. En attendant, la mise en œuvre de cette tactique représente une grande énigme pour les observateurs de la crise irakienne, tant l'évolution de la situation sur le terrain n'est point favorable à ce genre d'initiative. Pris par le temps, George Bush joue là une carte déterminante quant à son avenir politique. Son second mandat en dépend. Paul Bremer, l'administrateur civil de l'Irak, rentré à Bagdad, a immédiatement tenu hier une réunion avec le conseil de gouvernement provisoire pour trouver les voies et moyens d'accélérer l'opération de transfert de la souveraineté. K. A. Bush et Blair Deux alliés dans la tourmente irakienne Le président américain George W. Bush et son principal allié le Premier ministre britannique Tony Blair vont se retrouver la semaine prochaine alors que le dossier irakien se révèle de plus en plus difficile à gérer pour eux tant sur le plan international qu'intérieur. Dans les mois qui ont précédé l'invasion de l'Irak en mars, le conservateur George W. Bush, 57 ans, et le travailliste Tony Blair, 50 ans, ont présenté un front sans faille en faveur d'une intervention armée, affirmant que l'Irak possédait des armes de destruction massive et reprochant aux pays réticents de sous-estimer le danger présenté par Saddam Hussein. Plus de sept mois après la chute du dictateur irakien, la situation n'a pas tourné à leur avantage : l'après-guerre se transforme en véritable guérilla, les armes de destruction massive et Saddam Hussein restent introuvables et la transformation de l'Irak en démocratie exemplaire se révèle ardue. Ce bilan plutôt négatif sera le principal sujet de leurs entretiens lors de la visite d'Etat que va effectuer le président des Etats-Unis en Grande-Bretagne du 18 au 21 novembre. Stationnées dans le sud de l'Irak, les troupes britanniques n'affrontent pas la même résistance que les Américains qui tentent de contrôler Bagdad et le “triangle sunnite”, ancien fief de Saddam Hussein. La transition politique est également gérée par Washington. “La visite du président Bush à Londres la semaine prochaine permettra, certes, à la Grande-Bretagne de prendre part au dialogue au plus haut niveau. Mais le Premier ministre aura-t-il quelque chose à dire ?”, demandait jeudi dans un éditorial le quotidien britannique The Guardian. Les Etats-Unis ont pris seuls la décision d'accélérer le transfert de souveraineté aux Irakiens face aux difficultés rencontrés sur le terrain, même si le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, a ensuite affirmé la soutenir. Décidée il y a plusieurs mois, la visite d'Etat de George W. Bush, qui sera l'hôte de la reine Elizabeth II, relance l'opposition de l'opinion publique britannique à l'équipée irakienne. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants anti-Bush sont attendus à Londres qui sera placée sous haute surveillance policière par crainte d'attentats terroristes. Interrogé par des journalistes britanniques à la Maison-Blanche sur son impopularité, non seulement en Grande-Bretagne mais aussi dans le reste de l'Europe, George W. Bush a répondu : “Franchement, je ne fais pas très attention à ce que vous venez de décrire.” “Je respecte les pays qui permettent à leurs habitants de s'exprimer. J'admire la tradition de libre expression de la Grande-Bretagne mais je ne m'attends pas à ce que tout le monde soit d'accord”, a lancé le président américain. Rappelant son admiration pour l'homme d'Etat britannique Winston Churchill (1874-1965), M. Bush a affirmé que l'opération menée par Washington et Londres en Irak “est un grand moment dans l'histoire de la liberté” auquel il est “passionnant” de participer avec Tony Blair. Si les manifestations sont moins virulentes aux Etats-Unis, George W. Bush est toutefois confronté au risque de voir l'Irak jouer à ses dépens lors de l'élection présidentielle de novembre 2004 à laquelle il se représente pour un second mandat de quatre ans. Tony Blair, au pouvoir depuis 1997, est davantage maître des échéances politiques et peut repousser les prochaines élections législatives jusqu'en juin 2006.