La « moisson » de la visite du ministre britannique des Affaires étrangères aura été sans doute en deçà des attentes par rapport à la symbolique du « retour » de Londres en Algérie. Diplomatique, Jack Straw l'a été tout au long des... quinze minutes qu'il a passées, jeudi dernier, avec les journalistes. Et à l'arrivée, le bilan est plutôt maigre pour une visite qu'on a qualifiée pompeusement de « concrète et pratique » . Qu'y a-t-il donc de concret ou de pratique dans ce crochet de 24 heures ? Morceaux choisis d'une conférence de presse bouclée en deux temps trois mouvements. Jack Straw, accompagné de son homologue algérien Mohamed Bedjaoui, est arrivé en retard d'une heure à l'horaire prévu pour la conférence de presse à l'hôtel El Djazaïr (ex-St-George), c'est-à-dire 13h30. Calcul ou simple changement de programme ? L'émissaire de Tony Blair annonce d'entrée qu'il a passé deux heures et demie avec le président Bouteflika au palais d'El Mouradia. Les journalistes croyaient alors qu'il allait sérier une avalanche de contrats et des décisions concrètes dans le domaine de la coopération. Mais Jack Straw annonce tout de suite après la couleur en déclarant qu'il y a en Algérie « un grand potentiel pour dynamiser les relations commerciales ». Il affirme vaguement qu'il y a un accord de principe « sur la multiplication des échanges entre les deux pays et le renforcement des investissements ». « Je vous annonce que nous allons investir des millions de livres sterling dans la réalisation d'un nouveau siège de notre ambassade... » Voilà donc concrètement ce que compte réaliser la Grande-Bretagne en termes d'investissements. Jack Straw enchaîne sur la coopération dans le secteur de la justice en déclarant : « Nous avons discuté, moi et le Président, de la coopération juridique et judiciaire et qu'une délégation de magistrats algériens se rendra la semaine prochaine à Londres pour y rencontrer ses homologues. » Précisément, le chef du Foreign Office est apostrophé par une journaliste de Liberté lui demandant si l'ex-golden boy algérien Abdelmoumène Khalifa allait être extradé en vertu de cette coopération judiciaire en cours. A cette question lancinante qui constituait la curiosité des journalistes présents, Jack Straw a été évasif, imprécis, voire ambigu. « Je comprends parfaitement les soucis des autorités algériennes sur cette affaire, mais cela ne dépend pas de la signature d'un traité d'extradition. » En clair, même si ce fameux traité venait à être signé, il n'est pas dit que Khalifa serait automatiquement remis aux autorités algériennes. Khalifa, wait and see ! Straw accentue un peu plus le mystère quand il nuance qu'« il peut y avoir une décision d'extradition ». Qui bloque donc la procédure dès lors que le sort de Khalifa n'est pas lié à la signature d'une convention ? Les autorités algériennes ont-elles ou non demandé officiellement au pays de Sa Majesté l'extradition de l'Algérien le plus « recherché » au monde ? Les journalistes n'en sauront pas plus de la bouche de Jack Straw, un tantinet gêné par cette question. Ce dernier retrouve tout de suite après son entrain en abordant le nucléaire iranien sur lequel il s'est bien épanché en faisant remarquer que ce pays « ne respecte pas ses obligations ». « Nous n'avons pas de preuves absolues, mais nous avons de forts soupçons que ce pays cherche à se doter de l'arme atomique. » Jack Straw parle ainsi d'un mystérieux « manuel » de fabrication des armes nucléaires en provenance du Pakistan qui serait entre les mains des Iraniens. Officiellement, la position du Royaume-Uni épouse parfaitement celle de la France et de l'Allemagne, précise Jack Straw. Et pour finir son laïus sur une note « positive », le ministre britannique s'est aligné sur les positions algériennes s'agissant du dossier du Sahara-Occidental et de l'affaire des caricatures. « Nous sommes en faveur d'une solution dans le cadre du plan de paix des Nations unies », a-t-il tranché sans plus de commentaires. Pour les caricatures blasphématoires, Jack Straw s'est fait un point d'honneur d'affirmer que la liberté d'expression que « je respecte ne saurait se confondre avec l'atteinte aux religions. Nous ne pouvons pas excuser ce qui a été fait au Danemark ; c'est un manque de respect. Je suis sûr que si on avait blasphémé le Christ, les chrétiens auraient réagi de la même façon ». La réplique du ministre de Sa Majesté qui a étonné plus d'un journaliste suggère manifestement qu'il tenait absolument à se démarquer des réactions plutôt mitigées des Européens sur cette affaire, histoire de tenir son pays loin de la polémique. Cela est d'autant plus vrai que Jack Straw a fait, jeudi soir, peu avant son départ, un pèlerinage à la Grande Mosquée d'Alger où il a eu droit à un exemplaire du Saint Coran. Que ce déplacement soit effectué sous projecteurs des caméras n'est certainement pas fortuit. Les dividendes politiques d'un tel geste symbolique peuvent s'avérer plus porteurs qu'un kilomètre de discours, fussent-ils lénifiants.