De jour comme de nuit, le plus grand établissement de soins d'Algérie accueille des patients, mais il ne peut assurer de places aux consultants venus des quatre coins du pays. Lundi 21 février. Il est 17 heures. Il fait relativement froid en ce début de soirée. “La garde sera calme ce soir”, se réjouit déjà Salim, le responsable de la sécurité qui assure la fonction de directeur de garde durant toute la nuit. Après avoir donné des instructions au personnel administratif, il part faire un petit tour dans les différents services, histoire de prendre le pouls de leur fonctionnement. Il est 17h30 lorsqu'il parvient au pavillon des urgences. Quelques personnes sont assises sur des sièges de la salle d'attente. Les unes attendant leur tour pour passer dans un des box de consultation, d'autres guettant le retour d'un parent malade évacué dans un autre service pour passer des radios ou des examens approfondis. Un homme boitant, soutenu par deux amis, arrive. Ne pouvant poser par terre sa jambe droite, il s'appuie et avance péniblement en clopinant. Parvenu au niveau du premier cabinet de consultation, l'accompagnateur le plus âgé frappe à la porte et, sans attendre la réponse, il tente d'entrer. “Attendez au moins que je termine avec ce malade”, se plaint l'interne de garde. Le malade réunit toutes ses forces avant de pouvoir s'asseoir. “Il est tombé en descendant les escaliers”, explique un des deux accompagnateurs. Dès la sortie d'un vieil homme du cabinet médical où il était en consultation, les deux amis soulèvent le malade et l'aident à entrer. “Où est sa fiche ?” interpelle un infirmier. Ce n'est qu'à ce moment que les trois hommes comprennent qu'il fallait remplir des formalités et s'acquitter de 100 DA avant d'entrer chez le médecin. Une fois la fiche-navette établie, la porte du cabinet se referme. Le malade sort souriant au bout de quelques minutes, il a juste une entorse et la compresse alcoolisée que lui fera l'infirmier dans la salle de pansement finira par le soulager. Il quitte alors le pavillon des urgences comme il est venu, soutenu par ses amis. Les autres box de consultation sont vides car, comme l'affirme un des médecins de garde : “Lorsqu'il fait froid, seuls les vrais malades viennent aux urgences.” Dans le cabinet de déchoquage, deux patients (un homme et une vieille femme) sont allongés sur leurs lits. Adossée à un brancard, une autre patiente gémit de douleur. Son mari explique au médecin qu'elle est diabétique et il fournit tous les autres renseignements concernant ses antécédents et les doses d'insuline qu'elle s'injecte. L'assistant la prend en charge. Dans la salle réservée aux asthmatiques, tous les lits sont occupés et tous les malades sont sous oxygène. En avançant un peu, on trouve le service des grands malades. L'entrée y est interdite car les patients qui y séjournent sont de grands malades, souvent sous assistance respiratoire. À proximité de la salle de réanimation, les parents guettent la sortie des médecins et des infirmiers pour leur demander des nouvelles de leurs proches. Ces derniers s'inquiètent surtout sur l'état d'un homme de 35 ans, dans le coma depuis plus de 10 jours. “Je ne le connais pas, mais ce qui lui est arrivé est très grave. Il est agent de sécurité à Maqâm Echahid où il a été agressé à l'arme blanche. Ses agresseurs toujours en fuite lui ont asséné quatre coups de couteau à l'abdomen et un autre coup avec une barre de fer à la nuque. Où sommes-nous ? Où est la sécurité ?” s'écrie un homme parmi l'assistance. À 20 heures, une jeune fille entre dans le box de la chirurgie, elle est accompagnée de sa mère. Cette dernière se plaint, elle aussi, de l'insécurité qui règne à Alger. “Un voleur a fauché à ma fille, en pleine rue, son sac et il a pris la fuite. Ma fille se plaint de son bras, j'espère qu'il n'est pas cassé”, dira-t-elle. Le calme revient ensuite au pavillon des urgences. De temps à autre, arrivent des patients qui sont vite pris en charge car cette nuit-là, seul un malade a dû être opéré d'urgence pour un ulcère saignant abondamment. 22 heures. Au centre de transfusion sanguine, l'assistante de garde et les techniciens en biologie sont affairés à établir des bilans sanguins. Ils sont attentifs à tout, surtout lorsqu'il s'agit de déterminer le groupe sanguin d'un patient. “Nous refaisons toutes les analyses pour confirmer les premiers résultats”, affirme une technicienne. Très vigilante, l'assistante détecte une anomalie et, sans attendre, elle appelle un médecin d'un autre hôpital pour attirer son attention quant au groupage sanguin de l'échantillon qu'elle a analysé. “Nous devons faire attention pour éviter qu'un malade ne reçoive un sang qui n'est pas de son groupe”, explique l'assistante. Le centre de transfusion sanguine réalise des analyses pour les urgences de l'hôpital Mustapha-Pacha et de certains autres établissements de santé de la capitale, auxquels il livre aussi des poches de sang. La garde est calme cette nuit et le nombre de malades est minime. Vers les coups de deux heures, un homme vient se plaindre auprès du directeur de garde : “Ma femme est sur le point d'accoucher et le médecin refuse de la prendre en charge.” Le directeur de garde décide de l'accompagner. Effectivement, une femme enceinte est assise sur une chaise dans la salle d'attente du service maternité : “Voilà ma femme, où voulez-vous que je l'emmène ?” s'écrie son mari. Le maître-assistant de garde ne sait plus où donner de la tête : tous les lits sont occupés et des parturientes sont à même le sol sur des matelas de fortune. “Où voulez-vous que je mette cette nouvelle parturiente ? Je dois tout prévoir, y compris une complication. Dans ce cas, je n'ai pas la moindre place au service de réanimation”, se plaint le médecin de garde. La mère de la future maman intervient alors : “Ce n'est pas grave, je lui ramènerai un matelas de chez moi et elle dormira par terre comme les autres. Acceptez-la, c'est tout, je vous en supplie.” Le médecin revient à la charge pour lui expliquer qu'il y a une place en réanimation, ce n'est pas juste une place de couchage, mais tous les équipements de réanimation nécessaires en cas de besoin. “Que vais-je faire ? Je viens de faire trois hôpitaux, Belfort, Kouba et la clinique Naïma, et je n'ai trouvé aucune place. J'étais déjà venu à 21h et vous m'aviez donné une lettre pour la clinique Naïma”, s'écrie le mari. Après des palabres et les supplications de la mère de la malade, le médecin accepte de prendre en charge la femme qui viendra grossir le nombre déjà important de malades. “Tous les autres hôpitaux refusent les malades et quand elles viennent, elles refusent de comprendre que nous sommes à un taux d'occupation de lits dépassant les 120%”, dit le directeur de garde. La femme est admise et son mari s'empresse d'aller remplir les formalités. Ayant perdu sa carte de groupe sanguin durant le va-et-vient entre les différents hôpitaux, il faudra refaire son groupage au centre de transfusion sanguine. À 5 heures, un jeune homme victime d'une agression avec un couteau se présente au pavillon des urgences. Blessé au visage, il est envoyé au service de maxillo-facial pour y être traité. Le jour se lève. À 7 heures, les infirmiers travaillant le jour prennent leurs fonctions. À huit heures, ce sont les nouvelles équipes médicales de garde qui prennent le relais, permettant ainsi à leurs collègues de prendre une journée de récupération. Pourtant, certains médecins, et notamment les chirurgiens, ne rentreront chez eux que plus tard, après avoir vu leurs malades. L'activité reprend de plus belle au pavillon des urgences. Allongé sur un brancard, un homme d'un certain âge, le pied droit dans le plâtre, gémit de douleur. “Je suis diabétique et on a dû m'amputer d'un orteil, car j'ai eu la gangrène. C'est la faute aux médecins. S'ils m'avaient pris quand j'étais venu voilà 7 jours, ils auraient pu sauver mon orteil”, se plaint-il. Interrogé, un médecin affirme que la gangrène met des mois à se développer avant de se déclarer, non des jours comme l'affirme le malade. Sans passer par le guichet délivrant les fiches-navettes, un jeune homme accompagnant son frère blessé à la main par une machine ouvre énergiquement la porte du box de chirurgie, où il y a déjà plusieurs malades. “Soignez vite mon frère, il saigne abondamment”, dit-il. Un médecin, voyant qu'il s'agit d'une blessure à la main, lui conseille d'aller directement au service de traumatologie. “Vous êtes tous les mêmes. Je vous le dis une fois, pas deux. Vous avez intérêt à le soigner et vite si vous ne voulez pas que je fasse un malheur”, crie-t-il très fort. “Je vous conseille encore une fois d'aller en traumatologie”, lui répond le médecin. Le jeune homme s'énerve de plus belle et essaye d'agresser le médecin. Le surveillant médical intervient et invite les deux frères dans son bureau. Après une brève discussion, ils ressortent et, réalisant leur faute, ils repassent au box de chirurgie pour présenter leurs excuses au médecin. “Nous sommes souvent agressés par des malades. Il y a des policiers pour assurer la sécurité, mais il y a des fois où ils sont absents”, déclare un médecin, tout en regardant le cliché d'une vieille femme présentant une occlusion intestinale. Cette fois aussi, il faudra toute une gymnastique et la compréhension du professeur de chirurgie générale et du directeur de l'hôpital pour lui trouver une place. Cette fois aussi, c'est un lit en réanimation qui fait défaut, d'autant plus que la clinique chirurgicale A est en travaux. Ainsi vont les journées qui se suivent et se ressemblent à l'hôpital Mustapha-Pacha dont les responsable doivent aussi gérer des embouteillages monstres de voitures. Pénurie d'infirmiers M. Dehar, le directeur général de l'hôpital, se plaint du manque flagrant d'infirmiers. Il affirme que les postes budgétaires existent, mais “les paramédicaux préfèrent exercer dans le privé, quand ils n'ont pas carrément quitté le pays pour travailler en Europe”, se plaint-il. En effet, plusieurs paramédicaux algériens sont recrutés par des établissements hospitaliers en France et en Belgique. S. I.