À la sortie est d'El-Eulma, un petit bois appelé forêt Djermène ne fait pas la fierté de la population locale très conservatrice. Après un petit parcours très difficile, nous arrivons sur les lieux. Comme le veut la tradition de la SNTF, le train démarre timidement avec une bonne demi-heure de retard. Le “A. T.”, reliant Alger à Annaba que nous avons déjà présenté à nos lecteurs, est toujours ce fourre-tout où les rencontres aussi insolites que risquées font la particularité d'un train qui manque cruellement d'entrain, quand bien même l'image de sécurité présentée par la compagnie se veut rassurante. Dans le premier wagon, réservé aux journalistes devant se rendre dans la wilaya de Sétif dans le cadre des sorties sur le terrain initiées par la cellule communication du commandement de la Gendarmerie nationale, ont pris place les éléments du détachement spécial anti-criminalité qui attendaient le moment opportun pour entrer en action. Le train est bondé. Les retardataires n'auront pas droit au moindre égard, à l'image de ce couple avec deux nourrissons obligé de s'asseoir à même le plancher à défaut de place. Le mari exhibe les billets comme pour jeter le discrédit sur la compagnie. Il faut dire qu'à bord de ce train, tout rentre dans le désordre. Et qu'on n'essaie surtout pas de justifier cette situation par le rush des voyageurs. Ces derniers n'en ont pas pour leur argent et le client ne peut espérer avoir la considération d'un roi. À la limite de la wilaya de Boumerdès, le chef du détachement anti-criminalité donne les instructions à ses hommes, qui se scindent en deux groupes, pour une intervention plus efficace. Nous les suivons également scindés en deux groupes. Avec les voyageurs qui commencent à s'habituer à ce genre d'actions, le message est passé. De la sécurité dans les trains on en veut tout le temps. “Je peux piquer un somme plus tranquillement”, dira ce vieux qui va à Constantine rendre visite à sa fille. Nous traversons à la hâte les wagons où seules ces images de femmes et d'enfants terrassés par le sommeil retiennent notre attention, les gendarmes vérifient systématiquement l'identité des suspects, essentiellement des jeunes. Zoheir, 18 ans dont 3 en tôle Deux jeunes font l'objet d'une attention particulière de la part des gendarmes. L'un d'eux est trahi par son comportement bizarre et son regard en état de mydriase. Il est tout de suite enferré. Le second garde son calme jusqu'au moment où un gendarme découvre un “joint” et un couteau à cran d'arrêt, enfouis dans le fond de son cabas. Pour le joint, il dira tout simplement que ce n'est qu'une cigarette “Rym”. Quant à l'arme blanche, le jeune reconnaîtra qu'elle est là par “mesure de sécurité”. Lui, c'est Zoheïr, 18 ans dont 3 passés en prison. Nous le rassurons de notre fonction et entamons une longue discussion avec lui, à travers laquelle il nous apprend qu'il habite les hauteurs d'Alger. Un beau garçon qui aurait pu réussir ses études et devenir la fierté de ses parents, d'autant plus qu'il est l'aîné de ses frères et sœurs. Il a toujours été chouchouté. Sa maman a dû attendre 10 ans pour mettre au monde son frère cadet. À 15 ans, il se retrouve en prison pour coups et blessures volontaires sur une personne ayant entraîné un coma profond de plusieurs jours à cette dernière. Zoheïr a, selon lui, essayé de se défendre contre des agresseurs qui ont voulu attenter à sa pudeur. Avec un tesson de bouteille, il blesse grièvement son agresseur. La descente aux enfers est entamée dès ce tournant décisif. Il aurait voulu éviter la grande déception à ses parents n'eut été la fréquentation de son oncle paternel, actuellement en prison. “Il a voulu faire de moi ce qu'il a toujours été. Jaloux de mon père (son frère, ndlr) qui mène une vie honnête, il me demandait de l'accompagner là où il allait pour m'apprendre les vices de l'alcool et des mauvaises fréquentations. En quelques années, je suis devenu son ombre. Je n'obéissais plus à mon père. À présent, je ne peux en vouloir qu'à moi-même”, regrette-t-il. Modelé par l'école de la rue, il ne croit toutefois pas à une insertion, encore moins dans la cellule familiale. Sorti de prison il y a juste un mois, il risque une nouvelle peine avec cette histoire de “joint” et de port d'arme blanche. “Je sais que le rapport de la gendarmerie ne sera pas en ma faveur. En tant que repris de justice, on va me coller facilement 18 mois de prison”, lance-t-il avec une pointe de déception. Il raconte que son retour en prison est un autre épisode dur à vivre. Pour lui, c'est cette amère expérience qui l'a rendu méfiant envers les gens. “Quand on a connu la prison, on le devient par réaction car le milieu carcéral est sans pitié. Cela fait développer des gestes conditionnés”, dira-t-il en faisant également allusion à l'arme blanche qu'il porte, selon lui, par besoin de se défendre en cas d'agression. Pendant que son acolyte était, sous l'effet des psychotropes, en train de danser, Zoheïr demande à manger. On lui offre des gâteaux maison. Nous intervenons auprès des gendarmes pour le libérer momentanément des menottes. Il s'endort quelques moments après. D'autres cas, d'autres histoires meublent cette chaude nuit de fin juin. Une jeune fille aux yeux hagards fixe la caméra du reporter de Canal Algérie et détourne la tête. Son visage émacié et la maigreur de son corps sont assez éloquents pour expliquer sa misère. Elle se confie à un confrère pour lui raconter son aventure des plus insolites. Chassée de la maison familiale par ses frères, elle n'a d'autre refuge pour passer la nuit que ce train où, à la faveur de la sécurité, elle peut fermer l'œil quelques heures. Nous laissons les gendarmes en train d'interroger un jeune homme qui se dit militaire sans pour autant justifier son identité. À partir de minuit, l'ambiance des va-et-vient cède la place au calme, au sommeil qui gagne petits et grands. Les insectes nocturnes sont du voyage. Des nuées de cafards surgissent des interstices de la climatisation, se baladent sur les sièges, ignorant la présence des voyageurs. La compagnie des chemins de fer gagnerait à améliorer les conditions d'accueil de ses clients. Le train annonce son entrée en gare de Sétif. Il est 4h passées d'une poignée de minutes. Plus de sept heures de calvaire ! Loin d'être un compliment. DJERMÈNE et ONAMA : La prostitution à ciel ouvert La ville d'El-Eulma est à 25 km de Sétif. C'est là que le commandement du groupement de wilaya a décidé de nous accompagner. Un tour s'impose à la compagnie de Sétif où le commandant de cette dernière avec ses éléments nous serviront de guides. La route reliant Sétif à El-Eulma est une merveille. Un tapis de bitume garni de poteaux électriques soigneusement alignés. Il faut dire à ce sujet que la ville offre un décor digne des grandes fêtes. Les commerces, surtout de consommation (cafés, salon de thé, salon de glaces) restent ouverts très tard dans la nuit. Une autre particularité et non des moindres est la propreté de la ville dont on dit qu'elle mérite la première médaille du pays dans ce domaine. On raconte ici que le secret est que les Sétifiens sont non seulement jaloux de leur ville mais, en plus, ils joignent l'acte à la parole pour entretenir les lieux. À la sortie est d'El-Eulma, un petit bois appelé forêt Djermène ne fait pas la fierté de la population locale très conservatrice. Après un petit parcours très difficile, nous arrivons sur les lieux. Une pinède à proximité de terres agricoles en jachère. Des milliers de bouteilles de bière vides jonchent le sol. Une voiture est stationnée portes ouvertes. Trois personnes assises sur des pierres consomment de la bière. La troisième suspectée est vite fouillée. Un consommateur de drogue qu'on invite à rejoindre le fourgon. Un peu plus loin, on interpelle des jeunes qui tentaient de s'enfuir à la vue des véhicules. Quatre femmes en tenue légère sont arrêtées. Elles pleurent toutes leurs larmes pour crier à l'injustice. “Nous étions au bord de la route nationale et les gendarmes nous ont embarquées”, déclarent-elles aux journalistes. Elles refusent d'être filmées mais acceptent de répondre à nos questions. Nous demandons à la première de nous dire d'où elle vient. “Je suis de Sétif et je ne fais rien de mal. J'ai quatre enfants et je me débrouille pour les nourrir en faisant des petits boulots chez les gens. Nous sommes venues toutes les quatre pour animer une fête. Moi, je suis danseuse”, dira la plus âgée qui avait du mal à protéger sa nudité. Une autre dira qu'elle est originaire d'El-Hadjar. Une chanteuse qui anime les fêtes familiales. La plus jeune, qui donnait l'apparence d'une mineure, dira qu'elle a 22 ans. Devant nos questions, sa compagne avance qu'elle en a 26. La quatrième confie qu'elle ne fait pas “ce genre de chose”, allusion à la prostitution. “J'ai sept frères, s'ils apprenaient cela, ils me tueraient”, dit-elle en sanglotant. Mais les pleurs ne suffisent pas à cacher l'apparence bien prononcée des ces femmes. La tête de l'emploi ne peut trahir. De retour à Sétif, nous nous dirigeons derechef vers la décharge située en face de la nouvelle université des sciences. L'accès est aussi difficile. Les gens d'ici l'appellent Onama. Le même spectacle s'offre à nous. Un cimetière pour bouteilles de bière, dont beaucoup sont encore pleines, plongées dans des blocs de glace. Là, une assiette contenant les restes d'une kemia (sardines, tomate, bout de pomme de terre). Juste à côté des vêtements de femme de petite corpulence pendaient à une branche. Deux jeunes dans une rutilante Polo sont arrêtés. On retire au conducteur ses papiers pour vérifier s'il n'y a pas de faux. Pas loin de là, un homme d'une quarantaine d'année est interpellé. Il déclare qu'il a été “largué” par son ami qui a pris la fuite. Un professeur de mathématiques au lycée et également à l'université. Il dira qu'une dizaine de voitures étaient là avant notre arrivée. À la rue des Tata et des Corrolla, le peuple de la forêt s'est volatilisé comme par simple coup de baguette de démiurge. “Ils ont des guetteurs munis de portables”, dira le matheux. Quant à son cas, il reste ambigu dans la mesure où il continue par entêtement à soutenir qu'il n'est jamais venu sur ces lieux alors qu'au moment où nous quittons l'endroit, il était en communication avec son compère. Un professeur de mathématiques raisonnant par l'absurde constitue une belle équation à plusieurs inconnues. Ce qui est certain, c'est que les deux lieux visités sont des lieux de rendez-vous galants, mais à bon marché. Tout le monde est complice, y compris ce fameux boucher de Aïn Arnat surpris dans son tacot (une Ritmo déglinguée) et qui n'est autre qu'un clandestin que “les belles de jour” paient pour les accompagner vers cet hôtel de passe à ciel ouvert. Les habitants du bidonville, situé à deux encablures de là, font dans la récupération du butin laissé par les fuyards. Une véritable chaîne économique. Aux dernières nouvelles, on croit savoir que la forêt Onama sera rasée prochainement en raison de l'extension de l'université. Bilan de la compagnie de Sétif - juin 2005 Police judiciaire Délits : 37 Contraventions : 10 Sécurité routière Délits : 221 Contraventions : 35 Amendes : 188 Divers : 495 A. F.