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Une tigresse dévoile ses charmes et sort ses griffes
Un été à Jijel
Publié dans Liberté le 23 - 08 - 2004

Jijel, la capitale du pays des kourama, veille jusqu'à une heure tardive de la nuit pour répondre aux moindres exigences des touristes nationaux. Ces derniers le lui rendent bien en ce jour de semaine, et les commerces du front de mer, du centre-ville et même des quartiers les plus reculés sont fréquentés par des visiteurs qui, ensorcelés par la tigresse, ne font plus attention aux dépenses.
Il est 21 heures passés, quand nous arrivons dans la ville de Jijel. Le boulevard de la plage du Koutama, ex-casino, en plein centre-ville, s'animant au fur et à mesure que la nuit tombe. Les restaurants et cafés qui longent le boulevard, avec ses trottoirs aux dalles multicolores et si larges qu'elles nous rappellent les villes balnéaires de l'autre rive de la Méditerranée, sont d'un aspect architectural qui sied au paysage.
À cette heure-ci, il est difficile de trouver une place vide sur les terrasses des cafés-restaurants. Toutes les tables sont occupées par des couples, des familles ou des solitaires qui ont un point en commun : la consommation.
Pour répondre à la forte demande, tout en présentant un cadre agréable, les terrasses se prolongent jusqu'à la lisière de la mer et où des tables sont dressées à même le sable. Malgré cette occupation agressive de l'espace, ces commerces sont tous d'un aspect esthétique qui fait la différence entre Jijel et les villes balnéaires voisines. Aucune baraque de fortune, sans sanitaires ni eau potable, n'est tolérée. C'est le tourisme, une industrie de qualité, dans un état embryonnaire mais prometteur. Pour un élu local, rencontré sur place : “Ces commerces ouvrent toute l'année. L'été, ils procèdent à une extension de leur activité.”
Pour un professionnel, le temps où l'on croyait “développer le tourisme par les plans de l'emploi des jeunes est révolu”.
En compagnie de notre élu, nous dégustons, sur une terrasse, un café servi dans une tasse avec sa sous-tasse sur fond de musique raï certes, mais dont les décibels sont modulés au point où l'on arrive à écouter le chuchotement des vagues. En effet, cette exploitation optimale de l'espace ne s'est pas faite sur le dos de l'environnement et de l'hygiène. Les lieux sont si propres qu'on se croirait dans un autre temps pour ne pas dire un autre pays.
Pour Tarik, un Colliote venu passer ses vacances, “Jijel a su garder ses atouts de ville ancienne. C'est une ville qui se développe et non un milieu urbain qui se clochardise, comme c'est le cas, malheureusement, de plusieurs villes du pays”.
Même les enfants trouvent mille raisons pour influencer leurs parents dans leur choix de cette destination estivale. Le long du front de mer, de petits manèges, esthétiquement présentables sans occuper trop d'espace, offrent des moments de joie aux enfants. Chacun y va avec ses fantasmes de bas âge. Les uns jouent aux conducteurs de véhicules, les autres aux pilotes d'avion ou encore aux commandants de navires de guerre sous le regard affectueux de leurs parents. Il est 22h30 passées quand nous quittons le front de mer de la plage Koutama. Le boulevard, très fréquenté par des piétons, est ouvert à la circulation automobile. Malgré cela, l'espace d'une heure et demie, nous n'avons été les témoins d'aucune agression contre le cadre de vie des estivants. Où sont passés ces motos et ces véhicules trouble-fêtes qui sèment la terreur dans d'autres villes balnéaires ?
Même les cortèges de mariage, devenus dans certaines villes des rallyes de fous du volant, sont absents du paysage de Koutama-plage.
Vraiment, Jijel a réussi son pari de grandir sans se clochardiser. Daoud, un Jijelien de souche, nous explique toute la philosophie de la chose : “quand on veut vivre à Jijel, on fait un choix : celui d'intégrer les valeurs citadines de la cité millénaire.” Nous quittons le front de mer de la plage Koutama pour nous engouffrer dans la ville. Nous sommes toujours frappés par la propreté de la cité…
Si les commerces du front de mer ne désemplissent, ce n'est pas au détriment du reste de la ville. Les commerçants “permanents” qui attendent avec impatience l'arrivée de l'été pour renflouer leurs caisses sont bien récompensés. Au fur et à mesure que nous nous introduisons dans la vieille ville, on découvre une cité éclairée de mille feux. Il est 23 heures et tous les commerces sont ouverts. Les cafés et surtout les restaurants ont aménagé des terrasses afin de juguler la forte affluence des vacanciers voulant profiter de la fraîcheur des nuits jijeliennes.
La place Barberousse est si animée qu'on a l'impression que le tout Jijel y est descendu. Un restaurant, qui a ouvert à la place de l'ex-siège d'El Khalifa Bank, a même organisé sur sa terrasse, et en plein air, un dîner aux chandelles. Parmi les clients de ce banquet, le couple “M” et leurs deux enfants. Ils sont à Jijel pour la quatrième année consécutive. Pour le chef de famille, “à Jijel, on passe des vacances sans être agressés, y compris par les regards déplacés. Ici, la population locale assimile le départ en vacances et les sorties comme un élément de savoir-vivre et non comme un geste pervers”.
Notre interlocuteur n'a pas tort. Presque la moitié des clients de ce soir sont des familles jijeliennes. C'est peut-être cet investissement des Jijeliens, en plus du travail remarquable mais discret des services de police, dans la rue qui fait de Jijel by night un grand “ouast eddar” où se côtoient parents et voisins, plutôt qu'une ville avec ses undergrounds.
Plus loin de la place, le siège de la direction de l'artisanat est ouvert. Ce détail renseigne sur l'implication de toute la communauté dans la réussite de la saison estivale, ceux à la tête des affaires de la commune et du tourisme en particulier.
Il est minuit quand nous arrivons sur les hauteurs de la ville ou ce que les Jijeliens appellent la “Nouvelle-Ville”. Ici, et à cette heure-ci, la majorité des commerces sont encore ouverts et des clients retardataires s'empressent de faire leurs emplettes. Mêmes les supérettes, à la mode à Jijel ces temps-ci, sont ouvertes et animées.
Des familles entières déambulent dans les rues de la nouvelle ville, elles aussi propres. Nous croisons sur ces hauteurs, rentrant chez elles des jeunes femmes seules sans tuteur et sans être importunées.
La jeunesse jijelienne n'a pas perdu ses traditions, celles des anciennes villes. L'été, dans chaque quartier, ouled el-houma, en groupes, veillent jusqu'au lever du jour devant leurs maisons. On discute, dans une atmosphère saine, de la mer qui est houleuse depuis trois jours au point où aucun bateau de pêche n'est sorti du port depuis et d'Enemra la tigresse, appellation donnée au club local de foot. Mais savent-ils que Jijel la touristique est aussi en passe de devenir une tigresse qui sort ses griffes pour agresser le marché touristique national tout en excellant dans la séduction en jouant de son charme et de ses couleurs ?
Le deuxième jour de notre visite à Jijel, nous l'avons consacré à la côte ouest. Une succession de plages qui vont jusqu'à Melbou, wilaya de Béjaïa.
On peut citer les plages d'Andreux et du grand Phare, celles d'El-Aouana, des Aftis, des grottes merveilleuses et enfin celles de Ziama. Cette année, la côte ouest de Jijel a réussi le pari de remplir ses camps de toile. C'est peut-être la raison pour laquelle la ville de Jijel est animée de jour comme de nuit telle une destination balnéaire de premier rang.
En effet, les campings ont cet atout d'offrir une très forte capacité d'accueil qui peut résorber partiellement, s'ils sont gérés par des professionnels, le déficit en hôtellerie. À Andreux, la plage de Bordj Blida est bondée de monde. Elle renvoie l'image d'un lieu saint un jour de pèlerinage. Même les jeunes barbus d'El-Islah oua El-Irchad ont un campement estival dans ces lieux. Les centres de vacances de la BNA et de Sonatrach sont entièrement occupés. Les estivants sont venus notamment de Constantine, de Sétif et d'Alger pour s'enivrer de la beauté d'Enemra dans ces espaces d'évasion, réputés lieu de villégiature des Jijeliens de souche.
Plus loin, ce sont les Aftis. Là aussi, le taux de fréquentation des sites touristiques est à son seuil maximum ou, comme disent les hôteliers, en “overbooking”. C'est le cas, entre autres, du centre de vacances des familles de la Sûreté nationale qui affiche complet. Même chose pour le camping familial géré par le groupe touristique Nedjma.
Pieds dans l'eau, le camping a du mal à contenter tous ceux qui sont à la recherche d'une tente sur ce site où toutes les commodités sont réunies.
De par et d'autre de la route, toujours bien entretenue et sans nids-de-poule, deux campings sont ouverts. Toutes les tentes sont occupées.
Ici, les estivants ont certes un engouement pour les plaisirs de la mer, mais les petits singes venus jusqu'à la chaussée en quête de cacahuètes sont aussi une curiosité qui vous fait tourner la tête… de la plage. À El-Aouana, ex-Cavallo, les plages sont, elles aussi, bondées. À partir du “trottoir-terrasse” qui fait face au siège de la daïra et qui offre une vue panoramique, la mer vous enivre telle une déesse qui vous enchante avec le bleu de ses yeux. Un véritable chef-d'œuvre de la nature qu'est cette plage ! D'autres plages et criques se succèdent, noyées dans le bleu de la Méditerranée et la verdure du parc naturel de Taza.
Avant d'arriver à Ziama au niveau des grottes merveilleuses, la circulation automobile devient dense. Des gendarmes en mission dans le cadre du plan Delphine essayent de réguler le flux des vacanciers que les gorges, étroites, arrivent difficilement à contenir.
Ici, la plage, bien que très fréquentée, est jalouse des grottes merveilleuses. Pour entrer et visiter les merveilles qui s'y trouvent, il faut faire la chaîne. Qui a dit que les Algériens n'ont pas de penchants pour le culturel ?
Après les grottes, nous découvrons Ziama. C'est une très belle illustration qui nous est offerte en guise de cadeau de bienvenue. Un petit port, avec ses modestes embarcations, prolongé par sa presqu'île et sa plage. Au centre-ville, une une ruelle aux abords d'une mosquée, est très animée. Les commerçants semblent dépassés par la forte demande. Une preuve que Jijel, en cet été 2004, ne vit que par et pour le tourisme.
M. K.


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