Au-delà des considérations ayant conduit à la fermeture de ces établissements, l'enjeu reste la compétition entre une école tournée vers l'universalité et celle prisonnière de la politique. “Haro sur les écoles francophones”, titre le quotidien de gauche Libération de Serge July ; “Alger ferme 42 écoles privées pour refus d'arabisation”, annonce de son côté le célèbre quotidien du soir, Le Monde. Contre toute attente, la décision des autorités algériennes de procéder à la fermeture de 42 écoles privées au motif de “non-respect du cahier des charges” a fait tache d'huile dans l'Hexagone. L'essentiel de la presse parisienne a consacré de larges espaces, parfois même annoncé en une, comme on dit dans le jargon journalistique, à ce qu'on peut qualifier désormais de “l'affaire des écoles privées”. Les télévisions n'étaient pas en reste : LCI, la chaîne d'information en continu, lui a accordé une bonne place dans son journal. Un subit intérêt qui a contraint même le Quai d'Orsay à réagir. “Il s'agit d'une question intérieure algérienne qui s'inscrit dans le contexte plus général de la place de l'enseignement privé en Algérie”, a déclaré le porte-parole adjoint du ministère, Denis Simonneau. Et aux dernières nouvelles, Lionel Luca, un député de l'UMP, le parti de la majorité au pouvoir, a même écrit au Premier ministre Dominique de Villepin pour lui demander quelles étaient les mesures envisagées par la France pour “maintenir la langue française en Algérie”. “Je souhaite connaître, a-t-il dit, les mesures envisagées par la France afin que notre langue puisse toujours être apprise en Algérie, sans quoi la place de l'Algérie au sein de la francophonie ne pourrait qu'être compromise”. Selon ce député, ces écoles sont victimes de “leurs succès” et sont en point de mire de “tous les fondamentalistes”. On l'aura sans doute compris : si le microcosme politico-médiatique parisien a pris “ombrage” de la décision d'Alger, la raison tient essentiellement au fait que c'est la langue de Molière, ce butin de guerre comme aurait dit Kateb Yacine, qui est visée. Et le Quai d'Orsay le dit à demi-mot : “Le français continue d'être enseigné aussi bien dans les écoles publiques que dans les écoles privées agréées, comme l'autorise la législation algérienne qui prévoit un tel enseignement dès le primaire”, a souligné le responsable français. Pourtant, à Alger on se fonde plutôt sur la loi. Ces écoles opèrent “dans l'illégalité” et ne respectent pas le cahier des charges, lequel stipule, entre autres, l'obligation d'enseignement dans la langue d'Al Moutanabi, justifie le département de Benbouzid. Et puis, le Président lui-même avait donné le ton en avril 2005 lorsqu'il somma ces écoles de se conformer à la loi sous peine d'être fermées. Mais est-ce pour autant l'unique raison qui motive cette décision pour le moins impromptue et par certains aspects brutale d'autant qu'elle intervient en milieu de l'année scolaire ? Si elle paraît paradoxale au regard de la propension du Président à faire usage du français dans ses discours sans compter sa participation à deux sommets de la francophonie — l'Algérie étant l'un des plus grands pays francophones au monde —, il reste que la décision semble être sous-tendue, aux yeux des observateurs, par certaines considérations politiciennes. Pour certains, elle constitue une autre concession aux islamo-conservateurs d'autant que l'heure est à la “réconciliation”. Pour d'autres, elle participe de la volonté de l'Etat de se réapproprier des espaces qui échappent à son contrôle et sujet à toutes sortes “d'endoctrinement”. Enfin, d'autres y entrevoient “une forme de marchandage” à l'égard de l'Hexagone dans l'espoir d'accélérer le traité d'amitié, mis sous le boisseau depuis quelque temps. Mais au-delà de ces considérations, l'enjeu reste sans doute entre une école chère à Jules Ferry, celle qui prodigue la citoyenneté ouverte sur l'universalité, et celle empêtrée et prisonnière d'orientations avec les résultats que l'on sait. Celle-là même qu'on a accusée, il n'y a pas si longtemps, de “fabrique de terroristes”. En attendant, ce sont quelque 4 000 élèves qui resteront otages de parents qui refusent d'obtempérer et des autorités décidées à aller jusqu'au bout. Qui a dit qu'il faut chercher le savoir même en Chine ? KARIM KEBIR