Il y a près de quatre ans, Bouteflika se lançait, bras ouverts, à la rencontre des terroristes islamistes. Cette supplique permanente, il en a fait le programme d'un quinquennat. Plus de trois ans et demi et quelques centaines de victimes plus tard, l'Algérie voit encore toutes ses institutions et tout son potentiel politique mobilisés dans la vaine espérance de fraterniser avec l'islamisme et son armée. La victoire de la concorde civile n'est rien d'autre qu'un interminable cérémonial d'humiliation où la nation est sommée de mettre genoux à terre et de guetter le retour rêvé et triomphal de Madani Mezrag, Hattab et Ali Benhadj. Bouteflika aura réussi là où, nous disait-on, personne n'a réussi jusqu'ici : faire avaler sa colère à un peuple conduit à dérouler le tapis rouge aux assassins de ses enfants et aux violeurs de ses filles. Une fois ce niveau de renoncement obtenu, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Il n'y a qu'à se remémorer le spectacle d'une campagne électorale d'un candidat déjà président qui tançait tous ceux qui commettaient le tort de venir l'écouter. Du mémorable “jamais tamazight” de Tizi Ouzou à l'ahurissant “nains” de Béjaïa et jusqu'à la menace, proférée le jour même du vote, de les “laisser à leur médiocrité”, les Algériens n'ont jamais eu droit au moindre égard. Les islamistes d'entre eux seuls méritent la considération, au demeurant clairement formulée dans la déclaration présidentielle, selon laquelle il aurait suivi la même voie s'il avait encore leur âge. Quel meilleur hommage de la République à ses fossoyeurs ! Mais voilà qu'au moment où l'arrangement conçu du côté de Dubaï ou de Riyad semblait se finaliser, un mouvement naissait en Kabylie qui revendique la dignité pour d'autres que les assassins. La République, peu habituée à considérer la citoyenneté, ouvre le feu : pour la première fois, depuis une décennie, il y eut en un printemps plus de victimes du pouvoir que des groupes terroristes ! Le mouvement citoyen a ceci d'impardonnable : il a parasité une convergence en bonne voie entre le régime et l'islamisme. Le chagrin du Président, spontanément exprimé le jour de l'Aïd, qu'on dit par ailleurs et bigoterie jour de pardon. La réponse de Bouteflika au citoyen qui attirait son attention sur l'injustice qui s'abat sur des militants d'opinion est significative d'une démarche à la fois arbitraire et belliqueuse : nulle référence n'est faite à la justice. “Quand vous reviendrez dans le droit chemin”, a répondu le Président en même temps qu'il avouait que, dans le cas des délégués, la prison sanctionnait un désaccord et non un délit. La formule de la réplique équivaut en même temps à un marché : le renoncement contre la liberté. Il n'y a que dans l'esprit d'un despote que la liberté peut se négocier contre le silence. Les emportements présidentiels, si gênants pour l'image de la République, ont ceci d'utile : ils révèlent le degré de mépris qu'il a à l'endroit de son peuple, même s'il en revendique la légitimité par simple commodité. On connaît donc désormais le sentiment réel du Président : la libération des délégués est conditionnée par l'abandon des revendications du mouvement citoyen. Mais pouvait-on attendre d'un Président qui n'a même pas le sang-froid de dissimuler sa colère derrière quelque réplique convenue qu'il fasse la concession de prendre en considération les demandes de citoyens pacifiques ? Tout se passe, en effet, depuis 1999, comme si la considération, du point de vue de notre République, ne se mérite qu'au maquis. M. H.