Afrag, procédé ancestral pour lutter contre l'ensablement, est efficace mais loin d'être suffisant pour venir à bout de ces dunes qui, au-delà de leur magnificence, menacent habitations et agriculture. L'homme du désert s'investit dans un duel perpétuel apprivoisant la nature et luttant pour sa survie… à 300 km d'Adrar, en s'enfonçant davantage dans l'enchanteresse oasis rouge de Timimoun, Tinerkouk, une des 24 communes de la wilaya, semble trôner en maîtresse du Gourara avec ses dix-sept ksour. C'est aussi là que s'offre à nos regards, ébahis, tant de beauté à assimiler aisément au mirage. Le désert est sans nul doute ensorcelant par tant de beauté à travers ses dunes de sable interminables valsant entre une nuance de couleurs jaunâtre et rougeâtre, et cet erg occidental qui s'étale sur plusieurs kilomètres soutenus par des afrag à donner l'impression d'une muraille de Chine sauf que là, ce n'est pas l'œuvre d'un homme mais plutôt celle de la nature. Une nature tellement généreuse pour celui qui sait l'apprivoiser... Aux abords du bassin d'eau, on aperçoit un vieil homme enturbanné dans une djellaba couleur miel. Penché sur un palmier, on aurait dit qu'il lui chuchotait quelque chose. C'est el hadj Tit, notre hôte pour la journée, propriétaire de plusieurs hectares de terre qu'il cultive depuis plus de 25 ans. C'est aussi à cette date que remonte une âpre lutte contre l'ensablement, pour la survie dans le désert. L'année 2006, décrétée par l'ONU “Année internationale des déserts et de la lutte contre la désertification”. El hadj Tit, et avec ses modestes moyens, n'a pas attendu la lente mobilisation internationale pour mener son combat. Un duel perpétuel entre l'homme et la nature. Un défi qui y va de la survie de tout un chacun qui incite à la conquête tel un chant de sirène dont on peut résister à l'appel. C'est du moins le sentiment que nous livre el hadj Tit en nous faisant le tour de son immense plantation dans le périmètre de Benzita, nous présentant chacune de ses réalisations comme une œuvre d'art à laquelle il fait participer toute sa famille. “Ma famille est la première à me soutenir dans cette aventure travaillant à mes côtés coude à coude. Je n'aurais rien pu faire sans elle”, reconnaît-il rendant ainsi hommage à son épouse ainsi qu'à toutes les femmes agricultrices de la région, connues et reconnues pour ce rôle qu'elles accomplissent depuis fort longtemps et avec brio. Poirier, grenadier, olivier, oignon, carotte, betterave, navet, etc., tout est cultivé par ce vieil homme qui fait participer toute sa famille dans ce dur labeur. Et si la culture maraîchère n'est que pour sa consommation personnelle, sa plus grande fierté réside, inéluctablement, dans le palmier-dattier, source de vie de toute chose. En s'approchant d'une hutte réalisée entièrement en palmes de palmiers, une odeur de thé commençait à titiller nos narines, nous attirant tel un aimant. El hadj Tit nous invite alors à partager un moment sacré “siroter le thé selon le rite sahraoui”, le temps de nous livrer les péripéties d'un combat de longue haleine pour surmonter cette dualité qui oppose l'homme au sable, tantôt pour le fasciner tantôt pour lui faire des misères. La besogne n'est pas de tout repos. Le climat n'est pas tendre et l'invasion des criquets, survenue l'année dernière, est venue ajouter son grain de sable aux aléas habituels. “Il faudra tout replanter”, nous dit el hadj qui, visiblement, refuse de baisser les bras même devant l'immensité d'une région comme Adrar qui fait 429 000 km2. Il nous confirme avoir bien bénéficié de l'appui public pour la mise en valeur des terres agricoles, mais il refuse toute idée de crédit comme tout le reste de la communauté locale, comme le leur imposent leurs convictions religieuses. Il se souvient encore du premier jour où il a commencé à délimiter son lopin de terre. “C'était un 27 juin 1985 et ça n'a jamais été facile”, évoque-t-il, pointant un doigt vers un véritable cimetière de pompes à eaux usées, témoins de sa ténacité et de ses sacrifices. Ventant, encore aujourd'hui, les mérites du système d'afrag (palmes de palmiers pour fixer les dunes), il réclame cependant des arbres à planter qui, de son avis, sont le rempart radical pour empêcher le sable de ravager les cultures sans pour autant se faire entendre par les autorités locales qui sont pourtant investies dans la mission de reboisement. M. Zinnedine Boumerzoug n'est pas tout à fait du même avis et ne veut pas sombrer dans le pessimisme. En tant que chef de la daïra de Tinerkouk, il tient à saluer l'initiative de la fondation Déserts du monde d'avoir tenu son premier Festival international des déserts en 2003 et précise que le Fort de Tinerkouk (restauré en 50 jours) est désormais légué à la fondation. Il soutient, cependant, que le meilleur moyen de venir en aide aux populations des déserts est de leur assurer électrification, écoles et routes. “C'est le cas à Tinerkouk et je peux vous dire que ça a changé leur destin à jamais”, insiste-t-il en donnant pour exemple le cas d'El Tit qui, aujourd'hui, grâce à l'électricité, arrive à remplir son bassin d'eau sans difficulté et à améliorer ses cultures. Ces femmes ramasseuses de gravier risquent leur vie et mettent le sol à nu Elles sont là, seules, à deux ou en groupes, les mains nues à ramasser du gravier, pierre par pierre défiant soleil et vent à inhaler la poussière. Rien ne les arrête pour la modique somme de 700 DA qu'elles monnayent contre un chargement de tout un camion. Un labeur de longues heures au prix de la santé et de leur beauté car cette pratique n'est pas sans effet sur leur peau, sur leurs mains écorchées ; les pieds n'y échappent pas, et les poumons, n'en parlons pas. Souvent, quand elles tombent malades, le prix de leurs soins dépassent ce qu'elles ont pu gagner en un long moment. Une situation amère à laquelle les femmes du désert font face en proie à la précarité, notamment pour celles qui n'ont pas eu l'opportunité de fréquenter les bancs d'école. Bien que gratuit, l'accès à l'éducation demeure un luxe dont les filles des ksour éloignés n'osent pas rêver. Les efforts des pouvoirs publics demeurent insuffisants, voire mal déployés. “La daïra de Bordj Badji Mokhtar ne dispose pas de lycée alors que la daïra d'Ougroute en abrite deux pour couvrir seulement trois communes”, déplore Mme Bendiba Meriem, secrétaire générale de l'Union nationale des femmes algériennes (Unfa) qui avertit contre le danger encouru par ces femmes qui ramassent le gravier et dont la majorité sont des jeunes filles. Elles n'échappent pas au viol si elles ne sont pas victimes d'accidents comme c'est le cas de Fatima, ce bout de fille de 13 ans, qui a été victime d'un chauffard sous le regard impuissant de sa mère qui continue encore et malgré ce drame à ramasser des cailloux dans un paysage lunaire… Lutte contre la désertification : Mission impossible ? Pas si sûr ! Ces paysages sans âme, Cherif Rahmani, les a connus très jeune. À Djelfa, sa région natale, il avait vu le désert bouffer des hectares de terres steppiques. Propulsé ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire depuis plus de six ans, il s'investit dans la mission d'insuffler la vie dans ces régions désertiques. À Timimoun, on se rappelle qu'il est venu à plusieurs reprises dans la région et qu'il y a organisé le premier festival sur les déserts. Son implication en tant que président de la fondation Déserts du monde lui a valu la reconnaissance de l'ONU qui l'a désigné ambassadeur et porte-parole honoraire pour l'année 2006, décrétée année internationale des déserts et de la lutte contre la désertification. L'Algérie est, par ailleurs, récompensée et encouragée pour ses initiatives en étant choisie par le Pnue en guise de pays hôte pour la célébration de la journée mondiale de l'environnement (5 juin) sous le slogan “La population qui dispose de faibles moyens le fait à travers ce procédé appelé el barda”. Il s'agit de creuser le sable et de former une auréole. Pour les différents départements de la région d'Adrar, ce n'est pas un vain mot que de parler d'une lutte acharnée contre l'ensablement et la désertification. Tabek Amar et Yahia Kamel, respectivement directeur de l'environnement et conservateur des forêts dans la wilaya d'Adrar, font part de nombreux projets de boisement. Il est question de la réalisation de palissades, de bandes vertes, de boisement de palmiers et de brise-vent ainsi que de la création de pépinières. La coopération internationale, un atout majeur pour le développement de la région Les Italiens sont, sans nul doute, les partenaires privilégiés des algériens dans la lutte contre la désertification de par leur engagement concret dans le domaine et parrainent même des activités pour l'année des déserts et de la désertification. L'Unité d'exécution des projets (UEP), menée par Aurili Massimo, veille au bon déroulement de plusieurs opérations assurant assistance et soutien technique. La wilaya d'Adrar abrite 380 000 habitants dont les 80% sont fixés dans les 294 ksour. Les italiens, pour leur part, s'engagent à réhabiliter la palmeraie de Timimoun. L'abaissement de la nappe phréatique peut être réduit récupérant les eaux pour les réutiliser et ce, grâce à des méthodes modernes de traitement, et le lagunage produira des eaux claires destinées à l'agriculture et à la reforestation. dans ce cadre, il est aussi question de boisement de 1 000 plants dans la zone protégée de Tinerkouk qui abrite le fort. En plus de l'aspect touristique, ce dernier servira de base opérationnelle des axes de recherches (hydraulique, reforestation) grâce à des laboratoires scientifiques. Les italiens participeront aussi, par le biais de l'université de Tuscia, à l'étude de la maladie du Bayoudh qui est souvent fatale aux palmeraies. La coopération internationale se traduit, par ailleurs, par l'implication de la société civile en collaboration avec des élus à l'image du projet mené par l'association française Adelis qui a pour objectif, dans le cadre d'un tourisme solidaire, de participer au développement durable local de la région de Tinerkouk. Il s'agit de planter 1 100 palmiers à Beni Aïssi en plus d'autres actions d'échange et de solidarité. C'est d'ailleurs dans cette optique que s'inscrit la préparation de la semaine d'Adrar en Gironde (France) qui va avoir lieu en septembre prochain. Menad Mehdi, P/APW d'Adrar, nous en parle, d'ailleurs, avec beaucoup d'enthousiasme et aux côtés de Phillipe-Henri Ludru, chef de mission de la coopération internationale du conseil général de la Gironde, tous deux s'accordent à dire que c'est là l'un des moyens de venir en aide à la population et à ses lieux splendides. Comme l'hôtel Oasis Rouge qui avait accueilli la duchesse du Luxembourg dans cet établissement bâti en 1921 entièrement en toub. aujourd'hui, il est érigé en musée. Timmimoun, la ville aux mille secrets n'arrive pas à percer celui du sable. Même si elle cultive le mystère, elle est une terre d'amour et d'hospitalité ; elle n'arrive toujours pas à refouler ce sable qui s'invite même dans les recoins les plus intimes des ksour. Mais les gens du désert connaissent les vertus de la patience et attendent que les arbres plantés face aux dunes soient un rempart à leurs inquiétudes. N. S.