C'est sur instruction urgente de Abdelaziz Bouteflika que le ministre de l'Energie s'est rendu aux Etats-Unis. Sa mission : rassurer les Américains quant au maintien du projet de loi sur les hydrocarbures. Depuis quelques mois, une féroce bataille oppose ouvertement et en coulisse certains ministres du gouvernement Benflis à des responsables de l'UGTA. Principal objet du conflit : l'avant-projet de loi sur les hydrocarbures ficelé par le ministre de l'Energie Chakib Khelil avec, au moins, un assentiment de certains membres du cabinet de George W. Bush. L'UGTA, dont le secrétaire général, Abdelmadjid Sidi Saïd, avait obtenu une copie envoyée sous pli par Khelil lui-même en début de l'automne 2002, exige purement et simplement le retrait du projet. Sous la pression de différents facteurs, Bouteflika décidera alors d'amorcer un recul et d'annoncer, par le biais de son ministre, le retrait de l'avant-projet de loi. En vérité, le projet en question n'a pas été retiré. Il a tout simplement été gelé. Pour rassurer les Américains, le Président algérien dépêche Chakib Khelil à Washington immédiatement après l'annonce. Pour la première fois, nous sommes en mesure de reconstituer les dessous de cette volte-face. Constantine 22 décembre 2002. Maison du syndicat Abdelhak-Benhamouda. Les cadres syndicaux de la wilaya se réunissent pour débattre de l'avant-projet de loi sur les hydrocarbures. La colère gronde au sein du conclave. Certains ont des mots très durs envers des membres du clan présidentiel initiateurs du projet. Le communiqué final qui sanctionne la réunion en dit long sur l'hostilité de l'UGTA. Elle rejette le projet purement et simplement. Deux ministres, Abdelhamid Temmar et Chakib Khelil, font les frais de la colère. Ils sont épinglés pour leurs comportements jugés attentatoires aux intérêts supérieurs de la nation. Le ton est donc donné. L'UGTA ne se laissera pas faire, quitte à susciter du bruit. Beaucoup de bruit. Justement, le ministre de l'Energie devrait participer à un forum organisé deux jours plus tard à l'université de Constantine pour expliciter son avant-projet de loi. Initiateur du forum : la coordination locale des associations de soutien au programme du Président. C'est que la présidence veut peser de tout son poids pour faire passer le projet. Même si le syndicat a tôt fait d'annoncer son refus de participer au séminaire, il compte être présent autour des lieux pour animer un mouvement de protestation. Les pétroliers de Skikda sont alors appelés en renfort pour soutenir le mouvement. A Constantine la tension monte entre détracteurs du projet et partisans de Bouteflika. Des rapports des services de renseignements s'inquiètent de possibles troubles qui pourraient perturber le déroulement du forum. Risque d'affrontements A Alger, l'entourage du Président prépare sereinement le départ sur Constantine. Deux avions sont mobilisés pour acheminer 250 personnes sur les lieux. Chakib Khelil voudrait faire de cette manifestation la grande explication de son projet. Université Salah-Mentouri. Mardi 24 décembre. Les travaux du forum s'ouvrent à l'amphithéâtre devant un parterre de ministres, d'universitaires et de cadres de Sonatrach. Sur l'esplanade du campus, des syndicalistes distribuent des tracts appelant au boycott de la rencontre. Des banderoles aux slogans hostiles au projet sont accrochées ici et là. La manifestation est maintenue en dépit des critiques du syndicat. Impassibles, Chakib Khelil et Abdelatif Benachenhou défendent leur projet. La première journée se déroule sans incident. Mercredi 25 décembre. La presse rend compte de l'événement qui fait la Une des journaux. Comme il fallait s'y attendre, l'UGTA tire à boulets rouges sur les initiateurs de la rencontre. Un dirigeant du syndicat n'hésite pas à parler d'affrontements dans le cas où le projet est maintenu. La situation se corse. Le débat risque de déborder dans les rues. “Si on cherche une confrontation avec le peuple, qu'ils assument leurs responsabilités. Ceux qui cherchent l'affrontement et la déstabilisation doivent assumer leurs responsabilités et savoir qu'une riposte sera organisée pour empêcher l'aboutissement de leur démarche”, affirme un responsable de l'UGTA. La réaction de la Centrale syndicale jette le froid parmi les sphères du pouvoir. La Sécurité militaire craint de sérieux troubles. Le DRS décide alors de prendre les choses en main. Le général Mohamed Mediene, dit Toufik, alerte la présidence. Le patron du DRS interpelle Bouteflika au téléphone sur la gravité de la situation. Quelque temps après, le Président joint Abdelatif Benachenhou sur son téléphone portable pour lui demander d'informer le ministre de l'Energie. Benachenhou transmet alors un message écrit au ministre. Instruction est donnée pour amorcer un retrait tactique. La deuxième journée se termine avec une conférence de presse sur le pouce du ministre de l'Energie. Face aux journalistes qui le pressent de questions, son chargé de communication se veut ferme. “Le ministre a un avion à prendre”, dit-il. En effet, quelques heures plus tard, Chakib Khelil atterrit à l'aéroport d'Alger. Au lieu de rejoindre son domicile dans la capitale, le ministre de l'Energie reçoit l'ordre de se rendre à une autre destination. Il doit rejoindre immédiatement Washington sur ordre de la présidence. Le Président lui demande de se rendre dans la capitale américaine pour prendre langue avec un membre de l'Administration de George Bush. Entretemps, la présidence avait pris toutes les mesures à l'avance quant au voyage du ministre. Chakib Khelil se rend alors à Paris d'où il prendra un vol en direction des Etats-Unis. Il doit rencontrer le secrétaire d'Etat américain à l'Energie, Abraham Spencer, pour l'informer des nouvelles décisions des autorités algériennes concernant l'avant-projet de loi sur les hydrocarbures. Informé en urgence du déplacement du ministre algérien, Abraham Spencer prend attache avec l'ambassade américaine en Algérie. Intrigué par cette demande d'entrevue impromptue, le responsable américain aurait demandé à Mme Janet Sanderson, ambassadeur à Alger : “Que me veut donc M. Khelil ?” Le ministre algérien de l'Energie veut rassurer ses interlocuteurs américains. Au secrétaire d'Etat qui le reçoit, Chakib Khelil tient ces propos : “Nous n'avons pas décidé de retirer le projet de loi, il ne s'agit que d'un gel.” Moins de vingt jours plus tard, il se rend une deuxième fois à Washington pour des entretiens avec Abraham Spencer, Pat Wood, le président de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), ainsi que le sénateur Pete V. Domineci, nouvellement élu à la présidence de la Commission de l'énergie et des ressources naturelles au Sénat américain. Cette fois, les autorités ont tenu à annoncer la nouvelle par le biais d'une dépêche APS, citant une source diplomatique à Alger. F. A.