Pour le patron de la Centrale syndicale, tant que les motifs du mécontentement persistent, la base ne peut qu'adhérer à la contestation. “Il faut qu'ils brûlent”, s'écrie un syndicaliste enflammé. “Je suis d'accord. Mais c'est bien que ce soit toi qui le dises. Moi, à chaque fois que j'ouvre la bouche, on m'accuse de faire de la politique. Rahou yetbeltek…”, se plaint joyeusement Sidi Saïd. Debout, face à une salle archi-comble, il a le sourire franc et l'air assuré. L'appel à la grève de deux jours qu'il a lancé sera certainement suivi. Dans son verbe acéré, le ton rébarbatif a de quoi exulter les foules de travailleurs en panne d'espérances. “Ma y'hesse bel djemra ghir li kouatou. Lazem houma tani ihassou biha” (Ne ressent la braise que celui qu'elle a brûlé. A leur tour, ils doivent la ressentir), décrète avec fougue le patron de la Centrale syndicale. “Il faut qu'ils brûlent”, rétorque ce travailleur de l'Eriad, venu avec les siens prendre note des dernières directives avant le jour J. Dimanche, 23 février. Dans quarante-huit heures, le pays sera à l'arrêt. Face aux deux portraits de Aïssat Idir et de Abdelhak Benhamouda qui l'observent, Sidi Saïd en fait le serment. “Nous allons tout fermer”, promet-il. Dans cette vaste salle de la Maison du peuple, avérée ce matin trop exiguë pour contenir les syndicalistes de l'agroalimentaire et des collectivités locales, les innombrables regards suspendus à ses lèvres s'animent au moindre de ses propos. Les plus audacieux soulèvent un tonnerre d'applaudissements. “A eux (les pouvoirs publics, ndlr) d'apprendre la leçon. Sinon, pour notre part, nous sommes prêts à recommencer. Une balle tirée ne retourne jamais dans le fusil. (R'sassa li takhredj matwelich)”, S'engage avec détermination le secrétaire général de l'UGTA. Rappelant les principales revendications de son organisation, il rejette d'un seul trait la politique des réformes. “Elle va nous mener tout droit vers le précipice. Nous exigeons son annulation”, tonne-t-il avec force. A l'assistance qui acquiesce dans une grande ferveur, Sidi Saïd adresse cependant cet avertissement : “Ceux qui ne marcheront pas avec nous devront assumer leurs responsabilités.” Les réfractaires à l'appel de la Centrale syndicale seront-ils nombreux ? “Si la grève échoue, je partirai”, confiera plus tard le patron de l'UGTA. Devant les cadres des fédérations de l'agroalimentaire et des collectivités locales, il n'aborde point cette triste alternative. L'optimisme et la détermination ont, comme à l'accoutumée, depuis quelques semaines, prévalu dans son discours. A chacune de ses rencontres avec les différentes fédérations et unions de wilaya, le successeur de Benhamouda se présente ainsi, en digne héritier de l'UGTA. “C'est la grève du sursaut syndical”, dira-t-il à propos de ces deux jours de débrayage. En réponse aux assertions qui accréditent plutôt le caractère politique de ce mouvement intervenant à moins d'une année de la présidentielle, Sidi Saïd s'exclame : “Toute grève est politique.” Devant les syndicalistes de l'agroalimentaire et des collectivités locales, il en fait une affaire d'honneur : “C'est pour préserver la dignité des travailleurs.” Pour que cette dignité soit recouvrée, toutes les fédérations qui se sont succédé ces derniers jours au siège de la Centrale syndicale ont fait vœu d'allégeance à leur tutelle. Samedi, les pétroliers, les cadres de la Fonction publique et du BTPH (bâtiment, travaux publics et hydraulique) ont affiché une résolution sans faille. Cependant, si les bases pétrolières de Hassi Messaoud et de Hassi R'mel sont appelées à assurer un service minimum, les fours des briqueteries seront mis en veilleuse. En cas d'arrêt total, ils ne pourront être rallumés avant un mois. L'affaire est donc sérieuse ! “Nous irons jusqu'au bout. A notre niveau, toutes les minoteries seront à l'arrêt”, promet un cadre syndical de la filiale centre de l'Eriad. Assistant à la dernière messe avant le grand rendez-vous de demain, il nous livre les grandes appréhensions des quelques 4 700 de ses collègues menacés de déperdition en cas de privatisation de leur entreprise. “El hamdoullah, nous ne manquons de rien, mais qu'adviendra-t-il de nous si nous perdons notre outil de travail ?”, s'inquiète-t-il. Dans la grande cohue qui s'empare de la Maison du peuple à la fin du conclave, chaque travailleur a une parole rassurante du grand chef. “J'ai 48 ans de service à la Sampac et on m'a jeté à la rue”, se plaint celui-ci. “L'ENAD nous a licenciés abusivement depuis 1997 et ne veut pas nous réintégrer”, se lamente un autre. “Nous représentons les travailleurs de la société équestre. Nous vous soutenons”, lance un troisième. De toutes parts fusent les supplications et les encouragements, si bien que Sidi Saïd trouve du mal à quitter la salle de réunion. Se frayant enfin un passage jusqu'à son bureau, il s'y enferme quelques instants avec ses proches collaborateurs. Il y a là Djnouhat, secrétaire chargé de l'organique, Badreddine, SG de la Fédération des pétroliers, et Aït Ali, secrétaire chargé de la communication. Assis à son bureau, le big boss apporte des correctifs à la dernière mouture de la déclaration du 24 février, date anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures. Tout un symbole dont l'UGTA veut agrémenter sa grève générale afin de la verser à son tour dans l'histoire. “C'est un sursaut du mouvement syndical”, a dit Sidi Saïd. Réitérant sa résolution, rien pour lui ne saurait justifier un recul, pas même une offre de dialogue des pouvoirs publics. En est-il le cas ? “Vous voulez savoir si nous sommes en contact ? Evidemment”, mais sans plus, apparemment. Pour l'heure, tout est mis en œuvre afin que la grève soit un succès. Secrétaire général de la Fédération de l'intérieur et des collectivités locales, Igoussem Amar réunit ses troupes pour un ultime briefing. Dans un bureau attenant à la salle des réunions désertée, il les instruit des dispositions à prendre. Seuls les services d'état civil doivent assurer un service minimum en délivrant comme uniques documents les certificats de décès. Chaque section syndicale est appelée à constituer une cellule de suivi. Les travailleurs doivent être présents sur leurs lieux de travail en dressant des piquets de grève. Ecoutant avec attention toutes ces recommandations, un employé de l'entreprise de nettoyage Net-Com s'est retrouvé là par pur hasard. “J'ai vu du monde, je suis rentré”, dit-il l'air un peu perdu. N'étant affilié à aucune structure syndicale, il ne sait pas s'il a le droit de faire grève ou pas. A l'éducation nationale, le problème se pose autrement. Une guerre syndico-syndicale risque de compromettre le mouvement de protestation dans ce secteur précis. Pour cause, la coordination des lycées qui a débrayé la semaine dernière appelle les enseignants à ignorer l'appel de l'UGTA en représailles contre la FNTE qui s'est désolidarisée de leur action. “A aucun moment, nous n'avons fait cela. Cependant, nous leur avons demandé de prendre leurs responsabilités”, explique Boudaha, secrétaire chargé de l'organique. Niant un quelconque conflit, il assure que tous les établissements scolaires seront fermés mardi et mercredi sur le territoire national. Pour lui, tant que les motifs du mécontentement — bas salaires, absence de statut… — persistent, la base ne peut qu'adhérer à la contestation. A l'instar de l'éducation nationale, le reste du gouvernement sera-t-il réceptif aux revendications du partenaire social ? “Celui qui doit nous écouter (le président de la République, ndlr) préfère partir à l'étranger”, fait remarquer avec ironie une employée de la Centrale syndicale. A l'instar de tous les autres travailleurs de l'UGTA, elle ne fera pas grève. Cordonnier mal chaussé, tout le personnel est en fait réquisitionné pour assurer le suivi du mouvement de protestation dans les 48 wilayas. De quoi sera fait demain ? En attendant le 25, le 24 est un jour festif. A l'entrée de la Maison du peuple, des peintres affairés s'emploient à donner à l'illustre édifice un aspect flamboyant. Par leur action, ses occupants ont également promis de briller. La preuve par les actes. S. L. Agroalimentaire, collectivités locales Pour la défense de l'emploi La rencontre qui a réuni, hier, les cadres des fédérations de l'agroalimentaire, des collectivités locales et de l'administration au siège de la Centrale syndicale est le dernier regroupement organisé avant le jour J. Celui-ci a permis aux syndicats de ces deux secteurs de mettre en relief leurs revendications. L'augmentation des salaires ainsi que l'unification du régime indemnitaire sont les principales exigences de la Fédération des collectivités locales. Elle réclame, par ailleurs, la révision des statuts particuliers ainsi que l'élaboration du statut de la Fonction publique. S'insurgeant contre la politique de privatisation, la Fédération de l'agroalimentaire, qui s'est tout dernièrement élevée contre la privatisation de Giplait et de ses filiales, conteste la liquidation des entreprises publiques et la dégradation du tissu industriel. S. L.