Les déséquilibres du système de retraite et l'augmentation des ratios de dépendance des personnes âgées sont les risques les plus craints. À côté des jardins d'enfants ayant pignon sur rue, il y a quelques squares où nos aînés aiment se retrouver. Avec le temps, ils sont de plus en plus nombreux à les fréquenter. Quelquefois quand ces petits havres de verdure font défaut dans les quartiers, les vieux s'installent sur des tabourets au bas des immeubles pour une partie de dominos. Désormais, leurs assemblées font partie du décor urbain. “Il n'y a qu'à faire un tour dans la ville pour s'en apercevoir”, constate M. Benbella, démographe à l'Office national des statistiques (ONS). Dans la rue, le déferlement des personnes âgées rivalise avec les piaillement des plus jeunes et constitue en soi un indice probant d'une tendance, qu'on pensait encore très lointaine, il y a quelques années : l'Algérie vieillit. En rupture avec la réalité, des politiques continuent à glorifier le mythe de la jeunesse “éternelle” de la population algérienne. Selon certains, 75% aurait moins de 25 ans. Or, il est bien admis aujourd'hui, qu'à l'époque du baby-boom succédera inéluctablement l'ère du papy-boom. Si les principales raisons ayant entraîné un renversement de la courbe des âges sont connues, les enjeux du vieillissement sont peu explorés. Quelles en sont les répercussions sociales et économiques ? Mais surtout y a-t-il des mesures qui sont envisagées d'ores et déjà pour la prise en charge des prochains contingents de retraités ? D'un autre côté, y aurait-il moyen de stabiliser à long terme la pyramide des âges en se préservant du sort des pays du vieux continent où les autorités ont de la peine à relancer la natalité ? Présentement, l'indice synthétique de la natalité est de 2,1. “S'il baisse, il y aura un problème”, observe M. Benbella. Selon lui, l'Etat doit faire en sorte de maintenir la moyenne des naissances à son degré actuel. Les démographes sont unanimes à dire que ces dernières années sont marquées par “une embellie démographique”. Les ingrédients de cet essor résident dans l'augmentation des actifs par rapport aux inactifs (les enfants et les personnes âgées). Mais, fatalement, la courbe fléchira sous le poids des inactifs. Contrairement aux années 1970 et 1980, les moins de 20 ans ne vont plus représenter la frange la plus oppressante. Celle-ci sera constituée des plus de 60 ans. Pour une plus grande lisibilité, les statisticiens font coïncider le début de la vieillesse avec l'âge du départ à la retraite. En 2000, les plus de 60 ans représentaient 6,80% de la population globale, contre 46,11% de moins de 20 ans et 56,76% des actifs potentiels âgés entre 16 et 59 ans. Les prévisions de l'ONS pour l'année 2030 font valoir un rétrécissement de la frange des plus jeunes qui, selon les projections les plus probables, sera évaluée à 29,64%, contre une tendance à la hausse des personnes du troisième âge équivalente à 14,70%. Pour leur part, les Algériens en âge de travailler seront moins nombreux. Le qualificatif “potentiellement actif” employé par les experts de l'ONS, dans l'élaboration de leurs projections, revêt ici une grande importance. Car, en l'absence du plein-emploi, les besoins de nos vieux, soit en matière de retraite ou de prise en charge sanitaire, seront difficilement satisfaits. En 2050, les personnes âgées seront près d'un tiers (23%). La baisse de la mortalité et le rallongement de l'espérance de vie expliquent cet affermissement. Au lendemain de l'Indépendance, l'âge moyen des décès était de 54 ans. Il est passé à 76 ans en 2006. En 2020, l'espérance de vie atteindra 80 ans. Le dernier recensement général de la population a révélé un accroissement annuel moyen des plus de 60 ans pendant 10 ans (entre 1989 et 1998), égal à 4,1%, contre 2,2% pour la population globale. L'amélioration des conditions de vie, les progrès de la médecine ainsi que l'accès démocratisé aux soins ont eu des effets similaires sur la baisse de la mortalité des enfants et des seniors. En revanche, la révolution opérée au début des années 1980 à travers l'encouragement de la contraception a freiné le boom démographique. “À partir de 1986, le nombre des naissances a commencé à baisser”, remarque M. Ouali, sous-directeur de la population au ministère de la Santé. Démographe de formation, il a participé en 2005 à l'élaboration d'une enquête sur la santé et la famille entrant dans le cadre du projet panarabe sur le même thème. D'après lui, le vieillissement de la population algérienne est inhérent à une tendance mondiale. En 1987, les jeunes constituaient la moitié de la population. Durant les années 1970, alors que le nombre des Algériens ne dépassait pas 22 millions, les naissances étaient estimées à 800 000 par an. Les spécialistes assurent que la génération du baby-boom est celle qui posera le plus de problème en vieillissant, car elle est la plus nombreuse. “Elle va renforcer la courbe du vieillissement”, prédit M. Ouali. Dans le calcul des démographes, la vie d'une génération correspond à son espérance de vie. La transition démographique, quant à elle, est étroitement liée à la moyenne de fécondité. Si, auparavant, des politiques ont été menées afin de réduire la natalité et la ramener à un seuil acceptable, les autorités, n'ayant pas encore palpé les risques du vieillissement aujourd'hui, hésitent à prendre leurs dispositions. “Les effets à retardement”, comme les qualifie M. Ouali, concernent en priorité le risque de déséquilibre de la caisse de retraite. Déjà très précaire, le système tout entier est menacé. Dans l'absolu, ce régime de compensation est bâti sur la solidarité entre les générations. “Si à une période donnée, le nombre de gens qui cotisent diminue par rapport au nombre de gens qui reçoivent, les choses se compliqueront”, assène encore M. Benbella. Pour sa part, M. Ouali estime à environ 12 le nombre des actifs cotisant pour un retraité actuellement. Au fil des ans, les donneurs diminueront. L'avancement de l'âge de départ à la retraite n'arrange pas non plus la situation. Après 32 ans de travail, une personne est remerciée. “Or, quelquefois, nous avons à faire à de jeunes retraités de 45 ans qui ont entamé leur vie active très tôt”, note M. Benbella. S'agissant des ratios de dépendance, une notion usitée par les experts pour désigner la nature et la quantité des besoins des inactifs, leur hausse en revanche est assurée. Naguère, les jeunes étaient les plus dépendants. D'où l'importance des frais engagés par l'Etat depuis l'Indépendance, en matière de scolarisation et de santé, dont les différentes campagnes de vaccination. Dans l'avenir, les personnes âgées formeront le gros de la demande. “Cela coûtera très cher”, augure M. Ouali. En tenant compte de l'âge du départ à la retraite et de l'espérance de vie, la prise en charge d'une personne actuellement s'étale en moyenne sur 16 ans. Dans 40 ans, la période s'allongera sur 20 ans. Les personnes âgées atteindront 10 millions… “C'est le moment d'investir le maximum afin de préserver les vieillards contre le dénuement et faire en sorte que le système de retraite reste en vie”, préconise le démographe de l'ONS. Pour peu qu'il soit entendu. Car, il n'est pas sûr que les projections des politiques soient aussi perspicaces. Distillant des slogans d'une autre époque, comme l'allusion perpétuelle aux “forces vives de la nation”, ils refusent d'admettre que “les jeunes ne sont plus l'avenir de l'Algérie”. L'armée des cheveux gris grossit et avance sans que personne prenne conscience de son étendue. “Il existe relativement peu d'informations sur la situation des personnes âgées par rapport à la plupart des autres catégories de la population. L'absence d'informations détaillées signifie que le vieillissement reste méconnu et, de ce fait, les besoins et les problèmes des personnes âgées mal cernés”, attestent M. Ouali et ses collègues de la santé dans le cadre de leur expertise. S. L.