Plus qu'un nom, un symbole et une histoire d'un homme qui a été exécuté trois fois par la France. Ahmed Zabana, dont des pans entiers de son parcours et de son combat n'ont encore pas été dévoilés, orne les frontons des établissements et continue de baptiser les écoles et les musées. À chaque commémoration officielle, à chaque date historique de l'agenda national, à chaque visite ministérielle l'on se remémore le nom du martyr et on envoie chercher les siens, ceux qui portent son nom, pour la photo souvenir à inscrire dans les albums locaux. Abdelkader, le benjamin des Zabana, ressasse, avec amertume, les années “noires” post-indépendance où lui et sa mère ont failli être expulsés du logement, un bien vacant, que Ben Bella avait mis gracieusement à la disposition de la famille du martyr. “C'étaient les années soixante-dix et la mère de Zabana allait se faire expulser de sa maison si ce n'était l'intervention du colonel Athmane”, se souviendra-t-il. De la fierté de porter un tel patronyme sans plus parce que la famille Zabana, selon ses membres, n'a rien reçu des pouvoirs publics malgré toutes les démarches qu'elle a entreprises. “Toutes mes demandes de terrain, de logement ou pour l'acquisition d'un kiosque n'ont eu en écho que des promesses jamais tenues”, dira-t-il encore. L'homme, cynique, fera un parallèle significatif entre les “acquis” de la famille Zabana avec ceux d'autres familles de martyrs. “Du chahid, on n'a que la notoriété du nom alors que d'autres familles de martyrs ou d'anciens moudjahidine sont devenus des milliardaires”, affirmera-t-il. “C'est vrai que notre mère a bénéficié d'une licence de taxi mais, à sa mort, j'ai voulu la reprendre à mon compte mais j'ai essuyé un refus de la part de l'administration.” Abdelkader revient un peu sur l'histoire de son illustre aîné mais avoue ne pas connaître suffisamment la mémoire de celui qui est né en 1926 au quartier populaire d'El-Hamri et non à Zahana dans la wilaya de Mascara comme aiment le croire beaucoup d'historiens. “La tradition voulait que nos parents inscrivent leurs premiers enfants là précisément où ils ont vécu”, expliquera-t-il avant de raconter comment ils avaient appris l'exécution d'Ahmed à travers la radio et le témoignage d'un avocat algérien qui avait assisté à la décapitation. “Le couperet est tombé par trois fois sur mon frère avant de l'achever.” Lucide, Abdelkader se contente de porter, lui et les siens, un nom chargé de symboles. “Pont, musée, stade, écoles, kiosques, magasins Zabana, ne croyez pas que tous les établissement baptisés au nom de mon frère nous appartiennent, ils ne nous ont rien donné. Ils nous appellent pour les circonstances et une fois le ruban coupé et la limonade bue, on nous oublie jusqu'à une prochaine date.” SAID OUSSAD