C'est au son de la zorna et des you yous que la gouverneure du Canada a été accueillie hier matin, au siège de la Radio nationale, avant de se diriger vers le centre Aïssa-Messaoudi pour rencontrer les représentants des médias algériens. À la fois élégante et simple, enveloppée dans un burnous blanc, Mme Michaelle Jean s'est avérée, pendant les deux heures qu'ont duré les retrouvailles, une femme d'une grande sensibilité qui assume pleinement son héritage et ses 18 années d'aventure journalistique. Cela lui fera dire, plus tard, en riant, que pendant les trois heures d'entrevue qu'elle avait eue dimanche, à son arrivée à Alger, avec le président de la République, elle s'était rendu compte qu'elle avait posé beaucoup de questions à Abdelaziz Bouteflika. Quelle autre question aurait posé Mme Jean au Chef de l'Etat algérien, si elle était encore journaliste ? “J'aurais voulu en savoir plus sur le processus de réconciliation”, a-t-elle répondu. Dans son allocution, la gouverneure a rendu hommage aux journalistes algériens, en particulier ceux “tombés sous l'affront, sous cette violence aveugle et cette pulsion dévastatrice”, durant la décennie sanglante, de même qu'à l'Algérie, ce “pays qui a fait le pari de la vie”. Elle a aussi rappelé sa contribution personnelle à l'époque où elle exerçait sa profession de journaliste à la télévision canadienne, à travers ses témoignages sur “ce qui se passait en Algérie”. “Témoigner, c'est faire acte de non indifférence”, a-t-elle déclaré, estimant plus loin que le travail de journaliste va de pair avec “l'exercice de la pensée libre et de la pensée critique”, “la responsabilité”, “l'exercice pédagogique” et “la liberté d'expression”, ainsi que “l'accès à l'information,” “la qualité” de celle-ci et la construction du “projet de société” et de “la démocratie”. Mme Jean a également abordé son parcours de militante pour “le combat pour les idées et les principes”, un combat qui l'a d'ailleurs amenée dans son pays d'origine, Haïti, pour approcher l'“expérience tragique” suscitée par un “régime dictatorial” et faire connaître “les changements” intervenus dans ce pays. “C'est pourquoi je comprends votre courage et votre blessure”, a-t-elle affirmé à l'assistance, puis de souligner : “Je suis ici devant vous, parce que j'ai envie de vous entendre”. Durant le débat, la représentante de la reine Elisabeth au Canada a tenu à réitérer “l'engagement” de son pays à poursuivre “l'accompagnement” de l'Algérie, comme cela s'est fait durant les 41 années passées, même pendant les années noires du terrorisme. En se gardant néanmoins de détailler le plus qu'apportera le Canada à l'Algérie. Pourtant, à la question de savoir comment va s'exprimer son “rôle d'influence”, elle a reconnu que “l'important est de donner à cette institution, qui représente la couronne (de gouverneur général, ndlr) toute sa pertinence, en matière de rapprochement avec les gens”. “Je témoignerai des résultats et de l'impact des mesures d'accompagnement”, a promis Mme Jean, avant de renchérir : “Ce travail constitue un levier d'influence qui n'est pas banal”. Un autre sujet sur lequel la gouverneure s'est attardée est celui du “dialogue entre les civilisations”, en défendant “le respect des différences”, “le pluralisme”, “la tolérance” et la clarification à faire entre “le terrorisme et l'Islam”, ainsi que “la citoyenneté”. Et c'est dans le cadre du rapprochement et de “l'écoute”, du “recul des préjugés”, mais aussi de maîtrise du phénomène de l'immigration que s'inscrit le périple de “la descendante d'esclaves” dans le continent africain, en commençant par la “porte d'entrée” qui est l'Algérie. Son commentaire sur la loi française de février 2005 qui glorifie la colonisation ? “Ma réponse est simple : rendre hommage à ce que vous avez accompli après 130 ans de dépossession de votre histoire, de votre identité”, a-t-elle répondu, avant de conclure : “Je n'ai jamais trahi mes valeurs profondes.” Hafida Ameyar