Alors que le scrutin de janvier approche, la violence qui perdure remet en cause la pertinence de la date fixée. Il est de fait que la recrudescence de la violence, ces derniers jours, a un lien direct avec l'approche de la consultation électorale du 30 janvier prochain qui doit élire outre une Assemblée nationale (Constituante) provisoire, les assemblées de provinces et le Parlement du Kurdistan, région autonome depuis 1991. L'enjeu est de fait important pour la résistance, ou la rébellion, -selon le point de vue d'où l'on se place, pour les Etats-Unis, puissance occupante, et pour le gouvernement intérimaire qui tente de conforter sa position dans l'échelle du pouvoir qui se met en place en Irak. Dans cette bataille à dimension civilisationnelle, la guérilla et les forces armées occupantes (forces multinationales) ne font pas dans les demi-mesures avec comme résultat l'accumulation des carnages dont la population civile paye le prix fort. Organiser des élections dans les conditions qui sont actuellement celles de l'Irak est-ce réellement pertinent, alors que, sans doute, il existe d'autres solutions moins contraignantes pour la population irakienne? Ghazi Al-Yaouar, président intérimaire, en visite aux Etats-Unis, parle, lui, de défi à relever, par le maintien de la date fixée, indiquant dans un entretien à la chaîne américaine NBC «Nous avons encore deux mois, nous devons garder le calendrier tel qu'il est, c'est-à-dire le 30 janvier» pour le scrutin en Irak, affirmant «il n'y a pas de date sacrée, mais les Irakiens doivent relever le défi. Le pire des choses serait de reporter les élections, cela donnerait de l'espoir aux insurgés et aux forces des ténèbres». Certes! Toutefois, ne pas reconnaître les dangers potentiels que recèle une élection bâclée, alors qu'elle est déterminante pour l'avenir du pays, n'est guère politique, et peut, à la limite, être assimilé à une basse vengeance. Car, répéter les erreurs et exclusions dont a été prodigue le régime déchu de Saddam Hussein, outre de diviser la population, ne fera qu'enfoncer l'Irak dans une crise sans fin avec en perspective une partition du pays. Ainsi, après les Kurdes, autonomes depuis la guerre du Golfe de 1991, quasiment indépendant par rapport au pouvoir central, ce sont les chiites, majoritaires dans le pays, qui envisagent à leur tour de créer une région autonome. C'est ce qui ressort d'une assemblée générale de quelque 600 personnalités chiites à Najaf (ville sainte irakienne à l'ouest de Bagdad) qui ont examiné la possibilité de la mise sur pied d'une telle institution avec, comme prolongement, la création d'une « unité régionale » comme l'indique le vice-gouverneur de Kerbala, Oukaïl Al-Khozaï, qui précise «Nous devons nous constituer en unité régionale dans le cadre de l'Irak fédéral». L'Irak fédéral que, sous la pression des Kurdes, prévoit certes la Constitution provisoire adoptée en novembre 2003. En fait, c'est le spectre du démembrement qui guette l'Irak. Si les chiites suivent la voie empruntée par les Kurdes et constituent leur propre région autonome, avec son gouvernement et son parlement, il est à craindre qu'à terme le pouvoir central à Bagdad ne soit plus qu'un pouvoir nominatif sans réelle prise sur les régions et sur le pays. Ce cas de figure a d'ailleurs été vérifié dans l'Irak de Saddam Hussein, (après la guerre du Golfe de 1991), réduit à la seule région centrale de Bagdad alors que, du fait des zones d'exclusion décidées par les Etats-Unis au nord et au sud de l'Irak, de grandes portions du territoire échappaient alors aux prérogatives du gouvernement central baasiste. C'est pourtant ce profil de trois entités distinctes (la troisième étant constituée par les sunnites majoritaires dans les régions de Bagdad et de l'ouest du pays) annonçant en filigrane une possible partition de l'Irak qui a été officialisée par la Constitution provisoire. Dès lors, organiser une élection aussi déterminante dans un pays rongé par l'insécurité et où la sérénité est totalement absente est, à tout le moins, un pari hasardeux et dangereux pour l'unité de l'Irak. C'est cependant le choix que l'actuel gouvernement intérimaire semble avoir choisi. Pour quelle finalité? la question n'a pas de réponse pour le moment.