Différents rapports des contrôles effectués par les inspecteurs de la Banque d'Algérie ont mis en lumière les anomalies et infractions commises au niveau d'El Khalifa Bank. Onze plus exactement entre 1999 et 2003. Dont un consacré au commerce extérieur et aux transferts de capitaux en 2001, sans effets ni suites réglementaires et judiciaires à l'époque, faute “d'inspecteurs assermentés” au niveau de la première autorité de supervision et de contrôle bancaire du pays. Une année avant le blocage du commerce extérieur de KB. C'est ce qui ressortait du témoignage, hier, au tribunal criminel près la Cour de Blida, de Mohamed Khamoudj, le directeur général de l'Inspection générale de la Banque d'Algérie (DGIG). Il a été nommé à ce poste en 1997. La première opération de contrôle a eu lieu en mars 1999 sur instruction de Abdelouahab Keramane, gouverneur de l'autorité monétaire. C'était un contrôle général d'El Khalifa Bank. Il aura duré près de trois mois et a fait ressortir, selon Med Khamoudj, la violation de l'article 139 de la loi sur la monnaie et le crédit (LMC) relatif à l'accord préalable du gouverneur de la Banque d'Algérie avant le changement des statuts et le remplacement des cadres dirigeants de l'établissement. Il fait également mention de la tenue par KB de registres de la présence et de la tenue des assemblées générales, la violation de LMC en ce qui concerne la présence de deux commissaires aux comptes après la démission de l'un d'entre eux, ainsi que la non-maîtrise des règles de gestion des risques, l'absence de procédures d'attribution des crédits. Sans oublier les retards dans la transmission des reporting de KB. En d'autres termes, “une situation pas du tout maîtrisée en matière de gestion, d'évaluation du risque encouru par la banque”. Le rapport établi a été transmis au gouverneur et aux dirigeants de KB qui se sont engagés à “rectifier” les anomalies et insuffisances constatées par les inspecteurs. Un délai leur a été accordé pour régulariser la situation. La situation s'aggrave et se “pourrit” Le 2e contrôle, de suivi, est intervenu de janvier à mars 2000. Là également, les résultats font ressortir qu'il n'y a pas eu d'amélioration, ni de prise en charge des constats établis par le 1er contrôle. D'autres éléments se sont mêmes greffés tels que le recours aux comptes d'ordres qui “commençaient à prendre beaucoup”. Entre la 1re année et la seconde, ils ont augmenté. Le non-respect des mesures de précaution avec le dépassement par KB du taux de 8%. Et bien d'autres anomalies encore, notamment un système d'information qui n'était pas non plus “fiable”. “Les ratios prudentiels donnaient des signes. À ce stade-là, l'urgence était que la banque devait mobiliser des fonds”, dira le responsable de l'Inspection générale de la Banque d'Algérie. Toutefois, certains constats établis par le 1er contrôle ont été pris en charge, selon lui, comme celui relatif à la nomination de deux commissaires aux comptes. Le rapport a été transmis à la “hiérarchie”. Plus explicite, Med Khamoudj dira que le “1er rapport a donné des signes des difficultés de cette banque à prendre en charge sa gestion selon les règles de fonctionnement bancaire. Le 2e, la non-maîtrise de la gestion et l'incapacité de donner une réponse pour les comptes d'ordres”. Abdelouahab Keramane donne pour instruction à la DGIG de transmettre ce rapport à la commission bancaire. Le gouverneur donnera également pour instruction un troisième contrôle qui est intervenu de juin à septembre 2000. Entre-temps, le responsable de la DGIG a reçu le PV d'audience de Rafik Abdelmoumen Khelifa par le gouverneur et qui fait état des instructions et des “injonctions verbales” données par Abdelouahab Keramane au patron de KB de “respecter la réglementation” en vigueur. Et ce, sur la base des constats établis par l'Inspection générale, dira son directeur. Le 3e rapport d'inspection fera état “de nouveau” des mêmes anomalies et insuffisances. “Le système comptable n'assurait plus la fiabilité et l'exhaustivité des informations en l'état de son fonctionnement.” Ce qui présentait un “risque”. Le gouverneur demandera sa transmission à la commission bancaire. Le 4e contrôle a été réalisé de juin à août 2000 et a porté sur “une mission de supervision transversale” à partir des délibérations de la commission bancaire pour l'évaluation des participations de toutes les banques afin de vérifier si les établissements avaient des filiales dépassant les 50% de leurs fonds propres. Constat établi : “Il n'y a pas eu de participation de KB. Elle ne détient aucune participation dans aucune entité.” Par contre, l'inspection a relevé des crédits alloués aux cadres dirigeants de KB dépassant les “73,6%” des fonds propres. Ce rapport a été transmis au gouverneur et à la commission bancaire sur son instruction. Un 5e contrôle a été effectué entre décembre 2000 et janvier 2001. Comme il a porté sur l'agence de Blida, l'inspecteur général ne l'a pas abordé. Un 6e contrôle réalisé entre octobre et novembre 2001 a concerné le “taux de risque” et qui consiste en une mission thématique de vérification des déclarations prudentielles envoyées par KB. Le taux de risque avait augmenté de 4% en décembre 2000 à 5% en juin 2001. “Il y a eu une amélioration, mais n'avait pas encore atteint...”. Due essentiellement à la libération des 75% du capital par les actionnaires avant les délais réglementaires. “C'est peut-être suite à l'injonction verbale du gouverneur”. Ce qui a entraîné aussi le fait que le ratio de solvabilité ait remonté. Ce rapport a été transmis au gouverneur et à la commission bancaire sur son instruction. Infractions à la réglementation des changes constatées en 2001 La 7e opération de contrôle a été diligentée entre mai et octobre 2001 sur instruction de Abdelouahab Keramane. Elle portait exclusivement sur le contrôle des opérations de commerce extérieur de KB, importations et exportations. Ce qui relève habituellement de la Direction du commerce extérieur de la Banque centrale, dira-t-il. “Une première pour nous. Un rapport a été élaboré en novembre faisant état d'un certain nombre de dysfonctionnements dans la prise en charge des opérations, des entorses à la réglementation des changes, des dossiers de domiciliation non justifiés, les problèmes de contrats de leasing de Khalifa Airways avec des transferts non autorisés préalablement par la commission bancaire, sur 20 dossiers un seul avait bénéficié de l'autorisation et deux autres d'un accord de principe ainsi que l'absence d'autorisation de l'aviation civile dans ces dossiers, la domiciliation de plusieurs contrats de Airways sous un seul numéro…”. Ce rapport a été envoyé à Mohamed Laksaci en sa qualité de nouveau gouverneur de la Banque d'Algérie. La loi, rappellera la présidente, prévoit dans ce cadre que le rapport soit transmis au ministre des Finances qui est seul habilité à un dépôt de plainte, partant du fait que les infractions à la réglementation des changes relèvent également du pénal. Sauf que l'inspection générale de la Banque d'Algérie n'a pas pu établir des “PV d'infractions” faute de la présence “d'inspecteurs assermentés” même si ceux qui ont effectué le contrôle ont bel et bien constaté des infractions. Pour le directeur général de l'Inspection générale de la Banque d'Algérie, ce rapport a été transmis au niveau du gouverneur puis au niveau du ministre. “J'ai eu le retour par une lettre d'information de la transmission de ce rapport au ministre des Finances.” Pour la magistrate, malgré l'absence d'inspecteurs assermentés, il fallait “tirer la sonnette d'alarme”. Pas de réponse. D'autant que c'est elle qui a eu à juger l'affaire de la tentative de transfert des deux millions d'euros à l'aéroport d'Alger. “Dieu seul sait combien de millions d'euros sont partis de la même manière.” Ce rapport, pour rappel, est intervenu avant cet événement. Il est également intervenu près d'une année avant la première sanction de la Banque d'Algérie contre KB et qui consistait en la suspension du commerce extérieur. D'ailleurs, le 8e contrôle est intervenu en octobre 2002 et a porté sur les opérations de transfert effectuées par KB au profit de Khalifa Airways. “La mission a été plus importante, les moyens ont été renforcés”. Au fur et à mesure des constatations “verbales ou écrites” des agents sur place, une décision a été prise, celle du blocage du commerce extérieur. Quant au “problème des agents non assermentés”, il n'a pas eu lieu cette fois-ci puisque l'opération s'est déroulée conjointement avec l'Inspection générale des finances. Ce qui ouvrait la “perspective d'établir des PV d'infractions”. Les agents de DGIG ont sur arrêté du ministre de la Justice pu prêter serment en février 2003. Les 9 PV d'infractions établis lors de ce contrôle ont été “dûment” transmis au ministre des Finances. Le 9e contrôle a eu lieu à la même période en novembre et décembre 2002 et a porté sur le contrôle des opérations de transfert. La magistrate lui demandera si le “fait de ne pas avoir d'agents assermentés n'est pas un alibi pour couvrir une situation aussi grave”. Une question restée sans réponse. Ce qui fera dire à la présidente : “C'est ça le problème…” Les prérogatives de l'Inspection générale de la Banque d'Algérie s'arrêtent selon lui à la “constatation” des infractions et à l'élaboration des rapports. Les sanctions ou mesures prises ou non prises par l'institution ne relèvent pas de sa direction. “On ne peut pas faire l'impossible. La procédure du traitement des dossiers de l'Inspection générale suit des procédures verticales et non horizontales. Chaque niveau a ses prérogatives et ses responsabilités”, dira Med Khamoudj. La question étant de savoir pourquoi une institution de contrôle et de supervision bancaire, autorité supérieure aux banques, n'avait pas à sa disposition des agents ou inspecteurs assermentés, susceptibles de constater et de consigner sur des PV les infractions à la réglementation des changes et au mouvement des capitaux. Cette question demeure pour l'instant sans réponse. Samar Smati