À la présidente du tribunal qui pointait le retard de réaction de la Banque d'Algérie face aux infractions constatées d'El Khalifa Bank, et en filigrane la responsabilité de l'institution, Ali Touati, le vice-gouverneur de la Banque centrale, relèvera le temps mis par la justice pour traiter l'instruction du dossier. Rappelant au passage que la justice est intervenue pour proroger les délais de remise des comptes d'El Khalifa Bank à l'institution et critiquant la législation de l'époque en matière d'infraction à la réglementation des changes octroyant au ministre des Finances la prérogative de porter plainte ou de prendre des mesures conservatoires. Ali Touati est celui qui a transmis le fameux rapport relevant les anomalies et infractions sur les opérations de commerce extérieur d'El Khalifa Bank au ministère des Finances en décembre 2001, à l'époque où Mourad Medelci était le grand argentier du pays. “Moi, dans mon imaginaire, je pensais qu'il pouvait y avoir suite au niveau du ministère et que ce rapport pouvait être relayé par l'IGF pour la conduite des inspections et la rédaction des PV d'infractions. Les choses ne se sont pas passées comme je le souhaitais, je voulais une poursuite mais il n'y a pas eu de poursuite”, dira le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie. Interpellé sur le non-recours à des officiers de la Police judiciaire faute d'inspecteurs assermentés au niveau de la Banque centrale, il reflétera sa “réalité”. “Nous sommes des banquiers… Nous sommes à des années lumière de penser à la PJ. On avait d'autres chats à fouetter”, dira-t-il estimant que le rapport en question était “suffisant” pour déclencher une “mesure conservatoire”. Quant à l'absence d'inspecteurs assermentés au niveau de la DGIG de la Banque d'Algérie, malgré la publication 4 ans plus tôt de l'ordonnance 96-22 et de ses textes d'application, il dira être dans l'incapacité d'en percer le mystère. “Au jour d'aujourd'hui même quand je bavarde avec M. Laksaci, nous sommes incapables d'apporter une réponse. Très souvent, il s'agit d'une erreur professionnelle collective et personne ne se rappelle comment on en est arrivé là. On aurait dû faire assermenter les agents dès 1997”. Il s'agit d'une “évidence maximale”. Face aux questions incessantes de la présidente, il relèvera que le rapport envoyé au secrétaire général du ministère des Finances “ne ciblait aucun individu”. “J'ai envoyé le rapport à l'institution, à l'Etat...”, précisera Ali Touati arguant qu'il était attendu qu'une telle démarche soit relayée par la structure. “Je pensais qu'une suite allait être donnée et que le rapport allait être relayé au niveau des structures spécialisées du ministère et lui donner la forme qui permettait, il y avait suffisamment de présomption de preuves, une mesure conservatoire”. Aucune suite n'y a été donnée. Malgré le fait qu'il ait renvoyé à l'institution un autre courrier en janvier 2000 spécifique aux opérations de transfert de Khalifa Airways. “Un dysfonctionnement…” La présidente du tribunal lui fera remarquer qu'il pouvait saisir la commission bancaire. Celle-ci, dira-t-il, ne pouvait légalement tenir une session disciplinaire sans le risque d'être frappée de “nullité” en l'absence de nouveau mandat à deux de ses membres. Une année s'est écoulée avant que le ministère des Finances ne redemande une copie du rapport. Entre-temps, la DG des changes focalisait sur les transferts de Khalifa Airways, la DGIG sur les contrôles d'El Khalifa Bank. “On s'est fait avoir parce qu'ils ne signalaient rien du tout. Ils trichaient”, résumera-t-il. Il donnera pour exemple Khalifa Airways qui ne déclarait pas l'intégralité de ses revenus et ne les rapatriait pas non plus. “On est resté sur notre faim parce qu'on savait qu'il y avait insuffisance de déclaration et retard dans les rapatriements. On le sentait sans en avoir la preuve”. En fin de compte, la DGC a exigé de Khalifa Airways la présentation des comptes sociaux certifiés par des commissaires aux comptes. La réaction de la Banque centrale est intervenue dans un contexte particulier. “Malgré le fait que nous n'avions pas de preuves suffisantes, nous avons constaté quelque chose d'effrayant, les dépôts avaient explosé, les transferts aussi. KB a pris la tangente. Nous avons pris notre courage à deux mains et pris une mesure conservatoire”. à l'époque, il était en mission à Casablanca, Mohamed Laksaci l'a appelé : “Je lui ai dit vas-y…” Le ministre des Finances de l'époque, Mohamed Terbeche a demandé une copie du rapport. “M. Terbeche l'a examiné et nous a fait des remarques pertinentes. Mais une année après, Allah ghaleb… C'est un dysfonctionnement que nous reconnaissons”, résumera Ali Touati. Pour l'ancien directeur des changes, le commerce extérieur de KB ne représentait “rien” en 1999. En 2000, il ne leur était pas possible de déceler “statistiquement” des anomalies. “En 2001, j'ai commencé à m'inquiéter. J'étais sur les nerfs, je n'arrivais pas à fixer KA. J'avais ce sentiment, mais nous ne pouvions rien faire. La 96-22, j'en ai souffert”, dira-t-il en référence à l'ordonnance modifiant la loi 90-10 et octroyant au ministre des Finances la prérogative de porter plainte ou de prendre des mesures conservatoires. Instruction lui a été donnée du gouverneur Laksaci de suivre de près la compagnie aérienne. Les structures de la BA n'ont pas pour autant, répondra-t-il à la magistrate, envoyé les rapports sur les infractions relevant de la violation des règles prudentielles au ministère des Finances. “On aurait pu envoyer des rapports par gentillesse, mais ils n'auraient rien pu faire avec”. Il pointera du doigt les incohérences légales découlant de l'ordonnance 96-22 qui voulait que les structures de la Banque centrale effectuent les contrôles et qu'une autre institution en l'occurrence, le ministre des Finances prenne les mesures conservatoire et puisse déposer plainte. Une incohérence levée après la modification de 2003 et qui redonne la prérogative au gouverneur d'initier de telles mesures. “Maintenant s'il y a une faute, c'est nous. On est totalement responsable. On a rétablit la Banque d'Algérie dans sa souveraineté. Avant, on a cassé le contrôle des changes”. “Depuis 2000, le P-DG de KB ne faisait que ramener les dérogations de la justice” Revenant sur le rapport de décembre 2001, il dira qu'il comportait des propositions générales et visait l'ordonnance 96-22. “Ce n'est pas à moi de dire au ministre des Finances ce qu'il a à faire.” Ni la BA, ni la commission bancaire ne pouvaient réagir en la matière. “Ce qui se disait à l'époque c'est que la loi spécifique est supérieure à la loi générale… Heureusement que la loi de 2003 a réglé le problème. On est heureux maintenant.” Interrogé sur le court laps de temps mis par l'administrateur provisoire pour découvrir ce qui se cachait derrière KB, Ali Touati n'ira pas avec le dos de la cuillère. “Lui, en trois jours, il a découvert que toutes les déclarations de KB étaient fausses. Les inspecteurs ne pouvaient pas s'en rendre compte, puisque les cadres de KB leur ressortaient lors des contrôles les mêmes bilans tronqués”, dira-t-il. Pour lui, les comptes à ordre cachaient les “malversations, cadeaux et vols…” “Khelifa a volé l'Etat, trahi l'Etat...” Quant à la comptabilité truquée, il était difficile de s'en rendre compte sachant “qu'à compter de 2000, le P-DG de Khalifa ne faisait que ramener les dérogations de la justice”. Comble de la malchance pour lui, les commissaires aux comptes, auxiliaires de justice, n'ont jamais effectué de procédures d'alerte. Pis, les commissaires aux comptes qui avaient certifié les exercices de 1999 et 2000 sont revenus sur leur propre certification par la suite. Le problème majeur est toutefois d'une autre nature selon lui. “Il nous a été impossible d'avoir des comptes certifiés surtout à cause de la dérogation judiciaire. Nous avons été obligés d'attendre la fin de la dérogation.” En voulant absolument démontrer la culpabilité de Abdelouahab Keramane, l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, la présidente du tribunal criminel près la cour de Blida a donné une tonalité à laquelle nul ne s'attendait en estimant que l'institution de supervision et contrôle bancaire ne pouvait rester les bras croisés aussi longtemps. “Les sommes sorties en devises Dieu seul sait à combien elles s'élèvent. Où étiez-vous, vous, Banque centrale, dans cette situation avec toutes les structures de contrôle ? Je pense que vous ne pouviez pas rester comme ça”, dira la magistrate. Ajoutant à l'attention du vice-gouverneur qu'il aurait dû s'inquiéter du sort réservé à son fameux rapport et ne pas attendre une année. Il rappellera que la justice a mis trois ans pour l'instruction et que la commission bancaire a mis une année en vertu des procédures auxquelles elle est astreinte. Quant au retard mis pour la désignation de nouveaux membres à la commission bancaire, il refusera d'y répondre arguant que cela relève des prérogatives de l'Exécutif. Face à l'insistance d'un avocat sur le temps mis pour la publication des décrets présidentiels, il s'énervera. “Je proteste énergiquement, nous sommes en train de responsabiliser le président de la République sachant que c'est faux. Il nous a toujours aidés”, dira-t-il, qualifiant les questions de “tendancieuses”. Il reviendra également sur l'octroi de l'autorisation de création d'un établissement bancaire condition essentielle à l'obtention de l'agrément. “Il me semblait qu'il y avait un document qui stipulait cela. Il s'est avéré par la suite que c'était un faux. C'était un acte notarié. Le banquier est tenu pas l'apparence d'authenticité, il n'est pas tenu de vérifier cette authenticité.” Par ses explications, le vice-gouverneur de la Banque d'Algérie aura réussi à éclipser même son gouverneur. En remettant les choses dans le contexte initial. Samar Smati