Abdelouahab Keramane, l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, inculpé dans le procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, nie et conteste, de son lieu d'exil, les accusations portées à son encontre et développées durant les audiences. Il s'agit d'une véritable “mise au point” à laquelle vient de se livrer Abdelouahab Keramane et destinée aux charges retenues contre lui dans l'arrêt de renvoi du procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank actuellement en cours au tribunal criminel près la cour de Blida. “J'affirme que toutes les allégations me concernant sont totalement fausses et que par conséquent mon inculpation est un montage judiciaire”, précise l'ancien gouverneur. S'appuyant sur la loi sur la monnaie et le crédit n°90-10 du 14 avril 1990, Abdelouahab Keramane rappelle dans un communiqué parvenu, hier, à Liberté, dans quel contexte la Banque d'Algérie a octroyé un agrément à El Khalifa Bank, ainsi que les missions de contrôle diligentées par la direction de l'inspection générale de l'institution sur ordre de son premier responsable. Il nie, comme cela a été relevé par l'instruction et la chambre d'accusation, avoir délivré l'agrément à Rafik Abdelmoumen Khelifa sans s'assurer que ce dernier a effectivement versé le capital au Trésor public. “Le dispositif d'agrément d'El Khalifa Bank par les services de la Banque d'Algérie a été mené dans le respect le plus strict des procédures arrêtées à cet effet et a abouti à une décision collégiale du Conseil de la monnaie et du crédit prise à l'unanimité de ses membres”. Pour Abdelouahab Keramane, l'octroi d'agrément n'est pas décidé par le gouverneur mais par le CMC. Celui-ci, présidé par le gouverneur, est composé de six membres, trois vice-gouverneurs et trois membres issus du ministère des Finances. S'agissant de l'agrément de KB, “le dossier des initiateurs du projet a été déposé auprès de la direction de la réglementation bancaire en 1997. Le CMC a décidé lors de sa séance du 25 mars 1998 et la notification de cet agrément, signée par le gouverneur, a été faite le 27 juillet après que KB eut accompli les formalités administratives requises”. Il s'agit, selon l'ancien gouverneur, d'une “décision collégiale et non individuelle, prise dans le cas d'espèce à l'unanimité”. Celle-ci s'inscrit, ajoute-t-il, “pleinement” dans la politique d'encouragement de la libéralisation du secteur bancaire permise par la loi depuis 1990. Libération du capital : “Une infraction pénale” Quant au capital, le code du commerce autorise, selon Abdelouahab Keramane, la libération du capital des SPA par tranches sur une durée de cinq ans, la première devant être égale au moins au quart du capital souscrit. “Néanmoins, j'avais dès juin 2000 demandé la libération de la totalité du capital en raison du développement d'El Khalifa Bank et cela bien qu'au plan de la loi, il lui restait encore un délai de trois ans pour le faire. Cette demande a été exécutée quelques mois plus tard comme l'a constaté le rapport d'inspection n°3 de la Banque d'Algérie”, précise l'ancien gouverneur. Concernant la libération effective du premier quart du capital, l'acte notarié figurant dans le dossier “l'indiquait”, selon lui. Il ne s'agit pas pour Abdelouahab Keramane d'une “infraction bancaire” au regard de LMC mais ce serait une “infraction pénale” prévue par le code de commerce et relevant des institutions de contrôle de droit commun. “Qu'elle n'ait pas été connue des services de la Banque d'Algérie n'est pas anormale”. Pendant la période de constitution de la banque, la Banque d'Algérie a reçu “les statuts qui attestaient dans un acte notarié authentique censé être incontestable que les fondateurs avaient libéré le quart du capital”. Il revenait, selon lui, aux institutions de droit commun de vérifier que les conditions de création de la société KB étaient conformes à la loi et à la Banque d'Algérie de vérifier que le capital souscrit respectait la règle du capital minimum fixé par la LMC. “Les organes de la Banque d'Algérie s'assurent que les différents actes administratifs et actions en vue de la constitution de la banque ont été effectués, mais il n'est pas de la responsabilités de ces organes de contrôler les autres autorités responsables de la production de ces actes (notaire, administration du registre du commerce..).” Le versement du capital au Trésor public ne relève “d'aucune disposition” de la loi sur la monnaie et le crédit 90-10. “Ils ne sont en aucun cas versés au Trésor public comme garantie des créanciers.” Quant à la question du contrôle et des sanctions, Abdelouahab Keramane assure qu'il y a des “contrevérités” à corriger. “Je n'ai cessé d'ordonner des inspections d'El Khalifa Bank, sept en deux ans, et j'avais demandé de rechercher les anomalies éventuelles de gestion dans toutes les banques, chaque fois que des anomalies ont été observées, j'ai veillé à ce qu'elles soient adressées à la Commission bancaire pour être traitées conformément à la loi.” L'ancien gouverneur certifie avoir “réagi selon la loi” lorsque la Banque d'Algérie a mis en lumière des infractions à la loi bancaire commises par KB. “J'ai notamment lancé la procédure disciplinaire de la Commission bancaire et nommé en mai 2001 un rapporteur du dossier El Khalifa Bank. Les infractions à la législation des changes commises par KB ont fait l'objet d'une mission d'inspection que j'ai mise en place début 2001, elles ont été mises en lumière et ont fait l'objet d'un rapport en novembre 2001. Il n'y a aucune base à l'arrêt de renvoi pour fonder l'accusation portée contre moi”, précise Abdelouahab Keramane. Il rappelle d'ailleurs que selon la LMC le contrôle et les sanctions au plan bancaire sont dévolues à la Commission bancaire. “Le gouverneur de la BA ne peut pas prendre des sanctions de façon administrative, les sanctions disciplinaires sont décidées par la Commission bancaire, mais uniquement au terme d'une procédure disciplinaire codifiée (Code de procédures civiles).” “Les dépôts se sont multipliés par trois” Il rappelle également les différentes missions de contrôle diligentées sur son instruction par l'inspection générale de la Banque d'Algérie. Sept inspections sur les dix réalisées entre 1999 et 2003. Les rapports de sept contrôles ont été notifiés à la commission bancaire sur son ordre. Le directeur général de l'inspection générale en a témoigné, lundi, lors de son audition par le tribunal criminel près la cour de Blida. L'ancien gouverneur revient également sur la convocation de RAK le 26 juin 2000 sur la base du 2e rapport d'inspection. Une audience à laquelle a assisté le secrétaire général du Conseil de la monnaie et du crédit. “J'ai mis en garde les dirigeants de KB sur la nécessité d'une maîtrise de la gestion d'une banque qui commençait à se développer, je les ai appelés à libérer rapidement et totalement le capital de la banque, je leur ai annoncé qu'il ne sera plus immatriculé de nouvelles agences et je leur ai annoncé de se conformer aux énoncés du rapport de contrôle”, affirme Abdelouahab Keramane. Le compte-rendu de cette rencontre est consigné dans un PV d'audience qui a été adressé aux membres de la commission bancaire. Abdelouahab Keramane indique également qu'entre juin 2001 où il a quitté la Banque d'Algérie pour assumer la fonction de ministre délégué au Trésor et à la Réforme financière, et novembre 2002 date à laquelle les transferts de fonds de KB ont été bloqués, “les dépôts dans les comptes de KB se sont multipliés par 3 passant de 44 milliards de DA à 135 milliards de DA”. “Cet accroissement rapide des dépôts provenant très largement d'organismes publics avait eu lieu alors que j'avais quitté la Banque d'Algérie”, ajoute-t-il. Il affirme n'avoir rencontré RAK qu'à trois occasions bien précises et officielles. L'accusation de “complicité d'association de malfaiteurs” est, selon l'ancien gouverneur, “totalement gratuite” constituant “une agression” contre lui et un “déni de justice”. C'est la première fois depuis son refus de se présenter au procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, mais également depuis le début de l'instruction de l'affaire, que Abdelouahab Keramane sort de sa réserve. Samar Smati