Il reproche à l'organisation onusienne son indifférence au sort des suppliciés dans le monde et son allégeance aux puissants. “À l'intérieur de l'immeuble de verre de Manhattan, la ruche des fonctionnaires internationaux s'affaire à l'étude des dossiers et à la préparation des conventions et autres résolutions, sourds aux cris des suppliciés. Coupée du monde qui souffre et qui a faim, la communauté internationale, île industrieuse et impuissante, ressemble à l'“Utopia”, de Thomas Moore, ce lieu de nulle part”, ce lieu qui ne peut être qu'un “non-lieu où s'anéantit sa propre raison d'être”. Cette diatribe empreinte d'amertume émane de notre chef de la diplomatie. Invité jeudi soir à Rome par l'Observatoire méditerranéen, Mohamed Bedjaoui, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, a dit tout le mal qu'il pense de l'Organisation des Nations unies. Sous le titre inspiré “Existe-t-il une communauté internationale ?” le ministre a répondu non, sans ambages. L'image malpropre que lui renvoie l'ONU est ce “machin” qui anime les jeux géostratégiques des puissants. Erigée il y a plus d'un demi-siècle pour nouer les liens de la solidarité internationale, l'institution implantée à New York a trahi l'engagement de ses créateurs. “Le silence de la communauté internationale et parfois de l'Europe est resté assourdissant face aux massacres au Rwanda ou en ex-Yougoslavie”, accuse M. Bedjaoui. La faillite de l'ONU à assurer la paix dans le monde et à préserver les peuples faibles et désarmés des appétences des plus forts lui inspire de nombreux autres exemples. Faillant à son rôle de médiateur, comme dans la guerre Iran-Irak, et se gardant bien de condamner les ravages des va-t-en-guerre anglo-saxons, l'Organisation fait pire. L'ancien président de la Cour internationale de La Haye voit en son Conseil de sécurité une annexe du département d'Etat. L'Onu manque-t-elle de volonté ou est-elle impuissante ? “Je vous laisse le soin de juger”, demande le ministre à son auditoire. Dans l'assemblée romaine, jeudi, figuraient Ugo Intini, commissaire européen du vice-ministre des Affaires étrangères, le président de l'association Algérie-Italie et ancien chef de la diplomatie italienne, Gianni de Michelis, ainsi que des membres de l'Observatoire méditerranéen que dirige le vice-président de la Commission européenne et ancien chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini. Sur le plan humanitaire, bien que l'institution onusienne soit équipée, sa solidarité s'exprime rarement. “Les égoïsmes nationaux perdurent et les pays en voie de développement, par un aimable euphémisme, demeurent plus que jamais en voie de développement. (À) une société internationale ne peut offrir l'image d'une vraie communauté au destin solidaire lorsqu'existe en son sein des enclaves de prospérité dans un océan de misère endémique”, épilogue M. Bedjaoui. Pour que le concept de communauté internationale soit enraciné dans les mœurs et les us, le chef de la diplomatie algérienne pose des préalables : effacer la loi de la jungle, discipliner les appétits des Etats, moraliser l'action des acteurs internationaux… Autant de vœux dont Utopia, de Thomas Moore regorge ! Mais que la réalité nie. S. Lokmane