“Cesse d'ouvrir ta grande gueule car la guerre d'Algérie continue.” C'est en ces termes que le général Schmit a mis, en garde en 2002, le militaire Clauarec qui a reconnu avoir exécuté 87 Algériens de manière extrajudiciaire pendant les 57 mois où il avait servi l'armée française en Algérie durant la guerre de Libération. Cet adjudant aujourd'hui à la retraite détient une documentation détaillée et bien fournie sur toutes les opérations auxquelles il avait participé. Pris de remords, il met cette importante documentation à la disposition des victimes algériennes et de leurs ayants droit pour servir de preuves quant aux sévices subis. Et c'est justement de cette mise à la disposition des victimes de preuves que les responsables militaires et politiques français ont le plus peur. Les victimes et les ayants droit n'ont aucune chance d'obtenir des documents par les voies légales, car les autorités françaises refusent d'ouvrir les archives et les pouvoirs publics algériens semblent non concernés par ce problème. Ces révélations ont été rendues publiques hier par Me Benbraham lors de la conférence de presse qu'elle a animée au Forum d'El Moudjahid sur le thème “Torture durant la colonisation, crime d'Etat contre l'humanité”. La conférencière a tenu, preuves à l'appui, à rendre responsable l'Etat français des exactions commises sous sa “bénédiction”. Elle se réfère à la circulaire envoyée par le général Massu aux militaires, le 19 mars 1957, pour leur intimer l'ordre de généraliser la torture. “En 57, le maire d'Alger Chevalier avançait le chiffre de 5 000 disparus, selon les avis de recherches des parents de disparus”, affirme Me Benbraham. Cette dernière rappelle que durant toute la période où les pouvoirs spéciaux étaient conférés à l'armée, suite au vote de l'Assemblée française en 1956, la torture et les exécutions extrajudiciaires étaient institutionnalisées. “La torture devient alors un moyen de gouvernance colonial vis-à-vis du colonisé. En faisant de l'Algérien un objet et de la torture un moyen de maintien de l'ordre. C'était le slogan de l'armée française dès l'instauration des pouvoirs spéciaux”, déclare l'avocate. Devant tant d'exactions, des militaires de haut rang ont dénoncé cette dérive. C'était le cas du général Paris de la Bolardière qui avait refusé d'appliquer les directives de Massu. Il payera cher son humanisme et surtout son sens chevaleresque en temps de guerre en refusant de recourir à la torture. Ce saint-cyrien sera condamné à 18 mois de prison ferme et sera dégradé. Sa veuve est signataire avec le groupe de 12 personnalités françaises réclamant la vérité sur la torture et les exactions durant la guerre de Libération. Par ailleurs, le préfet de police d'Alger Paul Teitdjene, voyant que l'armée avait tous les pouvoirs et devant son impuissance en tant que représentant du pouvoir politique, avait préféré démissionner. Me Benbraham promet de mener le combat jusqu'à ce que les victimes algériennes recouvrent leur dignité et l'Etat français condamné. Elle rappellera les obstacles rencontrés par Louiza Ighilahriz lorsqu'elle avait osé déposer une plainte contre le général Schmit. “Le général tortionnaire avait tout nié et avait traité sa victime de folle”, affirme Me Benbraham. Cette dernière insistera, par ailleurs, sur le cas de Baya Akrour, condamnée à mort par le tribunal permanent des armées alors qu'elle n'avait que 17 ans. Faute de documents officiels, l'avocate rappelle que les livres de certains tortionnaires sont autant de preuves qu'elle utilisera au moment opportun devant la justice internationale. Pour ce faire, elle exhibe le statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet. “Ce statut est applicable pour les crimes de guerre commis en Algérie par l'armée coloniale. Ces crimes sont imprescriptibles et c'est pourquoi tôt ou tard l'Etat français en tant que tel aura à répondre de ces crimes”, ajoute l'avocate qui remercie au passage les militaires français pris de remords et qui se montrent disponibles pour remettre des preuves sur les exactions commises sur les Algériens. L'avocate se demande pourquoi condamne-t-on les auteurs de crimes dans l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, alors que des officiers français avouent leurs crimes en toute impunité. Mme Ighilahriz affirme, pour sa part, qu'elle est en train de réunir des preuves auprès d'ex-militaires français car les voies légales lui sont fermées : “J'ai demandé mes multiples billets d'écrous dans les différentes prisons françaises, et croyez-moi ou non, le directeur du service pénitentiaire du ministère de la Justice français m'a répondu que toutes les archives ont brûlé.” Saïd Ibrahim