Certains esprits candides chez nous et ailleurs en sont encore à s'offusquer de voir les amerloques manipuler à pleins tubes —cathodiques — les images de la tragédie à ciel ouvert qui se déroule depuis vingt jours en Irak. C'est que ces esprits sont en retard d'une guerre et c'est le moins qu'on puisse dire. En effet, la guerre aujourd'hui n‘est plus seulement, comme au temps des mousquetaires, des corps à corps, des combats singuliers. C'est aussi une bataille médiatique pour influer sur le moral des troupes et surtout travailler au corps les opinions publiques qui représentent un front souvent chaud. La première guerre du Golfe, qui a vu toute la planète s'aligner, le doigt sur la couture du pantalon, derrière Bush père est une anthologie de la manipulation. On se souvient avant le début des opérations “Tempête du désert”, deux images choc qui jouent sur la fibre du pathos ont fait le tour du monde. La première est celle de cette fillette koweïtienne montrée tout en larmes dans une maison où tout était sens dessus dessous. Entre deux sanglots cadrés en gros plan, elle disait au journaliste qui l'interrogeait que son père et sa mère étaient enlevés par des soldats de Saddam Hussein, qui venaient d'envahir Koweït-City. Bien après, on apprendra que ces images étaient tournées à la résidence de l'ambassadeur koweïtien aux Etats-Unis et que la fille en question n'était autre que la fille de l'ambassadeur himself. La deuxième image, pas moins émouvante, est celle de cet oiseau montré en train de se dépatouiller péniblement dans une mare de pétrole qui a envahi la mer, après que les soldats de ce même Saddam eurent saboté les puits. D'après des spécialistes de la faune, ce genre de volatiles vit dans les régions polaires. L'image n'était en fait qu'un subtile montage des laboratoires US, destinée précisément à émouvoir l'opinion mondiale, au moment où les questions écologiques et environnementales étaient au cœur de ses préoccupations. Cette manipulation machiavélique visant à diaboliser Saddam et à le montrer comme un pollueur, comme un être sans état d'âme, a été démystifiée et décortiquée bien plus tard, dans l'émission “Arrêt sur image”, qui passe sur France 3. Un ancien responsable de l'information à l'ENTV, au moment de la première guerre du Golfe, nous a confirmé dernièrement cette vérité. Ce même responsable se désole de voir aujourd'hui la télévision algérienne à la traîne, réduite à livrer “des images surgelées”, alors qu'en 91, des journalistes étaient envoyés sur le champ de bataille. Et c'est grâce à leurs images que le massacre d'El Amiria, où des centaines de civils ont péri, a pu être porté à la connaissance du monde entier. Ces images, qui restent un moment fort dans les annales de la télévision algérienne, vendues à l'époque aux chaînes italiennes et françaises, avaient beaucoup gêné les Américains qui voulaient donner une version nickel de la guerre. On se souvient à l'époque où CNN était en situation de monopole, le monde n'avait droit qu'à des plans soft, montrant des avions à l'atterrissage ou au décollage sur des navires de guerre, des marines, manière “Shwartzy”, tout heureux d'aller au casse-pipe. En somme, une vision lisse et surréaliste du conflit irakien qui occulte les horreurs. La guerre, c'est cela, c'est-à-dire de la manipulation, rien que de la manipulation. N. S.