Saddam avait promis de faire de Bagdad leur tombeau ; les forces américaines ont forcé, au bout de quelques jours, les portes de la forteresse sans avoir à subir le feu de la mythique garde républicaine. Hier, au bout du vingt et unième jour de la guerre, ils se sont emparés du centre de la capitale irakienne, sur la rive est du Tigre, en l'absence d'une quelconque résistance. Sur leur route vers le cœur de la capitale livrée au pillage, ils ont uniquement croisé des dizaines de Bagdadiens sortis de leurs maisons en quête de vivres. Arrivés dans l'après-midi sur la place Al-Firdaws, à proximité de l'hôtel Palestine où se trouve la presse internationale les chars irakiens seront vite assaillis par d'autres Bagdadiens, une poignée qui s'acharnera sur une statue de leur président, plantée au milieu de la place. C'est à coups de maillet qu'un homme s'échinera à la démonter. Un blindé terminera le travail en renversant la statue de bronze. L'acte est tout un symbole pour les Américains qui voulaient ainsi prouver au monde, mais surtout aux Irakiens, que le régime de Saddam s'est bel et bien effondré. L'image de cette statue ensuite piétinée par une centaine de civils sert aussi à faire valoir le caractère messianique de la campagne de guerre américaine et son objectif libérateur. L'ensemble des Irakiens l'ont-ils perçu sous cet angle ? Contrairement à ce que prévoyait le président Bush, les grandes scènes de liesse n'étaient pas au rendez-vous, hier, dans les faubourgs de Bagdad. La population, “enfin libérée de son dictateur”, craint-elle un retournement de la situation ou ne veut-elle pas tout simplement tendre la main à des bons samaritains, assassins d'enfants ? Sans doute, aguerris par le précédent de la première guerre du Golfe en 1991 où les chiites et les Kurdes furent durement réprimés pour leurs velléités émancipatrices, les Irakiens ne veulent pas crier trop vite victoire. Mais il n'en demeure pas moins que peu voudraient saluer ceux qui les ont abondamment bombardés pendant près d'un mois comme des alliés. Les Irakiens sont dignes. Toutefois, leur haine du régime de Saddam n'est plus à démontrer. Pour preuve, aucun civil ne s'est risqué, hier, dans une résistance suicidaire contre les troupes américaines. Les feddayine de Saddam ne sont pas morts pour sa survie. Les unités paramilitaires qui devaient soutenir l'armée et défendre les remparts de Bagdad n'ont pas fait leurs preuves. En clair, la mobilisation populaire escomptée par le régime s'est avérée une illusion. Autre utopie, autre mensonge, la grande force de frappe de la garde républicaine, véritable fer de lance du régime. Evanoui dans la nature, ce corps d'élite n'est pas intervenu pour chasser “les envahisseurs”. Dans les rues de Bagdad, aucun char, comme les T-72 de cette fameuse garde républicaine ou les T-55 de l'armée, n'a été vu. De même, le porte-voix des autorités, le ministre de l'Information Essahaf qui promettait aux Américains une défaite sans pareille, a disparu. A son instar, tous les autres membres de la nomenklatura ont, semble-t-il, plié bagages en se repliant dans le bastion de leur chef à Tikrit, dans le Nord. Dans leurs maisons vides, livrées aux pilleurs, restent les vestiges de leur puissance. De même, le palais de Saddam, investi par les marines, a ouvert ses portes sur les excentricités d'un dictateur qui se prélassait dans le luxe alors que son peuple criait famine. Comment Saddam a-t-il, hier, abandonné tout ce faste, sans montrer le moindre signe de résistance face aux Américains ? Il est tout de même énigmatique que la prise de Bagdad se fasse beaucoup plus facilement et rapidement que les villes du Sud, comme Bassorah ? Le président déchu aurait-il négocié son départ en assurant à la coalition une entrée triomphale dans la capitale ? En moins d'une semaine, les Américains s'y sont déployés en mettant d'abord main basse sur l'aéroport international. Comme à son accoutumée, depuis le début de la guerre, le ministre Essahaf avait usé d'intox pour faire croire au monde que Bagdad est une citadelle imprenable. Or, les fantassins américains, soutenus par l'aviation, ont continué à avancer dans la ville. Avec la même rapidité, ils s'empareront de sa partie ouest et occuperont les principaux quartiers administratifs. Hier, les GI's ont progressé sur la rive est du Tigre, tout le long de l'avenue Abou-Nouas qui longe le fleuve. Où étaient les djounoud irakiens qui devaient les attirer dans la ville pour leur imposer un coûteux combat de rue ? Personne ne le sait. Les Américains ont-ils raison de dire qu'ils ont éliminé au moins deux unités de la fameuse garde républicaine ? Qui sait ? En tout cas, une chose est sûre, depuis le début de la bataille de Bagdad, ce sont des combattants légèrement armés — de fusils et de lance-roquettes — qui ont affronté les forces blindées américaines. Face à Goliath, David s'est-il finalement résigné à abdiquer ? S. L.