Dans le Machrek, le Maghreb, les pays du Golfe et la vallée du Nil, c'est l'abattement général. Ni les kamikazes islamistes, ni la Garde républicaine, ni les fidayine de Saddam, ni les promesses de «faire se suicider les soldats américains» ne sont venus apaiser la colère qui couvre le vaste monde arabo-musulman depuis le début de la guerre contre l'Irak. Dans le Machrek, le Maghreb, les pays du Golfe et la vallée du Nil, l'abattement est visible sur le visage de centaines de millions de musulmans, accablés, outrés et stupéfaits après l'inattendue chute de Bagdad. L'espoir entretenu vingt jours durant par l'action de la résistance irakienne à Oum Qasr, Bassora, Mossoul et Nadjaf a été mis en pièces par les images de Bagdadiens exubérants à la vue de l'entrée des chars américains dans la ville d'El-Rachid. Les fetwas des oulémas musulmans avaient fait consensus et préfiguraient un flux de moudjahidine sur la terre d'Akkad et, de fait, une résistance qui ferait «regretter à Bush de s'être aventuré trop loin». Les promesses du ministre irakien de l'Information, Mohammed Saïd Al-Sahhaf, la parade du président Saddam dans les rues de Bagdad en pleine action américaine, la résistance héroïque du Sud, l'homogénéité du peuple et surtout la préservation du légendaire «Haras El Djoumhouri», troupe d'élite des commandos, avaient nourri l'espoir d'une suite qui «rabaisserait le caquet des Etats-Unis d'Amérique». Tout cela s'est estompé le vingt et unième jour de la guerre et le monde arabo-musulman s'est réveillé le lendemain sur une réalité qui l'a ramené à son triste sort. L'accablement est d'une telle acuité que le monde arabe mettra encore plusieurs jours pour d'abord comprendre ce qui est arrivé et ensuite, pour pouvoir agir face à cet échec. Cet accablement est d'autant plus accentué que de petits bourgs, de petites villes du Sud ont tenu, résisté et manifesté une volonté inouïe de repousser l'ennemi, alors que l'entrée à Bagdad a ressemblé à une villégiature des marines, ou à un «deal» passé entre le régime de l'Irak et les chefs militaires américains, par le biais d'un pays tiers, ou d'une partie tierce, et dont on ne sait rien. Les échecs successifs du monde politique arabe ont, d'année en année, nourri et alimenté la montée en puissance de groupes radicaux et extrémistes qui font de l'opposition aux régimes arabes et la résistance à l'hégémonisme américain leur raison d'être. Il est certain que l'administration Bush devra tenir compte de ces nouvelles convulsions qui agitent le monde arabe et musulman, car les effets en seront pernicieux dans les mois à venir. Déjà, durant les jours de guerre (19 mars - 8 avril), près de 80 centres américains d'intérêts commercial et économique dans le monde ont été la cible d'attentats de la part d'organisations armées inconnues. Cet accablement peut aussi déboucher sur un autre radicalisme islamique, sorte d'anti-américanisme primaire du genre de ce qu'avait développé Al-Qaîda auparavant. Si un consensus se noue (cet apanage faisait défaut à Ben Laden) autour de cet axe (l'anti-américanisme), il y a lieu de s'attendre désormais à des actions terroristes résolument et absolument concentrées sur les intérêts américains dans les pays du monde arabe et musulman. Cela peut mettre les Etats-Unis d'Amérique dans une position défensive et tendue, en même temps qu'il éparpillerait les forces américaines dans ces pays et déstabiliserait les régimes arabes en place. Les peuples arabes bouclent leur cinquante-troisième année d'échecs et de déceptions répétées, d'abattement et de désillusions cumulés, depuis l'année où l'Etat d'Israël est venu s'implanter au coeur de la nation arabe. C'est peut-être pour ces raisons qu'il faut comprendre l'engouement de ces populations, désabusées et abattues, pour des actions aussi désespérées que les attentats-suicide dont usent le djihad islamique ou Al-Qaîda. Et comprendre aussi les futures actions qui seront menées, encore et encore, contre les Etats-Unis d'Amérique.