Le questionnaire du ministère de l'Intérieur tarde à arriver. Il y a peut-être là un élément de réponse à la question de l'abstention : la poste traîne et les cartes de vote ne parviennent pas toujours à temps à leurs destinataires. À moins que ce ne soit l'administration qui mette du temps à rédiger ou à poster ses correspondances. Entre-temps, le ministre a reformulé sa question : il ne s'agit plus que d'une simple vérification de la commune de domicile. En matière de résidence, la carte de vote a toujours fait foi auprès de l'administration municipale. Illégalement, elle s'est imposée dans toutes les mairies, par on ne sait quel processus. En dépit de la réglementation qui prévoit d'autres preuves de résidence que la carte électorale, obtenir un certificat de résidence communal sans cette carte relève du… passe-droit. Cette histoire de courrier peut donc légitimement sentir une odeur d'intimidation : la liste électorale est adoptée dans les faits comme liste de résidents. Elle permet d'obtenir son certificat de résidence, de constituer la plupart de ses dossiers administratifs et éventuellement de s'inscrire sur la liste des demandeurs de logements sociaux. Les sans-logis tiennent tant à continuer à “habiter” la liste électorale, antichambre du logement social. S'il ne s'agissait que de vérifier l'adresse des électeurs, et donc des citoyens, pourquoi limiter l'enquête à ceux qui n'ont pas voté ? Pourquoi, parmi les votants, y en aurait-il pas qui, par commodité ou par intérêt, conservent de fausses adresses ? Et puis, pourquoi faire une enquête sur l'habitat à la veille du recensement national de la population et de… l'habitat, opération d'envergure qu'on mènera normalement selon des normes plusieurs fois éprouvées en Algérie même et conduites par des organismes spécialisés ? En tout état de cause, l'administration ne peut décréter que la question de la résidence est la cause de l'abstention, ni même la principale cause. Ce serait un détournement d'un message politique, et cela reviendrait à nier à l'Algérien son aptitude à délivrer un message politique : seul un obstacle matériel, comme celui d'habiter une autre commune que celle de son bureau, pourrait l'en empêcher. Sa volonté propre n'aurait donc rien à voir dans son abstention. Un message politique s'interprète politiquement, par la classe politique et les analystes scientifiques des sociétés. Pour ce faire, il y a des partis, au pouvoir ou pas, et des chercheurs. Il y a aussi des méthodes scientifiques pour définir les raisons d'un comportement sociologique et des organismes qualifiés pour enquêter et l'expliquer en respectant l'anonymat des individus. Au lieu de cela, le pouvoir interprète l'abstention à sa convenance et, la réduisant à une question de résidence, il veut annihiler le message politique à lui destiné en nous adressant des millions de messages administratifs. Or, c'est justement parce qu'il a trop reformulé l'expression des citoyens qu'il a fini par les éloigner de l'urne. On peut donc retourner la question : pourquoi avoir si longtemps voté à la place des électeurs pour ensuite s'étonner qu'ils finissent par penser qu'il n'était pas nécessaire de faire le déplacement du bureau de vote ? M. H. [email protected]