Réagissant à chaud à l'attentat terroriste de Batna, où il était en visite officielle, le président Bouteflika surprendra son monde en investissant le champ où on l'attendait le moins. Surprenant, dès lors qu'on ne reconnaissait pas, même au sein de ses farouches opposants, à Abdelaziz Bouteflika l'usage du fonds de commerce “du complot étranger”. Il serait peut-être loisible de mettre les accusations de notre Président contre des puissances étrangères sur le compte d'une émotion mal contenue, ou encore y voir le souci de désigner un coupable qui donne le beau rôle à l'autorité suprême de notre pays. Mais, c'est assurément faire injure au profil du personnage qui reste quand même l'un des “poids lourds” de la diplomatie, ayant su toujours faire l'économie de déclarations à “l'emporte-pièce”. Ceci pour dire, sans circonstances atténuantes, que ces accusations présidentielles méritent d'être creusées. Ne serait-ce que pour tenter d'aller au bout de cette logique qui s'intègre du reste harmonieusement, aujourd'hui, plus que par le passé, dans un contexte mondial où le plus fort est censé avoir toujours le dernier mot. Nous voilà ainsi donc dans le vif du sujet des relations internationales où les différends politiques, économiques, énergétiques entre Etats se règlent à l'issue d'une épreuve de force, dont le vainqueur sera nécessairement celui qui négocie en “position de force”. Exit donc le langage diplomatique, les professions de bonne foi, la fraternité, les vœux de bonheur, de prospérité et de solidarité que s'échangent à tout-va les chefs d'Etat quand ils sont sous les feux de la rampe. Car l'équation est simple : la force d'un Etat s'apprécie à l'étalon de la faiblesse de son voisinage. Aujourd'hui, l'image est forte. Celle d'une Algérie qui a fermé la parenthèse de la décadence, du moins à travers l'image qu'elle renvoie désormais à l'extérieur et qui ressemble à s'y méprendre à celle d'un Etat considéré dans les années 1970 “La Mecque des révolutionnaires”, le ténor de l'Opep, l'animateur le plus actif des Non-Alignés, le plus ardent défenseur de la cause palestinienne et le plus dynamique promoteur du droit des peuples à disposer de leur destin national. Convenons que ce lustre, notre pays ne le devait pas exclusivement au dynamisme diplomatique hors pair ou encore au charisme de ses responsables de l'époque. Non ! L'Algérie avait les faveurs d'un contexte économique, d'une conjoncture pétrolière, d'une paix sociale et de l'aura de la plus significative révolution du XXe siècle qui lui donnaient les moyens de sa politique. Le regretté président Houari Boumediene disait qu'il fallait construire un “Etat qui doit survivre aux hommes”. Après sa mort, peu de chose dont pouvait s'enorgueillir l'Algérie lui ont survécu. La voix de l'Algérie s'est tue avec celle de Houari Boumediene. La fin d'une époque. On ne défendait les causes justes que du bout des lèvres. Pouvait-on faire autrement quand on était les obligés des autres et qu'on acceptait en naufragés une aide d'où qu'elle venait ? Subitement, on n'éprouvait plus le besoin de demander des comptes à la France sur son passé colonial. Souvenons-nous quand François Mitterrand s'enhardit jusqu'à demander à l'Algérie de supprimer une strophe de notre hymne national jugée attentatoire au prestige de la France. Le Maroc reprenait du poil de la bête et même la Tunisie remettait en cause un bornage frontalier. Quant à Mouammar Al-Kadhafi, il faisait de notre pays son souffre-douleur. On était en plein programme anti-pénurie, alors que les argentiers élisaient domicile dans la maison Algérie, pour se rassurer si l'on avait bien dépensé l'argent qu'ils avaient prêté en parfaits usuriers. À cette époque, effectivement, il était vraiment risible de parler de “complot étranger”. Tout le monde se comportait en seigneur avec l'Algérie avec ce suprême chantage de couper le robinet. L'avènement de l'islamisme politique et son avatar le terrorisme asséna le coup de grâce à un pays qui devait servir, selon le roi du Maroc Hassan II, de laboratoire à la prise et l'exercice du pouvoir par les islamistes. Bref, l'Algérie n'avait plus voix au chapitre. Ceci nous amène à l'attentat de Batna qui visait initialement la personne du président de la République. L'Algérie de Bouteflika dérange. Trivialement dit, c'est un “empêcheur de tourner en rond”. Et qui plus est dispose d'arguments massue pour dire non ! Quand ses intérêts sont remis en cause. L'actualité la plus récente nous donne de beaux exemples et autant de bonnes raisons qui peuvent motiver à faire taire à jamais la voix de Abdelaziz Bouteflika. Autant dire une voie royale peut-être pour rééditer le scénario de la grandeur et décadence de l'Algérie des trois dernières décennies. Parlons, par exemple, de la politique de voisinage de l'Union européenne (PEV) et le refus poli de l'Algérie. Les objectifs de la PEV tiennent en trois mots : stabilité, sécurité et prospérité. Notre pays a estimé que de tels objectifs ont été déjà pris en charge par d'autres mécanismes et qu'en dernier ressort, il a jugé qu'il ne tire aucun profit de cette politique de voisinage qui est une manière déguisée d'imposer aux pays du sud de la Méditerranée la vision européenne. L'Algérie est l'un des rares pays à avoir dit ouvertement non au projet. Et ce refus reste assez problématique. Et à cet égard, il ne serait pas inutile de faire un clin d'œil à la dépendance énergétique globale de l'Union européenne qui va s'accroître : en 2030, l'UE importera plus de 70% de sa consommation (contre un peu plus de 50% actuellement). Or, l'Algérie joue un rôle fondamental dans l'approvisionnement de l'union. Dans la production de l'énergie bien sûr, l'Algérie est aussi un important fournisseur de gaz. Cette dimension figure en bonne place dans la politique de voisinage. Pour desserrer la contrainte énergétique, l'UE s'efforce de développer des réseaux énergétiques fiables, et de créer ainsi un espace intégré entre l'UE et ses voisins. Tout cet échafaudage risque d'être contrarié par l'Algérie. Autre exemple. Les Etats-Unis en prospection en Afrique pour trouver un pays d'accueil à leur Centre de commandement militaire pour l'Afrique (Africom) avaient essuyé un refus de l'Algérie de servir de base à une infrastructure censée chapeauter toutes les opérations de combat américaines dans le continent. L'Algérie figure toujours en première place des pays que les Etats-Unis souhaitaient convaincre pour abriter l'Africom. Les observateurs avertis estiment que l'installation du centre de commandement en Afrique est destinée à renforcer davantage l'influence de Washington sur le continent et de s'assurer de ses richesses, notamment pétrolières, qui attirent les convoitises de plusieurs pays émergents dont la Chine. L'Algérie semble avoir une autre idée et l'a bien signifiée aux Etats-Unis. Quelles auraient été les réactions officielles américaines, européennes si l'on se projetait dix années en arrière ? On s'interroge ! N'est-ce pas que la présence de Bouteflika à la tête de l'Etat algérien dérange à ce point pas mal de capitales ? ZAHIR BENMOSTEPHA