Des avocats ont relevé le vide juridique relatif à la session des terres agricoles. Les fellahs qui ont conclu les transactions par le biais d'intermédiaires n'ont même pas quitté leurs terres. Le tribunal de Chéraga a rendu son verdict hier, concernant l'affaire du foncier agricole de Bouchaoui. Hadjas Brahim et ses deux enfants, Chérif et Kahina, actuellement en fuite, ont été condamnés à 10 ans de prison ferme assortie d'une amende de 100 millions de centimes. Une peine requise initialement par le procureur de la République dans son dernier réquisitoire. Le juge a prononcé également des peines de 5 ans, de 4 ans et de 18 mois respectivement à l'encontre d'une dizaine de fellahs, des intermédiaires, de la notaire, de la secrétaire particulière d'Union Bank et d'une quarantaine d'exploitants agricoles, assorties d'amendes allant de 50 000 DA à 100 millions de centimes. Quant aux personnes ayant construit “illicitement” sur les terrains objet de l'enquête, elles ont bénéficié d'un non-lieu, mais leurs constructions seront démolies. Le représentant des services agricoles pointé du doigt lors des plaidoiries sera également acquitté. Il est presque 11h quand le juge est annoncé. Il ne lui faudra que quelques minutes pour donner lecture du verdict. Les journalistes peinent d'ailleurs à suivre l'égrènement des noms mis en cause. L'assistance tout ouïe fixe le juge comme pour essayer de deviner dans son regard un quelconque signe de clémence. Des visages s'assombrissent soudainement pendant que d'autres prennent un air de satisfaction. Sur le même banc, des réactions de désolation côtoient les sourires. Des chuchotements et des apitoiements. Un verdict non admis par les familles des mis en cause. La seule lueur d'espoir est qu'aucun mandat de dépôt n'a été prononcé à l'exception de la notaire et de l'intermédiaire, en prison depuis quinze mois. À la levée de la séance, les avocats sont pris d'assaut. Ces derniers qui avaient un certain optimisme avant la lecture du verdict ont tenu un langage plutôt sévère. Il est vrai que les plaidoiries menées par un panel d'illustres avocats, il y a quelques jours, laissaient entendre une meilleure issue d'autant plus que les deux principaux chefs d'accusation, “association de malfaiteurs” et “dilapidation de deniers publics”, n'ont finalement été retenus que contre Brahim Hadjas et ses enfants. En donnant lecture des peines, le président du tribunal a, en effet, annulé ces deux accusations retenant plutôt l'infraction contre la propriété foncière. Là aussi, les avocats de la défense relèvent que la peine maximale a été retenue. Autrement dit, l'on reste en quelque sorte critique sur la sévérité des peines. Un procès dont “l'instruction a été bâclée”, selon l'avocat Rachid Bouabdallah. Pour rappel, des avocats avaient, lors des plaidoiries, relevé le vide juridique relatif à la cession des terres agricoles. Les fellahs qui ont conclu la transaction encouragée par des intermédiaires n'ont en réalité même pas quitté les terres. Il y sont toujours. Le seul péché qu'ils ont commis est d'avoir signé un document dont la teneur ne leur a pas été correctement expliquée. Leur souci unique était d'améliorer leurs conditions lamentables. Toute une vie sur une terre qui ne leur rapportait pas grand-chose. “Pourquoi ne pas profiter d'un minimum ?” dira l'un d'eux aujourd'hui sorti “indemne” de la tempête, mais verra son petit rêve s'évaporer avec la démolition d'un petit toit en parpaing. Bensouda pique une colère Agissant comme intermédiaire, Djamel Bensouda est en réalité un homme d'affaires qui s'est retrouvé mêlé à cette histoire, alors que, selon sa propre famille, il n'a pas touché un rond. Dans l'affaire du foncier de Bouchaoui, son but était de travailler avec Hadjas une fois ce dernier établi sur les lieux. Bensouda n'était pas dans le besoin en aidant Hadjas à trouver des “désisteurs”, lui qui était avant son arrestation à la tête de Volvo Algérie. Sa femme dira dans ce sens que son mari a hypothéqué ses biens, y compris sa maison, pour cela. “Je suis l'homme le plus honnête”, s'est-il écrié à la suite de l'annonce du verdict qui le condamne à 4 ans de prison ferme. “Aujourd'hui, mes enfants et moi risquons d'un moment à l'autre de nous retrouver à la rue”, a déclaré sa femme en pleurs. D'autres personnes, des femmes, des vieux et moins vieux, abondent dans le même sens. Ils s'interrogent sur le silence observé jusque-là concernant les expropriations au nom de la loi. “Pourquoi deux poids, deux mesures ? Pourquoi ne pas appeler devant la justice ceux qui ont pris des terres pour les détourner de leur vocation et en faire des paradis personnels ?” lance cet homme d'un certain âge qui a travaillé tout petit chez Borgeaud, colon et propriétaire de l'actuel domaine Bouchaoui. Même lui n'a pas échappé puisque cité parmi les occupants illicites, alors qu'il a de tout temps vécu sur les lieux. Pour la défense qui espérait une clémence du tribunal, cette affaire a pris une tournure où le discours politique a trôné. Sur 167 personnes citées dans cette affaire, plus de la moitié ne comprend pas sa présence au tribunal. “Si l'on veut des boucs émissaires, qu'on nous mette tous en prison, mais que le président de la République que nous soutenons jusqu'au bout sache que la hogra existe toujours”, observe cette vieille femme et de renchérir : “Hadjas savait certainement ce qu'il faisait. Pas nous les misérables qui ne demandons qu'un toit et un morceau de pain.” Pour le collectif d'avocats, on reste toutefois sereins en attendant l'appel au niveau de la cour de Blida où l'on espère, en tout cas, une lueur d'espoir. C'est le cas de l'ex-secrétaire particulière de Hadjas devenue, avec sa béquille, un monument incontournable au niveau du tribunal de Chéraga. Le procès du foncier de Bouchaoui, un mini-Khalifa, est-il le début de la fin des trabendistes du foncier agricole ? “Il reste encore des choses à revoir”, répond un avocat. Ali Farès