Le chanteur, aux côtés du président français Nicolas Sarkozy à Constantine, dans le cadre d'une visite d'Etat en Algérie, c'est tout un programme ! Car les décryptages du détour du chef de l'Etat français par la ville natale de Gaston Ghrenassia devront, désormais, composer avec un éventuel réveil des vieux démons qui iraient sûrement “pimenter” un débat franco-algérien, amorcé par un commun accord de Bouteflika et Sarkozy dans un “climat d'affaires”. Reste donc cette inévitable question de savoir si la présence d'Enrico Macias dans la délégation présidentielle française ne procède pas d'une entente qui suppose des concessions tout à la fois de l'Elysée et d'El-Mouradia sur le strict registre des sujets qui fâchent. Auquel cas, le jeu vaut bien la chandelle pour un Président algérien qui accepte volontiers de courir le risque d'une polémique, capable de partir dans tous les sens, pour engranger, par ailleurs, des dividendes autrement plus rentables au chapitre des contentieux historiques qui empoisonnent toujours les relations algéro-françaises. Le clin d'œil reste, dans cette veine, perceptible à l'endroit par exemple de la restitution des archives, ou encore d'une relance du pacte d'amitié revu et corrigé à la faveur d'un signal fort qui convoque avec insistance la réciprocité. D'autant mieux qu'il est difficile d'envisager sous un angle de pure coquetterie, ou encore sous l'air du défi, voire sous les allures d'une imprudence, la décision sensible de Nicolas Sarkozy de ramener en Algérie dans ses bagages des ingrédients explosifs susceptibles de compromettre une visite d'Etat placée de surcroît sous le signe du réalisme qui devra désormais présider à un partenariat d'exception. N'est-ce pas que cela fait beaucoup pour que le président de la République française cède à la tentation de renvoyer l'ascenseur aux plus acharnés supporters de sa candidature à la présidence, et permettre ainsi à son ami Macias de réaliser un vieux rêve ? Invité en décembre 1999, officiellement par le premier magistrat du pays Abdelaziz Bouteflika, Enrico Macias devait visiter sa ville natale en 2000. Fut-elle présidentielle, cette invitation a déchaîné les passions. Ou plutôt, dirions-nous, parce que justement cette invitation avait émané du président de la République qu'elle avait réveillé les vieux démons. À ce qu'on sache, nombreux sont les Juifs d'Algérie, dont la notoriété n'a rien à envier à celle d'Enrico Macias, qui ont visité des régions du pays sans que personne trouve à redire. Roger Hanin par exemple… Sauf que la venue des autres Juifs d'Algérie dans leur ville natale n'était pas grosse de connotations politiques nées d'une volonté d'un président de la République qui ambitionnait, aux balbutiements de son premier mandat, de crever un abcès de fixation de la haine que se nourrissent mutuellement des nostalgiques de l'Algérie française et les tenants d'un islamo-conservatisme résolument tourné vers le Proche-Orient. Manifestement, Bouteflika voulait mettre ces antagonistes dos à dos, d'autant mieux que son choix s'est porté sur une personnalité qui a ostensiblement montré qu'elle n'avait aucun compte à régler avec les Algériens. De ce fait, on peut légitimement s'interroger sur ce qui empêche concrètement Enrico Macias de visiter sa ville natale en voyage privé. D'autant plus, à ce qu'on croit, les autorités algériennes ne peuvent pas être du tout contre, du moment que le président de la République lui-même est favorable à une visite du chanteur en Algérie. Ceci pour dire qu'il serait tout à fait illusoire de conférer un caractère ordinaire à la décision de Sarkozy de se faire accompagner par Macias, précisément à Constantine. Et on peut dire autant de la décision d'El-Mouradia d'agréer une telle décision, si bien sûr elle vient à se confirmer. En ce sens, il est difficile d'investir dans l'hypothèse qui voudrait que Nicolas Sarkozy ait forcé la main aux Algériens. Car le président français est loin d'être en position de force face aux Algériens, particulièrement dans cette conjoncture où il a plus besoin des Algériens que ces derniers de la France. Une question pratique et des conditions objectives empêchent Nicolas Sarkozy de dicter quoi que ce soit. Il est vrai qu'on parle avec de plus en plus d'insistance de propositions françaises attractives avec, à la clé, des contrats qui avoisineraient les 4 milliards d'euros, mais cela reste nettement insuffisant pour la contrepartie escomptée par le président français. N'est-ce pas que la sécurisation des approvisionnements énergétiques de l'Hexagone à un moment d'incertitude avec la Russie peut constituer, à elle seule, l'argument massue ? L'autre argument étant l'ambitieux projet de l'union méditerranéenne où l'Algérie est supposée jouer un rôle-clé. Et là, on peut alors faire un retour en arrière pour évoquer le contexte politique dans lequel Abdelaziz Bouteflika a été amené à céder à la pression du mouvement qui était hostile à la venue d'Enrico Macias. À cette époque, rappelons-nous, Abdelaziz Belkhadem, l'actuel Chef du gouvernement, avait pris la tête de ce mouvement. Sommes-nous en présence d'une belle revanche que Abdelaziz Bouteflika est en passe de prendre sur le sort que lui réservaient certains de ses plus farouches adversaires, qui avaient pris prétexte sur ce qui était censé constituer en d'autres circonstances que ceux de l'époque un non-événement, pour montrer qu'il n'était qu'“un trois-quarts de Président” ? Tout porte à le croire, particulièrement avec les bouleversements des rapports de force qui ont accompagné le dernier mandat présidentiel de Abdelaziz Bouteflika. Car en tout état de cause, aujourd'hui c'est une opportunité pour le président de la République de tenir enfin un engagement public. Zahir Benmostepha