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“Il nous faut avancer sur du concret”
Entretien du président Nicolas Sarkozy à l'APS
Publié dans Liberté le 03 - 12 - 2007

Dans cet entretien, le chef de l'Etat français propose de placer, au cœur de la coopération algéro-française, les soucis des jeunes à travers une formation de qualité qui leur donnera plus de chance pour s'insérer dans l'environnement économique et social.
Pour votre première visite d'Etat en Algérie, peut-on savoir, Monsieur le Président, quelle est votre perception de la relation algéro-française ? Quel contenu concret proposez-vous de lui donner ?
J'aime l'Algérie. Je m'y suis rendu plusieurs fois avant mon élection, une fois depuis, et c'est aussi à mes yeux un pays-clé pour la France en termes humains et culturels, en termes économiques et énergétiques, en termes enfin de sécurité et de paix autour du bassin méditerranéen. Vous le savez, car je me suis souvent exprimé sur ce sujet, je pense que nous devons nous tourner d'abord vers l'avenir, car les nouvelles générations qui forment dans votre pays la grande majorité de la population ne vont pas attendre que les adultes aient fini de régler les problèmes du passé. Ces jeunes sont une priorité pour le président Bouteflika et ils le sont aussi pour moi. Au cours de ma visite, je me rendrai à l'université Mentouri de Constantine pour y rencontrer les étudiants. À travers eux, c'est à l'ensemble de la jeunesse algérienne que je veux m'adresser. Ces nouvelles générations ont besoin qu'on leur propose des projets concrets — vous avez vous-même employé le mot — qui améliorent leur quotidien, qui leur donnent de l'espoir pour l'avenir. Cela passe d'abord par une formation de qualité qui leur donnera davantage de chances dans la vie. C'est tout le sens de la convention de coopération qui sera signée à l'occasion de cette visite. Au-delà de ce texte ambitieux, nous voulons poursuivre les coopérations concrètes dans le domaine de la formation. Nous participons déjà à d'importantes actions de formation, comme l'Ecole supérieure des affaires d'Alger, qui vient d'être reconnue comme la meilleure du continent africain, et participerons à d'autres, comme l'Institut supérieur de technologie ou la réforme des grandes écoles algériennes. Et puis, nous devons aussi penser aux sportifs ou aux plus jeunes. C'est pourquoi je propose un programme d'échange de jeunes dans le cadre de la future union de la Méditerranée. Le point de départ pourrait être une initiative franco-algérienne que je voudrais appeler “1 000 jeunes pour l'amitié”. Bien sûr, il y a aussi l'histoire, qui est là et continue parfois à s'interposer entre nous. Il ne faut pas l'ignorer mais l'assumer. Cela demandera encore un peu de temps de part et d'autre, car il y a des blessures des deux côtés qui ne sont pas refermées. Mais on peut progresser et je suis sûr que, pas à pas, nous pourrons rapprocher notre lecture de l'histoire et réconcilier nos mémoires. Les médias, la télévision ont déjà fait beaucoup pour cela. Chacun doit faire sa part. Par exemple, aussitôt après mon élection, j'ai demandé que l'on remette à l'Algérie les plans de pose de mines. Je me suis même étonné qu'on ne l'ait pas fait plus tôt et je suis prêt à voir si l'on peut aller plus loin dans ce domaine. Il y a d'autres dossiers de mémoire sur lesquels il sera possible de progresser, comme celui des archives, et on y arrivera, dès lors que ce travail sera confié à des experts, dans un esprit de recherche de la vérité, en évitant, de part et d'autre, toute approche idéologique ou toute instrumentalisation politique, comme cela est, malheureusement, encore parfois le cas. Mais, sans attendre, il nous faut avancer sur du concret, et le concret, c'est aussi l'interdépendance énergétique. Il s'agit pour nous de sécuriser l'approvisionnement du marché français et, pour vous, de sécuriser les débouchés et de préparer l'après-pétrole. C'est pourquoi je suis très heureux que puissent être signés, pendant ma visite, à la fois les contrats gaziers qui garantiront notre approvisionnement jusqu'en 2019 et un accord de coopération nucléaire, que j'avais évoqué avec le président Bouteflika avant même mon élection. Le concret, ce sont aussi des emplois, du travail pour vos entreprises et les nôtres et des investissements. Les contrats, dont nous espérons la signature ou la confirmation à l'occasion de ma visite, pourraient ainsi représenter jusqu'à 7 000 emplois directs supplémentaires en Algérie.
On estime à Alger que l'ambition économique algéro-française est souvent réduite à des relations majoritairement commerciales. Comment aller, selon vous, vers un véritable partenariat économique, “le partenariat gagnant-gagnant”, comme vous l'avez vous-même qualifié en juillet dernier ?
Il ne faut pas mépriser le commerce car le commerce, comme je viens de le dire, ce sont des emplois dans les deux pays, mais aussi des transferts de technologie. Nos échanges sont équilibrés et c'est une bonne chose. Nous sommes prêts à aider l'Algérie à diversifier son industrie et donc ses exportations. La question des investissements est également fondamentale : la France est devenue le premier investisseur hors hydrocarbures en Algérie et elle pourrait même devenir très bientôt le premier tous secteurs confondus, grâce aux projets de nos grandes compagnies. Ainsi, Gaz de France va investir un milliard de dollars sur le gisement de Touat et Total un milliard et demi de dollars à Arzew. Des investissements industriels devraient aussi être confirmés à l'occasion de ma visite, comme par exemple une usine de montage de tramways et une autre de montage de véhicules de lutte contre l'incendie. Nous allons également lancer un programme de “compagnonnage” entre PME françaises et algériennes, pour leur permettre d'investir ou d'exporter ensemble. Pour autant, les investissements ne se décrètent pas et, en dépit de tous les efforts qui ont déjà été faits du côté algérien et des réformes qui ont été engagées, il y a encore beaucoup à faire pour lever certains obstacles et attirer les entreprises françaises. Celles-ci ont d'ailleurs préparé le “Livre blanc” qui traite très exactement de cette question, qui est essentielle pour le développement des investissements en Algérie. Un des points essentiels pour attirer les investisseurs étrangers est de disposer d'un secteur bancaire performant, et nos entreprises espèrent que les réformes entreprises dans ce secteur seront poursuivies. Et puis, j'aurai l'occasion, pendant ma visite, d'évoquer avec le président Bouteflika d'autres éléments qui permettraient d'attirer davantage encore d'investissements français car c'est une priorité pour nos deux pays.
La densité des relations humaines entre la France et l'Algérie est également un élément central dans les relations bilatérales. On constate, par exemple, que la vision française tend à organiser “une immigration choisie”, mais n'est-ce pas aussi, dans le même temps, une “fuite des cerveaux organisée”? Quel est votre point de vue sur ce sujet sensible ? Pour demeurer toujours dans le registre des relations humaines, votre gouvernement, Monsieur le Président, compte-t-il lever les obstacles existant toujours dans la libre circulation des personnes ?
L'immigration choisie est celle qui correspond aux besoins de la société et de l'économie française. Les pays d'immigration, comme les Etats-Unis, le Canada ou l'Australie sont très sélectifs, et beaucoup plus que la France. L'Algérie, elle-même, commence à être confrontée à ce type de problématique. Mais, il ne s'agit pas de permettre la fuite des cerveaux dont vous mentionnez le risque, à très juste titre. Car l'immigration choisie peut aussi être une immigration concertée, qui répond à la fois aux besoins des pays d'origine et de destination. C'est dans cet esprit que nous avons instauré une carte “compétences et talents” qui prévoit le retour de son bénéficiaire au bout de 3 ans, et qui est renouvelable une fois seulement, ce qui fait que celui-ci revient dans son pays d'origine pour mettre la compétence acquise à son service.
Cette carte ne s'applique malheureusement pas, pour le moment, aux ressortissants algériens séjournant en France, qui relèvent d'une convention particulière, celle de 1968. Mais on peut en discuter, et il le faut d'ailleurs, car les textes adoptés au lendemain de l'Indépendance ne doivent pas rester figés. Par exemple, il y a actuellement un peu plus de 21 000 étudiants algériens en France. Combien reviendront travailler dans leur pays ? Chaque année, ce sont environ 3 000 étudiants algériens supplémentaires que nous inscrivons dans nos universités par le canal des centres pour l'enseignement en France, et je pose la même question. Il est difficile d'obliger ces étudiants à revenir chez eux s'ils ne le souhaitent pas. Mais, il faut leur proposer un suivi, qui n'existe pas du tout actuellement et ne relève pas principalement des autorités françaises, les informer sur les possibilités d'emploi dans leur pays d'origine. Voilà quelles sont, à mon avis, les vraies questions sur lesquelles tous, nous devons nous interroger.
Quant à la question de la circulation des personnes, le président Bouteflika a eu l'occasion de me dire, et même de m'écrire, que c'était pour lui un sujet important, et je vous assure qu'il ne l'est pas moins pour moi. Je vous rappelle que c'est moi qui, en novembre 2006, ai négocié avec nos partenaires la fin de la consultation préalable Schengen dans les procédures d'attribution des visas. Je suis, en effet, convaincu qu'il faut faciliter les échanges humains des deux côtés de la Méditerranée, sans pour autant ignorer l'existence d'une forte pression migratoire, dont témoigne le drame des harragas.
L'objectif, c'est de parvenir avec les autorités algériennes à une gestion concertée des flux migratoires. Les choses se sont améliorées de notre côté, avec l'ouverture du Consulat général à Oran en septembre dernier, conformément aux engagements pris, et le rapatriement en Algérie, depuis le mois de juillet, de toutes les procédures de visas. La délivrance des visas étudiants fonctionne bien, désormais, grâce à nos cinq centres pour l'enseignement en France, adossés aux CCF, et dont je viens de parler. Enfin, nous avons développé les visas de circulation de longue durée, qui représentent actuellement le quart des demandes de visas (ce qui explique aussi la baisse du nombre de visas demandés et accordés, car il y a plus de voyageurs pour le même nombre de visas). Mais je veux faire plus. Je veux que ces visas de circulation soient beaucoup plus systématiques pour les personnes qui ne présentent pas de risque migratoire, je veux qu'ils aient la durée la plus longue possible. Et tout cela, je le souligne, sur la base de la réciprocité, car il ne faut pas voir les choses dans un seul sens, Algérie-France, mais aussi France-Algérie. En effet, les hommes d'affaires français ou les experts qui viennent dans le cadre des accords de coopération n'obtiennent que des visas de très courte durée. Je comprends que cette question est en train d'évoluer dans le bon sens, et si c'est le cas, je m'en réjouirai. Cela étant, je vous accorde que tout n'est pas parfait et qu'il reste encore des progrès à faire, notamment concernant les délais de délivrance des visas ou le traitement de certains cas particuliers. La biométrie, qui sera introduite en Algérie dans le courant de 2008, devrait permettre une diminution du taux de refus, actuellement assez élevé, grâce à une approche plus personnalisée et donc plus fine des dossiers. Sachez, en tout cas, que j'ai donné des instructions pour que l'on attache une attention prioritaire à ces problèmes, et que l'on traite les demandeurs de visa avec le maximum de respect et d'humanité.
Parmi les préoccupations communes, il y a la lutte contre le terrorisme et l'action concertée contre ce phénomène transnational. Monsieur le Président, comment voyez-vous une plus grande coopération dans cette lutte ?
La sécurité de l'Algérie, c'est notre sécurité, et inversement. Il existe entre nos deux pays une coopération importante et particulièrement efficace. Je suis bien placé pour le savoir car nous avons beaucoup fait, avec mes homologues algériens lorsque j'étais ministre de l'Intérieur, pour développer cette coopération. Progressivement, des relations de grande confiance se sont tissées entre les services spécialisés. C'est essentiel, car le terrorisme est notre ennemi commun.
Que pourrait apporter, Monsieur le Président, votre idée d'union méditerranéenne pour aller vers un cadre de coopération qualitativement supérieur à ceux existants déjà ?
D'abord, je voudrais rappeler très clairement que l'union méditerranéenne n'a pas vocation à remplacer les cadres de coopération existants, qu'il s'agisse du partenariat euro-méditerranéen ou d'enceintes plus informelles, comme le dialogue 5+5 ou le Forum méditerranéen, auxquels nous restons, comme l'Algérie je crois, très attachés.
À travers le projet d'union méditerranéenne, je souhaite surtout donner un nouveau souffle, une nouvelle impulsion, à nos relations avec les pays du sud de la Méditerranée, alors que depuis quinze ans, il faut le reconnaître, l'Union européenne a plutôt concentré ses efforts vers l'Est, et que les objectifs ambitieux du processus de Barcelone n'ont pas vraiment été atteints. Il s'agit pour les pays riverains du nord et du sud de la Méditerranée de répondre ensemble, dans une véritable logique de partenariat d'égal à égal, et non plus dans une simple logique d'aide au développement, aux immenses défis qui se posent à nous, afin de réduire enfin l'écart entre les deux rives de la Méditerranée.
Pour répondre à ces défis, l'union méditerranéenne se construira autour de projets concrets et efficaces, dans des secteurs prioritaires comme l'économie Je pense aux investissements ou aux transports —, le développement durable, je pense à l'eau et à l'énergie, en particulier les énergies renouvelables — et le capital humain, je pense à l'éducation, à la formation et à la culture. L'Algérie est évidemment un partenaire essentiel dans ce projet d'union méditerranéenne.
Nous en avions déjà beaucoup parlé avec le président Bouteflika lors de ma première visite, en juillet dernier. Cette nouvelle visite sera l'occasion d'aller encore plus loin dans la réflexion et de discuter avec lui des projets qui intéressent plus particulièrement l'Algérie et que nous pourrions porter ensemble.
APS


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