De mémoire de Français, jamais la venue d'un chef d'Etat à Paris n'a fait couler autant de salive et d'encre comme celle que s'apprête à effectuer, à partir de demain, le leader libyen Mouammar Kadhafi, que le philosophe Bernard-Henry Lévy n'a pas hésité de qualifier de “grand terroriste”. Les critiques fusent de partout contre Sarkozy, auquel on reproche d'inviter en France, Mouammar Kadhafi, qui n'est, selon François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste , qu'“un chef d'Etat qui justifie aujourd'hui le recours au terrorisme international”. Dans un communiqué rendu public hier, le patron du PS affirmera : “En effet, Mouammar Kadhafi, dont le régime fut longtemps un abri et un soutien pour les terroristes, vient de considérer lors d'une conférence à Lisbonne vendredi qu'il est ‘normal que les faibles aient recours au terrorisme'”. Selon Hollande, “aucune signature de contrats commerciaux ne peut légitimer un tel aveuglement de la part de Nicolas Sarkozy”. C'est une manière de dire que l'argent n'a pas d'odeur en référence aux juteux contrats commerciaux que s'apprête à signer le leader libyen, à en croire les déclarations de son fils Seïf El-Islam. Ce dernier a, en effet, indiqué dans un entretien diffusé vendredi par le site internet du quotidien Le Figaro, que plusieurs contrats seront signés au cours de la visite en France de Mouammar Kadhafi, dont l'achat “pour plus de 3 milliards d'euros d'Airbus” et d'“un réacteur nucléaire”. Il a également affirmé : “Nous voulons aussi acheter de nombreux équipements militaires. Nous négocions sur les Rafale.” Quand on sait que Paris fait une fixation sur l'avion Rafale, qu'elle n'arrive à fourguer à aucun pays encore, il est aisé de comprendre sa détermination à vouloir profiter de cette aubaine inespérée. Par ailleurs, François Hollande estimera même qu'“il n'est pas trop tard pour y renoncer”, parce que, expliquera-t-il, “accueillir Kadhafi en visite d'Etat, le recevoir avec égard à l'Elysée, lui assurer la gratitude de la France pour la libération d'infirmières injustement détenues en Libye, c'est fermer les yeux devant la réalité du régime Kadhafi qui s'est compromis avec le terrorisme hier et le justifie aujourd'hui”. Plus virulent encore, le philosophe Bernard-Henri Lévy dénoncera à son tour cette invitation en déclarant : “On n'invite pas en visite d'Etat un grand terroriste.” “C'est indigne”, a martelé de son côté François Bayrou, le chef de file du Modem, le nouveau parti centriste. La socialiste Ségolène Royal, candidate malheureuse à l'élection présidentielle, s'est contenté de dire : “Très choquant”, en guise de réaction. Il y a lieu de noter que les déclarations faites vendredi à Lisbonne par Kadhafi n'ont fait qu'attiser le feu des critiques. Le leader libyen a réclamé “des compensations pour la période coloniale”, la France pouvant se sentir directement visée, et justifié le fait que des “faibles” aient “recours au terrorisme”. Ceci étant, l'Elysée justifie son invitation à Kadhafi par le fait qu'il a regagné ses galons de respectabilité en renonçant à son programme d'armes de destruction massive, en tournant le dos au terrorisme et en libérant l'été dernier les infirmières bulgares retenues dans ses geôles. D'autres pays occidentaux ont normalisé leurs relations avec Tripoli, relève-t-on à Paris en précisant que le rapprochement franco-libyen a été mis sur les rails dès la visite en Libye il y a trois ans du président français Jacques Chirac, une fois réglée l'indemnisation des victimes de l'attentat contre le DC10 de la compagnie française UTA en 1989. K. ABDELKAMEL