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La “Baâtha palace”
PÈLERINAGE 2007-2008 (2e partie et fin)
Publié dans Liberté le 07 - 01 - 2008

Située en plein haram, un périmètre sacré délimité par le Prophète lui-même (QLSSL), c'est-à-dire à quelques mètres de la Kaâba, la baâtha algérienne est un modeste immeuble de six étages. Une administration pluridisciplinaire tenue d'apporter chaque année aide et réconfort aux pèlerins, lesquels pèlerins ne verront ni l'une ni l'autre.
Un peu pour la frime, beaucoup pour le prestige, certaines baâthate étrangères louent carrément des buildings. Mais revenons à cette lamentable mission que longe l'immense boulevard El-Gaza. En période creuse, quelques Pakistanais en assurent la maintenance mais, dès l'ouverture du hadj, une armée “mexicaine” de plantons, d'appariteurs et d'agents de sécurité, choisis on ne sait trop comment, est alors affectée à l'entrée de l'institution à l'orientation et à l'accueil des pèlerins. Pour ce qu'on a pu constater sur place, ces chaouchs acariâtres passent le plus clair de leur temps à se prélasser sur les bancs de l'esplanade de la baâtha. Arrogants. Condescendants.
Bref, La Mecque leur appartient. Certains d'entre eux m'ont fait d'ailleurs penser à ces retraités friqués au bord de la plage, sauf qu'à la place d'une serviette de bain, ils portent une salaya sur les épaules.
Suffisants et heureux de s'engraisser aux frais de l'Etat. Des pèlerins égarés que ramène souvent la police saoudienne se feront presque rabrouer par ces pantins. Les agents du royaume ne seront même pas remerciés pour leur geste. Des pèlerins oubliés pendant toute la journée dans la petite salle réservée aux disparus se plaindront amèrement de la façon avec laquelle ils ont été reçus puis largués comme des sacs de pommes de terre au fond de la pièce sans que personne se soucie de leur sort. Fort heureusement, toutes les compétences de la baâtha ne sont pas logées à la même enseigne.
Au rez-de-chaussée, par exemple, une escouade de jeunes filles, des bénévoles pour la plupart, fait preuve d'un dévouement tel qu'il vous réconcilie avec l'espèce humaine. Du moins, celle des chaouchs. Les “hadjas” ou les “hadjs” désemparés qui viennent y chercher secours sont tout de suite pris en charge, consolés, apaisés, conseillés et entourés. On est loin du ton bourru et cassant de certains “misérables” commis. Pour ce pèlerin qui présente des taches suspectes sur le bras, elles s'empressent de prendre rendez-vous avec le médecin de la baâtha, pour cet autre qui ne sait plus où il est est, elles confirment, par téléphone, son lieu de résidence, son hôtel et même le numéro de sa chambre. Même si le chauffeur de service se fera tirer les oreilles pour l'y emmener ainsi que ses autres compagnons d'infortune. L'hébergement de nos 36 000 pèlerins est une honte. Un scandale dont la baâtha en porte l'entière responsabilité. Des bagarres entre Algériens ont même éclaté dans certains établissements. On a entassé des familles entières pour gagner quelques centimètres carrés de parquet. On a logé dans le même pièce des femmes qui ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam. On a bourré parfois dans la même chambre des couples jusqu'à leur plus intime promiscuité. Sans aucune considération. Selon quelques fuites à prendre avec des pincettes, des gestionnaires factureraient à l'Etat 3 pèlerins par chambre, au lieu de 6 ou de 7 en réalité, le surplus allant, semble-t-il, dans certaines poches occultes… Ce qui reste bien sûr à prouver. En tout cas, cette baâtha a démontré une chose au moins et tous les pèlerins en témoignent : son incroyable ineptie et son imperturbable inconscience. Avec de telles limites, et tirant tant de casseroles, elle ne pouvait évidemment voir que midi devant sa porte. Rien de plus. Pour l'anecdote, tous les pèlerins étrangers arboraient un signe vestimentaire particulier pour être reconnus des leurs. Soit le nom de leur pays inscrit sur un brassard ou leur gilet, soit un uniforme de couleur vive, soit enfin une nuance précise ou khimar pour les femmes… sauf les nôtres. Tous les pèlerins étrangers se sont organisés en cellules ou en groupuscules pour mieux prier ou faire leur taouaf en toute tranquillité… sauf les nôtres. Et les nôtres pourtant ont payé 250 000 DA rubis sur l'ongle pour être en fin de compte abandonnés sur le pavé. Minichronique d'une débâcle prévisible et dont les pèlerins porteront les stigmates à jamais.
Nous sommes à la veille de l'Aïd-el-Adha. Il est 19h.
Trois millions de pèlerins s'apprêtent à quitter La Mecque en même temps pour le mont Arafat. C'est le branle-bas en ville. La veillée d'armes. Bus, minibus, voitures particulières, 4x4, tout est bon à prendre.
L'autoroute, qui sépare la ville sainte du camp de toile, est bientôt engorgée. 50 000 engins roulent pare-chocs contre pare-chocs à la vitesse d'escargot. D'épais nuages de gaz toxiques montent peu à peu vers le ciel bouchant carrément l'horizon.
La chaleur à l'intérieur des cars est insupportable, d'autant plus insupportable qu'on ne peut même pas baisser les vitres de peur d'être asphyxiés.
À notre arrivée dans cette immense plaine déserte, où les Saoudiens semblent pour une fois avoir pris les choses en main, notre chauffeur passera une demi-heure à chercher l'emplacement réservé au regroupement des Algériens.
Là encore, les gens de la baâtha sont absents, à côté de leurs pompes. Et pourtant, ils étaient venus la veille repérer les lieux. C'est vrai qu'au moment où nous débarquons, ils avaient mieux à faire : s'installer dans les tentes VIP et s'autodistribuer les tickets repas.
Les dizaines de tentes mises à la disposition des pèlerins sont alors occupées dans un désordre indescriptible. On y dormira pêle-mêle, presque les uns sur les autres, à même le sol, sans draps ni couverture, le baluchon de nos affaires de toilette servant d'oreiller.
Les tickets repas sont distribués au compte-gouttes, quasiment en cachette. De nombreux pèlerins passeront la nuit à jeun, y compris le groupe de journalistes.
Par curiosité, nous avons voulu savoir ce que contenaient ces cartons repas. À notre grande surprise, nous avons découvert un jus de fruit, une petite bouteille d'eau minérale, un morceau de fromage et quelques biscuits. Le tout n'excédant pas les 7 rials.
Selon des fuites, les Saoudiens auraient facturé aux Algériens 107 rials le carton, les Algériens, de leur côté, auraient surfacturé ces mêmes cartons à 207 rials. Il y aurait, manifestement là, de quoi boire et manger dans tous les sens du mot. Nous prenons la précaution du conditionnel comme on le voit.
Par contre, dans les tentes gérées par les tours operators privés tels que Numidya, Hazil ou Maghreb, les pèlerins ont eu droit non seulement à une literie complète, dont un matelas propre, mais à un gigot et un repas chauds.
Le lendemain, après la prière du Maghreb, comme c'est la tradition dans notre culte, la grande procession vers Mouzdalifa commence. Là aussi, la pagaille la plus complète chez les Algériens. Chacun pour soi à défaut d'organisation.
Après une marche de sept kilomètres et demi, des dizaines de pèlerins resteront en bordure de route vides, harassés.
Ce seront les Saoudiens qui les récupéreront. Les agents de notre baâtha, chargés de ce travail, ont, une fois de plus, brillé par leur absence. Une jeune paramédicale ne trouvant pas son chemin et au bord de l'hystérie appela sa famille pour demander de l'aide.
Mais c'est le lendemain au camp de toile de Minen que les pèlerins verront le pire.
Au moins 15 000 pèlerins, faute de planification, passeront la nuit à la belle étoile, les uns près des latrines, les autres près des urinoirs, beaucoup au milieu des tonnes d'ordures générées par trois millions de pèlerins à la fois. Quelques-uns très rares auront la chance de trouver une petite place sur le bord d'un trottoir.
Dans une des tentes où l'on nous fourguera dans la précipitation la plus totale, des pèlerins bienveillants qui roupillaient sur un sol nu se blottiront au maximum pour nous libérer un peu d'espace que nous partageons équitablement entre nous.
Au fond de cette kheïma, les jambes bien écartées comme à la maison, deux braves agents de la baâtha rêvent dans les bras de Morphée. Les poings fermés et sans doute bien engoncés dans leurs certitudes. Vite ébréchées, ces certitudes, par l'entrée tonitruante d'un hadj à bout de nerfs à la recherche de n'importe quel agent de mission pour lui dire en face ce qu'il pensait de ce scandale.
“Où sont-ils les responsables de cette baâtha ? Y en a-t-il ici sous cette tente ?” Réveillés par les éclats de voix, les deux agents se taisent en nous suppliant des yeux de ne pas les dénoncer.
À peine l'incident clos, un restaurateur des tours operators demande à nous voir. Il nous offre un repas type concocté par son traiteur thaï et servi à tous ses clients : des crevettes, une soupe chaude et une salade.
Qui lui a dit que nous n'avions rien avalé ? Des journalistes crevant la dalle… Décidément, l'information a vite fait le tour du camp. Et aussi incongru que cela puisse vous paraître, ce seront les deux agents de la baâtha qui partageront ce somptueux repas avec nous. Aussi pitoyable, ça se lapide.
Détrompez-vous
Contrairement à l'idée que l'on se fait en général de Mekka, la ville est loin d'être une oasis de carte postale. Avec ses tours, ses palaces, ses grandes surfaces, son autoroute, ses tunnels à trois pistes et ses hôtels cinq étoiles, la cité, en fin de compte n'a rien à envier aux mégapoles américaines.
En croupe sur une “debdaba”
Lorsque les moyens de transport font défaut, surtout en période de pélerinage, les Mekkois ont trouvé une astuce, du moins les plus jeunes : prendre en croupe sur leurs motos, les hadjis qui n'ont peur ni de la vitesse ni du vertige.
C'est ce que nous avons fait sur une de ces “dabdabète” avec Hassen Moali d'El Watan. Le spectacle en valait la chandelle d'autant que nous étions en tenue d'“ihram”.
Les caisses saoudiennes n'en tirent aucun bénéfice
Selon les autorités saoudiennes, le pèlerinage 2007-2008 a rassemblé à La Mecque, Arafat et Minen 1 800 000 hadjis. Chiffre par ailleurs contesté par d'autres sources qui estiment que le nombre réel de pèlerins oscille entre deux millions et demi et trois millions. Cette année, toutes les communautés musulmanes du monde ont été représentées jusque et y compris le lointain Daguestan et les fidèles des Dom-Tom français.
En ce qui concerne les décès, on reste plutôt muet sur le sujet.
Enfin, selon un quotidien de Riyad, les milliers de dollars générés chaque année par le pèlerinage profitent en premier lieu aux moutawaf, aux hôteliers, aux restaurateurs et aux commerçants. L'Etat apparemment n'en tire aucun profit.
Mélange des genres
Prier dans la mosquée El-Haram à Mekka et plus encore dans les limites immédiates de la Kaâba, c'est ce que souhaitent tous les fidèles dans le monde musulman. Il est regrettable que pour rendre hommage au défunt roi Fahd l'on ait construit une mosquée à son nom juste à côté. Résultat : une grande confusion au moment des prières et particulièrement celle du vendredi.
M. M.


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