Pendant que l'entourage de Bouteflika organisait l'appel des “notables touareg” pour un “troisième mandat”, de jeunes chômeurs annabis manifestaient devant la direction de Mittal Steel. On peut facilement deviner la distance de ces tribus mobiles qui ne s'embarrassent pas trop de la contrainte territoriale et de la préoccupation politique qu'elles considèrent comme un luxe des gens du Nord ! Alors, un mandat de plus ou de moins… Les Touareg sont des harragas culturels. Là-bas, passer la frontière ne risque pas de prendre cette tournure dramatique que prend parfois la traversée de la mer. Les “notables” mis à part, la condition des Touareg dépend bien plus de l'espace que du régime. Alors, un mandat de plus ou de moins. Mais, les jeunes des quartiers des grandes villes du Nord sont soumis au régime d'une vie régie par les normes de l'urbanité : formation, emploi, salaire, logement… Pour eux, la question du troisième mandat ne se posait pas non plus. Ils ont décroché de la réalité locale. Ce n'est pas devant l'agence pour l'emploi, ce n'est pas devant le siège de l'administration, ce n'est pas devant un organe du gouvernement algérien qu'ils ont manifesté, mais devant le siège d'une entreprise étrangère qui, naturellement, n'a pas de vocation sociale. C'est dire combien la jeunesse est désespérée de son Etat et de la virtualité d'une solution publique à son désarroi. Dans le même intervalle, les Italiens interceptent une cinquantaine d'Algériens, un bateau américain en repêche huit et les garde-côtes en interceptent une dizaine au large d'Arzew. L'hémorragie humaine ne semble pas perturber les projets politiques. Pendant qu'ici et maintenant, dans le pays déclinant, la débandade des jeunes saigne le pays de son énergie, l'ancienne génération organise sa continuité politique à long terme. Les felouques de harragas ne se voient pas ; ils prennent la mer de nuit, sur des plages sombres. Peut-être à peu d'intervalle du drame de harragas qui se jouait au large d'Arzew, le ministre de l'Energie fêtait l'appareillage d'un supertanker de la Sonatrach affrété par les Etats-Unis. Quand le pétrole va, tout va. C'est tout de même paradoxal qu'on puisse à la fois exporter de l'or noir et de la misère. C'est curieux que le pouvoir puisse ainsi se projeter dans l'avenir, alors même qu'il n'arrive pas à faire miroiter l'espoir qui dissuaderait de la tentation suicidaire de l'émigration clandestine. L'autisme politique a fini par organiser un univers parallèle qui nous sert de vie publique. Tout va pour le mieux dans ce meilleur des mondes : la paix, la relance, l'inflation maîtrisée, le chômage qui baisse, les logements qui poussent, la place dans le concert des nations… Et derrière ce monde magique qu'on voit à travers les discours officiels et l'écran de l'ENTV, le regain de terrorisme, l'abstention, la panne de développement, les universités à l'arrêt, les lycées en grève, la flambée des prix, les bidonvilles, et “la grande évasion” de la jeunesse. Le robinet de pétrole seul semble fonctionner. À plein régime, si l'on ose dire. À cent dollars le baril, le rêve est permis. Il suffit de fermer les yeux sur la réalité. M. H. [email protected]