Pour l'ancien Chef du gouvernement, “le pays s'est appauvri de 92,65 milliards de dollars”. “L'avenir de la nation est hypothéqué. L'avenir du pays est en danger” n'a cessé de marteler, hier, l'ancien Chef du gouvernement M. Ahmed Benbitour lors d'une conférence, ayant pour thème : “Politique de développement et perspectives d'évolution du niveau de vie en Algérie”, organisée hier par la confédération des cadres de la finances et de la comptabilité en partenariat avec le Snapap. M. Ahmed Benbitour affirme que “l'Algérie s'installe dans la trappe de transition permanente et avance inexorablement vers la trappe de misère permanente”. “Il faut bien se rendre compte qu'il y a une différence entre régner sur un pays et gérer les affaires d'une nation” souligne l'ancien Chef du gouvernement, en faisant “le parallèle entre la République centrafricaine où le maréchal Bokassa a régné sur un pays et la Corée du Sud où le général Park a géré les affaires de la nation. L'un a enfoncé son pays dans la misère, l'autre l'a fait passer de 365 dollars de revenu par habitant à 10 000 dollars, c'est un pays extrêmement avancé (la Corée du Sud)”. M. Ahmed Benbitour, chiffre à l'appui, démontre qu'une très forte austérité est imposée à la population et mise au service de la thésaurisation. Dans les relations de l'Algérie avec le reste du monde (les échanges commerciaux avec l'étranger), l'ancien Chef du gouvernement constate “une exportation nette de richesse” au profit de l'extérieur. “L'Algérie est aussi un exportateur net du capital humain” relève-t-il. Démonstration : “Pour mesurer l'austérité imposée à la population, on calcule la part de la consommation des ménages dans le PIB”, explique M. Ahmed Benbitour. Autrement dit, répondre à la question : sur 100 DA de richesse produite, combien de dinars ont été affectés à la consommation des ménages ?. En 2006, soutient l'ancien Chef du gouvernement, cette part a représenté 31,6%; en 2002 elle était de 43,8%. La moyenne des pays à revenu intermédiaire dans lesquels se classe l'Algérie, c'est 61%. Constat : il y a une nette transformation de la structure de distribution du revenu au détriment des ménages. Pour 100 DA de richesse produite en 2006, seulement 31,6 DA, moins du tiers seulement, sont allés à la consommation des ménages. “C'est une très forte austérité imposée à la population. Bien entendu, en contrepartie de cette austérité, il y a l'épargne importante réalisée” souligne M. Ahmed Benbitour. En 2006, le taux d'épargne était de 57%. La moyenne des pays à revenu intermédiaire est 23%. À quoi a servi cette épargne ? s'interroge Ahmed Benbitour. Sur 100 DA de richesse produite en 2006, 57 DA ont été épargnés et seulement 29,9 DA ont été investis, partagés entre 22,8 DA d'accumulation brute de fonds fixes (augmentation effective du capital d'équipement du pays). C'est un gaspillage de ressources puisque la richesse thésaurisée n'est ni investie ni consommée. Concernant les devises, Ahmed Benbitour explique que “l'exportation de richesse se mesure par l'excédent de la balance commerciale”. Entre 2002 et 2006, l'excédent cumulé de la balance commerciale s'est élevé à 92,65 milliards de dollars US. “Donc, le pays s'est appauvri de 92,65 milliards de dollars” regrette-t-il. Sur les 92 milliards de dollars 53,35 milliards de dollars ont été stockés et “n'a servi à rien” et la tendance est toujours à la hausse. “Avec ce type d'excédent, on continue à appeler les Investissements directs étrangers (IDE)”, s'étonne l'ancien du gouvernement. En évoquant les IDE, Ahmed Benbitour, les deux années où les IDE nets (flux net) ont dépassé le milliard de dollars, c'est en 2005 (1,06 milliard de dollars) et 2006 (1,76 milliard de dollars). “Si nous mettons en face les rapatriements des bénéfices des seules sociétés associées à Sonatrach, nous constatons que sur un total de 2,82 milliards de dollars de flux nets d'IDE en 2005-2006, le rapatriement des bénéfices des seules sociétés associées à Sonatrach s'est situé à 10,03 milliards dollars”, souligne M. Ahmed Benbitour. L'ancien Chef du gouvernement affirme que l'économie algérienne dépend essentiellement de ressources non renouvelables que sont les hydrocarbures. La question de prévoir la fin du pétrole, en 2018 ou 2050, “est une fausse question”, estime M. Ahmed Benbitour. “Le problème, c'est lorsque vous commencez à réduire vos exportations. Et c'est bientôt, en 2015 ou 2020 au plus tard”, souligne-t-il. Le professeur Lamiri, P-DG de l'Insim lui affirme que l'Algérie est un pays sans stratégie et donc sans politique salariale. “Quand on n'a pas de stratégie et pas de politique salariale, on ne peut que cafouiller”, regrette-t-il. Le professeur Lamiri relève que de 1985 à 1995, le niveau de vie a baissé de plus de 59% en Algérie. En d'autres termes, les prix ont évolué plus vite que les salaires. De 1998 à nos jours, une légère baisse de l'ordre de 5 à 10%. Le professeur Lamiri, avec le relèvement du SNMG, il y a eu un tassement vers le bas des salaires. Mais en parallèle, la productivité a baissé chaque année de 1 à 1,5%. Les salaires en grande partie sont financés par la rente pétrolière, “parce que nous n'avons pas créé une économie efficace, productive”. Pour le professeur Lamiri, “il n'y a pas de pays sous-développés. Il n'y a que des pays mal gérés. Et l'Algérie est un pays superbement organisé pour demeurer sous-développé”. Comment peut-on penser qu'en injectant 150 milliards de dollars dans l'économie, avec un système de formation sinistré, on se développerait ? s'interroge le P-DG de l'Insim. “C'est une équation impossible”, souligne-t-il. Contrairement aux chiffres officiels, le professeur Lamiri démontre que l'économie algérienne va mal. La productivité en Algérie diminue depuis 10 ans. En d'autres termes, l'économie algérienne devient de moins en moins compétitive par rapport au reste du monde. La recherche et le développement représentent moins de 0,3% du PIB. Le taux de création d'entreprises est faible. En Algérie, il est créé 40 entreprises pour 100 000 habitants. La moyenne internationale est de 180 entreprises. Il y a des pays qui arrivent à 350 entreprises. Les exportations hors hydrocarbures ne couvrent que 5% des importations. “Les ressources ne sont pas canalisées vers l'économie productive”, souligne le professeur Lamiri, concluant que “l'économie algérienne est fragile et non compétitive”. La solution est dans la mobilisation de l'intelligence, propose le professeur Lamiri, en regrettant que l'Algérie ne fasse pas appel à une sommité comme Tayeb Hafsi, expert en stratégie, alors que celui-ci aide le gouvernement chinois à mettre en œuvre des réformes économiques. Meziane Rabhi