Le président Bouteflika arrivera ce matin à Moscou pour une visite officielle qui a eu toutes les peines à se faire. À deux semaines des élections présidentielles russes et le jour de la “perte” du Kosovo, Vladimir Poutine voit le Président algérien débarquer pour re-signer un contrat déjà conclu ! Le timing est mal choisi. Il fallait des trésors d'imagination pour qu'Alger et Moscou trouvent une niche dans l'agenda présidentiel des deux chefs d'Etat. Plus qu'une rencontre, c'est à une explication limite ombrageuse à laquelle on s'attend dans les salons du Kremlin. Bouteflika remonté à l'idée que la Russie, partenaire militaire stratégique depuis la période où l'on s'appelait “Camarade”, ait vendu à l'Algérie des Mig-29 relookés en appareils sortis d'usine et pas franchement opérationnels. Quant à Poutine, il a dû se soumettre aux pressions des militaires russes qui, face à la colère algérienne, craignaient de voir s'envoler… 7 milliards de dollars. Comment Alger et Moscou en sont arrivés là ? L'heure est assez grave pour que Bouteflika n'embarque pas dans l'avion qui emmène la délégation algérienne à Moscou, notamment le chef d'état-major de l'ANP, Ahmed Gaïd Salah. Une manière d'affirmer qu'il est le chef suprême des armées et qu'il entend discuter avec Poutine comme un “chef militaire”. Car, le Président algérien ne décolère pas depuis que différents rapports lui ont indiqué que les appareils russes livrés, les fameux Mig-29, n'étaient pas de toute jeunesse. En tant que patron de l'armée, il n'a pas lésiné sur les moyens financiers concédant à l'état-major les appareils qu'il voulait avec une transaction record conclue avec la Russie. Malgré l'orgueil qu'il porte aussi strictement que ses costumes croisés, il n'avait pas relevé “l'affront” diplomatique de Poutine lors de son passage à Alger avec une visite de 8 heures seulement et une rencontre qui avoisinait les températures polaires de la Sibérie. Rien ne dit que les deux hommes dont le point commun est d'être arrivé au même moment au pouvoir vont dégeler l'atmosphère. Les fabricants russes ne font, depuis quatre mois, que mettre en avant le fait que leurs usines perdent de l'argent, près d'un milliard de dollars selon le fournisseur des Mig, à cause des retards d'application du contrat avec les Algériens. Ils ne comprennent pas la volte-face des militaires algériens, légitime au demeurant, qui demandaient un matériel neuf pour équiper l'armée de l'air algérienne de nouvelles escadrilles performantes. Alors que le contrat sur les Sukhoi-30, les tanks et les sous-marins se déroule parfaitement, avec des livraisons à temps et un suivi sérieux, celui des Mig patine quand il n'est plus à l'arrêt. Que peuvent se dire les deux présidents ? Comment va se dérouler cette rencontre qui s'annonce problématique quand on connaît l'intransigeance et le ego des deux présidents ? Bouteflika arrive à Moscou avec quelques arguments solides pour expliquer le refus algérien et quelques compensations généreuses à l'endroit des industriels russes. Si les usines Mig ont perdu 1 milliard de dollars, cette somme a été récupérée par le groupement GFAR qui est formé de Russian Rail ways et l'entreprise publique Infrafer, filiale de la SNTF pour réaliser l'aménagement ferroviaire du Grand-Alger. Bouteflika a également emmené dans ses bagages l'inévitable Chakib Khelil, peu apprécié des Russes, pour leur expliquer, finalement, que l'idée d'une “Opep du gaz” n'est pas aussi mauvaise qu'elle n'y paraît. Une manière de consolider un pacte stratégique dont on n'arrive pas à cerner les contours entre Alger et Moscou en dehors des contrats d'armement. Ce dégel passe également par la conclusion d'autres accords secondaires mais qui sonnent comme une compensation financière à l'égard des Russes. Qu'offrira Poutine en retour ? D'abord, le président russe qui reste attaché au contrat signé en… 2001 pourrait mettre à disposition des Algériens un armement adéquat et plus sophistiqué que les Mig-29. Les militaires russes auront à cœur à démontrer aux officiels algériens que la transaction avortée sur les Mig n'est qu'un incident de parcours. Une incompréhension. Il faut dire que tout au long de la crise, à la décharge de Moscou, le Kremlin n'est pas revenu sur la délicate question de la dette algérienne à l'égard de la Russie, pour ne pas compliquer davantage un contrat en suspens. Ensuite, Poutine ouvrira davantage le marché énergétique russe à Sonatrach qui n'a pas caché ses intentions de s'associer à des opérations ponctuelles avec le géant Gazprom en Europe de l'Ouest. Enfin, le maître du Kremlin ne manquera pas cette occasion de renforcer les liens avec Alger qui a montré une prudence habile à ne pas s'embarquer stratégiquement avec les visées de l'OTAN, en Méditerranée, ou celles de l'armée américaine en Afrique subsaharienne. Alger étant considéré toujours comme un “Camarade” fiable et surtout un client qui est loin d'être un mauvais payeur. Mounir B.