Cet art, faut-il le dire, qui se perd dans la nuit des temps est pérennisé de génération en génération par le passage du flambeau entre anciens et nouveaux chanteurs et musiciens. C'est aussi comprendre toute l'étendue du malouf, une musique profonde, sensuelle, langoureuse, captivante qui va au-delà des notes et des inspirations. Ce sont toutes ces caractéristiques propres à cet art du malouf vers lesquelles nous entraîne le chanteur et musicien Ahmed Aoubdia. Sous ses doigts agiles et sa voix claire, cet artiste de 42 ans transforme les notes et les paroles en une véritable volupté du cœur et de l'esprit, une invitation à écouter dans un silence ému, ce que sont en musique l'amour, la passion, la beauté, la nature de l'homme et de la femme, l'amitié, la liberté d'être et de penser. Quand il ne compose pas lui-même la musique et les chansons, Ahmed Aoubdia les interprète magistralement. Il les vit au plus profond de son être qui vibre avec les cordes de son fidèle luth. Avec El Beïda oua Samra, sa chanson la mieux écrite et la mieux pensée de toutes celles qu'il a composées ou chantées, Ahmed Aoubdia excelle. Par son âge et par la qualité de sa musique et de ses chansons, dont il est parfois l'auteur-compositeur, Aouabdia natif de Constantine la capitale du malouf, a gagné en maturité. Quand on lui parle de musique alors qu'il n'a aucun instrument en main, on a l'impression que ses doigts se posent comme au hasard sur les fils de son luth qu'il imagine sous son bras. Il s'imagine palper, caresser, interroger, interpeller les ombres et les lumières des hommes rencontrés et des nuits passées à apprendre aux côtés des anciens le malouf. L'homme est irrésistible de conviction, de certitudes, d'humour aussi. Selon lui, la musique du luth n'est peut-être pas autre chose que l'expression de la solitude et de la passion. C'est à quatorze ans qu'Ahmed Aoubdia a découvert cette musique. Précisément le temps où, en culotte courte, il gambadait à travers les rues de l'antique Cirta pour rejoindre la maison des jeunes où l'attendait, avec d'autres camarades, Rabah Bouaziz le directeur. Comme un amoureux épris de son amante, Ahmed fut pris de passion pour le malouf, sa musique, ses chansons et le luth. Ces participations à une multitude de manifestations lyriques dans les écoles et dans le lycée où il fit ses études complétèrent sa première formation de musicien d'abord, et de chanteur ensuite. C'est pour décider, devenir ou décanter qu'il s'en alla rejoindre le conservatoire sous la baguette magique d'un grand homme de la musique malouf, Si Kaddour Darsouni. Combien d'hommes et de femmes de Constantine et de différentes régions du pays ne sont venus à la musique que parce qu'un Kaddour Darsouni a su fraternellement ou paternellement montrer le chemin. Vingt-deux années après une intense vie artistique faite le plus souvent de bonheur, Ahmed Aoubdia est resté le même. Toujours aussi élégant, aussi sobre, il s'enflamme rapidement lorsqu'il prend entre ses mains son luth ou tout autre instrument. Il ne commande plus sa voix. Comme un cygne bleu sur un lac d'inspiration, il se prend à chanter chez lui, lors des fêtes familiales et lors des nombreux passages sur le petit écran, ses plus belles chansons et ses plus belles histoires musicales. Premier prix au concours de la meilleure interprétation musicale malouf en 1984, il a été cité à l'honneur au festival de Bourges (France) en 2004 après avoir chanté avec Enrico Macias, en hommage au chanteur de malouf Raymond. En 2001, il fut également cité à l'honneur lors du grand festival de Bruxelles (Belgique) organisé par l'Algérien Abdelmadjid Benchicou de l'association d'équitation de la même ville. « Le malouf est un patrimoine qui ne doit en aucun cas être pollué. Aujourd'hui, il est malheureux que certains prétendus chanteurs de malouf fassent dans le n'importe quoi, pour peu qu'ils en récoltent quelque chose. H'Souna Khodja, Berrachi, Si Kaddour, Abdelkader Toumi, Zaouïa Fergani le père de Mohamed Tahar sont pour moi le symbole d'un malouf pur. Il est regrettable qu'aujourd'hui, l'artiste algérien en est à courir encore derrière un statut que l'on ne veut pas lui accorder », estime Ahmed Aoubdia.