Alors que les négociations semblaient avancer entre le fils du leader libyen et les ravisseurs des otages autrichiens, la Libye a surpris tout le monde, hier, en démentant toute implication dans l'affaire au moment où la rébellion touareg reprend de plus belle au Mali. Qu'est-ce qui a bien pu motiver un tel revirement, alors que Tripoli est friand des coups médiatiques dans ce genre d'affaires ? Contre toute attente, la Fondation Kadhafi a nié, hier, tout “contact direct ou indirect” avec les ravisseurs des deux Autrichiens enlevés en février en Tunisie. Dans un communiqué rendu public, Tripoli affirme que “la fondation n'a procédé à aucune intervention ou effort et n'a pas eu de contacts directs ou indirects avec les ravisseurs malgré les demandes adressées à la fondation et à son président”. Pourtant la veille, le dirigeant autrichien d'extrême droite, Jörg Haider, avait affirmé que le président de la Fondation Kadhafi, Seïf al-Islam, était en contact avec les ravisseurs des deux touristes autrichiens et qu'il était optimiste quant à leur prochaine libération. “Seïf négocie avec les ravisseurs et est, selon ses propres dires, confiant dans le fait que la question sera prochainement réglée”, avait déclaré Haider à l'agence autrichienne APA. On ne peut que s'interroger sur ce revirement, qui coïncide étrangement avec la reprise de la rébellion touareg menée par Ag Bahanga, alors que la Libye est connue pour son goût prononcé pour les coups médiatiques dans ce genre d'affaires. En effet, la Fondation Kadhafi avait joué un rôle important dans le dénouement de plusieurs prises d'otages dans la région, notamment dans la libération, il y a cinq ans, de 32 otages européens, parmi lesquels se trouvaient 10 Autrichiens. Alors, pourquoi ce retournement de situation pour le moins inattendu ? Qu'a-t-on fait miroiter aux rebelles touareg, et qui n'aurait pas été assumé, pour qu'ils réagissent de la sorte ? L'arrivée, hier, à Alger, du capitaine Khamiss Maâmar El-Kadhafi, commandant du 32e Djahfal blindé du peuple armé de la Jamahiriya arabe libyenne, laisse penser que Tripoli s'est empêtré dans cette affaire et cherche le soutien algérien, même si officiellement on annonce que cette visite s'inscrit dans le cadre de la “poursuite du processus de consolidation des relations de coopération militaire entre les deux pays frères”. Pourtant, Alger s'était déclaré par voix officielle, non concerné par cette affaire d'otages, qui se déroule depuis son début en terre étrangère. Sa position vis-à-vis de la rébellion touareg s'est limitée à une aide logistique pour la mise en œuvre des accords conclus entre les deux parties. Sur le terrain, les affrontements entre l'armée et les rebelles touareg ont repris en début de semaine après des violences qui avaient déjà fait depuis jeudi 8 morts, dont 5 civils, et ce, suite à l'enlèvement de 33 militaires par des rebelles. L'influence libyenne dans cette région, localité d'accès difficile et carrefour de nombreux trafics dans la zone désertique et montagneuse de l'Adrar des Iforas, à plus de 2 000 km au nord de Bamako, soulève plusieurs questions. C'est d'abord une zone considérée comme le fief des hommes de Ibrahim Ag Bahanga, ce rebelle touareg qui avait repris les armes en août 2007, en dépit de la signature en 2006 d'accords de paix à Alger, qui avaient officiellement mis fin à la rébellion. Mais, apparemment, la Libye connaît bien son dossier puisque c'est par son entremise que la cinquantaine de soldats maliens enlevés avant la reprise des affrontements cette semaine avaient été libérés début mars. D'ailleurs, tous les observateurs convergent pour affirmer que la Libye s'est constitué une marge de manœuvre chez des communautés targuies sensibles à son rêve de fédération d'Etats du Sahel. Par ailleurs, la même Libye est suspectée par le Niger d'alimenter la rébellion touareg dans le nord de son territoire, aux frontières de l'Algérie, sur les mines d'uranium et dont d'importants gisements de pétrole ont été annoncés. Mais il reste à élucider le retournement de Ag Bahanga qui, après avoir souscrit aux accords d'Alger, exige aujourd'hui leur révision, selon le porte-parole des rebelles Hama Ag Sid-Ahmed. Bamako, qui a renouvelé en enrichissant ces accords avec Alger pour sécuriser leurs frontières communes et lutter aussi bien contre les trafics en tous genres que contre les desseins du terrorisme d'y établir un bastion, s'interroge sur le revirement du chef rebelle. Ag Bahanga n'exige pas moins que le retrait de l'armée de ce qu'il considère comme sa propre région. Alors, quel jeu joue la Libye dans cette histoire ? La question est d'autant plus pertinente que Kadhafi a conclu des accords avec ses islamistes radicaux qui, pourtant, avaient fait allégeance à Al-Qaïda. K. Abdelkamel/D. Bouatta