“Pour être plus, il faut s'unir, pour s'unir, il faut partager, et pour partager, il faut avoir une vision.” C'est dans ce sens que dans mon dernier livre (*), j'ai parlé longuement de ce que recouvre la notion de nouvelle communication, et il serait certainement très utile de rappeler que cette culture est nécessaire pour nous permettre de nous adapter aux nouvelles situations, voire même aux nouveaux paradigmes. C'est peut-être un peu présomptueux de ma part, mais tout de même, cela promet une meilleure appréhension que si l'on reste toujours limités aux réactions et aux rétroactions. Ce qui nous intéresse ici est que cette nouvelle attitude d'ouverture soit ancrée dans l'esprit même du journalisme moderne, portée davantage sur les valeurs d'authenticité, d'émancipation et d'interdépendance. Dans le monde de la presse, il est des moments où se dessinent des plus-values qui façonnent l'avenir. Cela a été le cas de l'émergence et du développement de la presse privée. Certains spécialistes désignent cette période par le terme de “révolution” médiatique en Algérie. Ce qui caractérise cette avancée, ce n'est pas tant l'apparition de la pluralité, voire d'une nouvelle presse, car cela s'est toujours produit dans les colonnes du quotidien El Moujahid et dans ceux d'Algérie Actualité, même dans les moments dits de “langue de bois” et il est dans la nature profonde d'une presse plurielle d'engendrer de nouvelles attitudes et de nouveaux comportements. Ce qui définit plutôt cette avancée, ce sont les changements psychologiques qu'entraîne la profession, d'abord parmi les journalistes qui revendiquent une liberté réelle dans leur pratique professionnelle, et les hommes politiques ensuite qui rappellent que les journaux ne pourraient pas proclamer totalement leur indépendance sans les traditionnels codes de l'échange, notamment les notions de liberté, de responsabilité et de courtoisie, sans oublier aussi la connaissance des mécanismes de fonctionnement d'un journal, la maîtrise du processus de fabrication et les coûts inhérents à cette industrie. Ces enjeux ont conforté la presse algérienne dans ses savoirs, habiletés et habitudes développées par cette nouvelle culture. L'évolution de cette tendance lui fait prendre conscience d'un constat, celui qu'elle évolue désormais dans un monde fluctuant, mouvant et que les problèmes de gestion sont désormais prédominants. “S'il est vrai qu'un journal digne de ce nom comporte des éléments qui doivent toujours rester hors du commerce, écrivait Hubert Beuve-Mary, le fondateur du journal le Monde, il est aussi, au sens le plus banal du mot, une entreprise qui achète, fabrique, vend et doit faire des bénéfices.” C'est ce défi qui doit guider les pas de nos titres. C'est ce sens de la responsabilité morale, doublée d'une vision journalistique, qui fera émerger les signes de l'entreprise de demain. Ce souci doit aussi se combiner avec le souci de la profession, car il existe un consensus grandissant en faveur de cette tendance. Il ne reste plus qu'à avancer dans cette direction. Contrecarrer cette vision étincelante, c'est justement placer le débat au niveau de la régression, car c'est l'opinion publique qui est trompée et c'est la profession journalistique qui se trouvera sinistrée. Au-delà de tous les problèmes relatifs au monde de la presse qui agitent les cœurs et les esprits, en vue de construire un espace crédible, l'Algérie a aujourd'hui un enjeu concret sur lequel il est bon de braquer les projecteurs médiatiques. Il s'agit de l'enjeu de l'ouverture du champ audiovisuel dans un environnement qui semble porté par cette préoccupation et qui doit être orienté dans ses choix essentiels par cette nouvelle ambition algérienne, au double plan national et international. Dans ce monde, l'enjeu est beaucoup plus complexe que ne le laisse supposer l'idée de “choc”. L'ambition originelle de la presse est de parvenir à “communiquer dans la différence”. Voilà comment la lumière du soleil peut s'éloigner de la grisaille. Mais les évènements et les hommes imposent souvent un autre temps, un autre sens. Après la tragédie, la presse algérienne donnait l'image d'un “jouet cassé”, en dépit de sa bravoure dans la défense des valeurs nationales. On eut dit que le soleil faisait une dernière apparition et jetait un regard triste et mélancolique à ce qui survivait encore du legs des hommes illustres. Et cette lumière éclairante aura plus que jamais son réelle pour témoigner d'une exigence de fidélité, à cette histoire, à tous ceux qui conservent peut-être quelques âpres souvenirs de la misère des hommes et des femmes durant ces longues nuits. Ces sensations précises de la souffrance et les ressorts d'énergie des hommes qui ont fait cette histoire, nous les avions perdus. Physiquement inertes et psychologiquement impuissants, nous observions monter et déferler le flot des nouveaux barbares, si judicieusement décrits par Jean-Christophe Rufin, dans son “empire”. En rétrospective, les évènements ont pris l'aspect illusoire d'un choc, et le terrain a été propice aux extrémismes de tous poils. Du défi téméraire des uns au sacrifice des autres, il semble aujourd'hui admis que le calme s'est installé dans les esprits et dans les cœurs, douloureusement, mais inéluctablement. Mais, l'histoire apprend qu'on ne se résout pas au désespoir, aux querelles alambiquées et aux digressions stériles, car loin des synergies et des osmoses, l'avenir semble toujours vague, incertain et insaisissable. Si j'évoque ce palmarès à la fois historique, médiatique et psychologique, c'est parce que certains cœurs restent toujours traversés par des peurs et des frissons. Bien sûr, ces appréhensions infondées ne pouvaient avoir de correspondance profonde, peut-être pas d'écho, s'il y n'avait pas quelques phrases ou ambigus par-ci, par-là qui font tiquer. Sans doute est-ce un sentiment d'incompréhension qui implique une réaction d'oisifs dans un paysage extrêmement familier ou est-ce une attitude de peur de ceux qui s'inquiètent de leur avenir ou que la fatigue martelait encore aux tempes et aux genoux ? Rassurer les cœurs, entretenir l'étincelle de l'intelligence des hommes de la presse, matérialiser le partage des idées et organiser la profession sont des idées maîtresses. En dépit des inquiétudes, des incertitudes, des sacrifices et des moments de difficulté, l'ambition est immense. “Ah ! Tout l'espoir n'est pas de trop !”, écrivait Aimé Césaire. L'on constate enfin qu'il faudrait plus de mots pour dire ces lumières et plus de travail pour les entretenir, mais se limiter c'est faire confiance aux journalistes pour les enrichir. *Au bout des claviers, paru aux éditions Al Hikma, Alger 2007. Mohamed Meziane