Il est, certes, physiquement assassiné, mais sa mémoire demeure toujours vivante parmi les siens. C'est le moins que l'on puisse dire du chanteur kabyle et chantre de l'amazighité, Matoub Lounès, lorsque l'on voit toute cette foule venue à Taourirt-Moussa pour prendre part à l'hommage organisé, hier, en sa mémoire. À regarder cette marée humaine qui a afflué vers la demeure familiale des Matoub et aussi toutes cette émotion qui se lisait sur les visages, on dirait qu'on allait célébrer le premier, sinon le deuxième anniversaire de la mort du Rebelle, mais il suffisait de jeter un regard sur une des banderoles attachées çà et là pour comprendre qu'il s'agissait bel et bien du 10e anniversaire. Il faisait pourtant chaud hier, quasiment aussi chaud que le 25 juin 1998 où la mort attendait le Rebelle au bout d'une des centaines de virages de la route de Béni Douala, mais ceci n'a pas empêché des milliers de personnes d'emprunter, pour la dixième fois pour les plus fidèles, le chemin sinueux et escarpé de Béni Douala pour ne pas manquer la célébration de la mémoire de celui que l'on considère toujours vivant, même si la mort a eu raison de son physique déjà maintes fois mutilé. La couleur de ce qui allait être l'événement à Taourirt a été déjà annoncée à Thala Bounane où, vers 10h, la route était déjà bloquée par une foule venue se recueillir sur le lieu où fut assassiné sous une torride chaleur et par les balles d'un groupe armé, un 25 juin 1998, celui qui se savait pourtant glisser lentement et dangereusement sur la pente fatale de sa destinée, mais continuait à provoquer la mort, à la narguer, et même parfois à l'appeler de ses vœux. C'était un rendez-vous jamais fixé, mais Thala Bounane, situé à quelques kilomètres à la sortie de la ville de Tizi Ouzou en allant vers Béni Douala, est devenu un lieu incontournable pour tous ces fans et tous ceux qui ne peuvent évoquer la chanson kabyle, l'identité berbère et le combat démocratique sans se référer à Matoub Lounès. Parmi la foule, on distingue la mère et la sœur du défunt rebelle, des délégués des archs, des représentants de plusieurs associations et de nombreux anonymes. Après un dépôt de gerbes de fleurs, l'inauguration d'une stèle et une brève allocution de Malika Matoub, tout le monde s'est engouffré dans des véhicules qui se sont ensuite dirigés en un long cortège vers Taourirt-Moussa où une foule déjà importante s'est formée devant la porte de la demeure des Matoub, devenue le siège de la fondation portant son nom, et aussi devant le tombeau de Lounès vers lequel il devenait au fil des minutes impossible de se frayer un chemin. Le crépitement des flashs des appareils photos devenait de plus en plus intense et les gerbes de fleurs ne cessaient de s'entasser formant une “montagne” bariolée ne laissant point apparaître la tombe de celui, qui de son vivant, était considéré comme le porte-parole des sans voix, et, qui, après sa mort, ne continue pas seulement de survivre à l'usure du temps, mais à constituer toujours un repère non des moindres pour tous ceux qui aspirent à vivre dans une véritable république démocratique. De nombreux véhicules immatriculés dans différentes wilayas du pays ont été observés dans les alentours de la maison des Matoub. Ce qui témoigne de la présence de délégations et de citoyens venus, si l'on se réfère aux numéros d'immatriculations de Béjaïa, Bouira, Alger, Tipasa, et d'autres encore. À 11h, la foule, tel un seul homme, s'est tue pour observer une minute de silence suivie d'une prise de parole et de dépôt d'autres gerbes de fleurs. Même une délégation de la JSK composée de Meftah, Douicher, Berefane, Amaouche et le président du comité de supporters, Lazri, a tenu à être présente à ce 10e anniversaire. À l'occasion de son intervention, Malika Matoub n'a pas manqué de revenir sur le parcours de Lounès et sur l'évolution de l'affaire au niveau de la justice et surtout d'aborder l'entretien et les déclarations “rassurantes” du procureur général. Cette intervention a été suivie par une déclamation de poèmes, en hommage au Rebelle, par de enfants qui n'étaient pas encore nés lorsque Matoub fut assassiné. Ce qui laisse comprendre que ça ne sera sûrement pas demain la veille que la mémoire de Matoub sera effacée. Samir LESLOUS