La commémoration a mobilisé toute la Kabylie, qui a communié autour de la mémoire du poète. En effet, cette année encore, le souvenir du chantre de l'amazighité a drainé des foules venues se recueillir sur la tombe, voire sur le mausolée de celui dont le nom est désormais passé à la postérité. Hier, tous les chemins menaient à Taourirt-Moussa en passant par Tala-Bounane où a été trahi Lounès. Ces deux lieux sortis de l'anonymat, depuis 1998, marquent à présent la mémoire collective kabyle, qui a fait de Matoub son symbole et son martyr. Son assassinat à l'apogée de sa gloire a, depuis, associé son nom et son combat à celui de cette région frondeuse et rebelle comme lui. Vivant, Matoub était le porte-drapeau de cette cause séculaire qu'est l'identité berbère; mort, il en est l'icône et l'emblème, au point de se transformer en culte. Ainsi tôt dans la matinée d'hier, des milliers de citoyens ont arpenté les chemins qui montent vers Beni-Douala. Une halte s'imposait à Tala Bounane pour se recueillir sur l'endroit où la voix du rebelle s'est éteinte le 25 juin 1998 à 13h 45, sous les balles d'un commando terroriste. Après ce bref hommage, les processions bigarrées reprenaient leur ascension vers Taourirt Moussa, petit hameau de Béni-Douala, glorifié par la grandeur de son héros. La chaleur était assommante, mais non dissuasive pour toutes ces foules venues de Tizi Ouzou, Béjaïa, Alger, Bouira et d'ailleurs. Arrivés à Taourirt Moussa, réceptacle étroit pour ces milliers de partisans de l'Algérie qui avance, la maison du défunt transformée depuis le fatidique 25 juin 1998, en musée et en lieu de pèlerinage, est prise d'assaut. «Le lion du Djurdjura» de sa voix grave à souhait rugissait à pleins décibels. Sa Mercedes noire, criblée de balles, était l'objet le plus visité parmi d'autres ayant appartenu au chanteur. A 12h 30, Nna Aldjia, accompagnée de Bélaïd Abrika, Mouloud Chebheb et d'autres délégués de l'interwilayas et des membres de la fondation, déposait une gerbe de fleurs sur la tombe de son unique fils après une minute de silence rythmée par l'hymne national, version Matoub. Après cette cérémonie de recueillement, un meeting était improvisé sur place. En première intervenante, Nna Aldjia remerciera tous les présents qu'elle considérera comme «ses enfants après la disparition de Lounès». Toujours aussi déterminée, Nna Aldjia revendiquera avec insistance la réouverture de l'enquête sur l'assassinat de son fils, tout en menaçant, «en cas de refus, de recourir aux instances internationales». Son intervention était ponctuée des habituels slogans «Pouvoir assassin, assa azekka, Lounès yella, yella...». Pour conclure, Nna Aldjia appellera à faire jonction entre le combat de Matoub et celui du mouvement citoyen et surtout révèlera que Saïd Sadi et Nouredine Aït Hamouda avaient refusé de signer une pétition qui exige la vérité sur l'assassinat du rebelle. Pour sa part, Mouloud Chebheb, délégué de Béni-Douala, annoncera que les ârchs sont prêts à ajouter un point à la plate-forme d'El-Kseur, celui relatif à l'enquête sur l'assassinat de l'enfant terrible de la Kabylie. Très applaudi, Bélaïd Abrika qui signalera que Matoub était la première victime de la gendarmerie, accusera les forces politiques et la région «d'avoir fait preuve de passivité à l'époque et d'avoir négocié l'apaisement en Kabylie avec le Président Zeroual». Toujours aussi incisif, Abrika martèlera: «nous devons tous mener le combat pour faire éclater la vérité sur l'identité des commanditaires de l'assassinat de Matoub». «Une enquête, c'est le minimum que nous exigerons et si le pouvoir persiste dans son silence, nous tirerons nos conclusions», ajoutera le délégué des Genêts qui tombera à bras raccourcis sur ceux qu'il qualifie «de fossoyeurs de vérité». D'autres intervenants se sont succédé à la tribune abondant dans le même sens. Au milieu de l'après-midi, les présents commençaient à se disperser avec le sentiment du devoir accompli, qu'est celui de rendre hommage au symbole de la Kabylie et perpétuer ainsi son combat.