La secrétaire d'Etat américaine a-t-elle une conception à géométrie variable de la question des droits de l'Homme ? Si elle a réservé une place de choix à ce dossier lors de l'étape tunisienne de sa tournée maghrébine, Mme Rice a, en revanche, fait l'impasse sur la question lors de son séjour algérois. À Tunis, la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice ne s'est pas gênée de presser le président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali d'accélérer les réformes politiques. “Nous avons très clairement fait savoir que nous aimerions que la Tunisie en fasse davantage, notamment pendant les préparatifs des élections de 2009”, a-t-elle déclaré à la presse, à l'issue de ses entretiens avec le chef de l'Etat tunisien. Diplomate qu'elle est, la responsable américaine a toutefois édulcoré sa critique vis-à-vis du régime de Ben Ali en concédant qu'“il y a eu des réformes politiques” en Tunisie avant d'inscrire ses pressions dans le registre de l'amitié qui lie les deux pays. “Nous sommes de bons amis et nous pouvons (à ce titre) avoir de très bonnes et intenses discussions sur des questions de politique interne et externe. Et c'est comme cela que cela s'est passé”, a-t-elle soutenu, avant de souligner qu'elle a eu avec le président tunisien une “discussion très bonne et intense” sur la liberté de la presse, la libéralisation de l'Internet, l'accès de l'opposition à la télévision. Mais à Tunis, Mme Rice n'a pas servi que des “critiques amicales” pour la Tunisie de Ben Ali qui se voit décerner un très bon point sur la question de la femme. “Je tiens à souligner que j'ai parlé du rôle extraordinaire joué par les femmes en Tunisie. Les femmes ont accompli un grand progrès ici”, s'est-elle félicitée. Reste à savoir pourquoi la responsable américaine a évacué de ses discussions avec les autorités algériennes cette question abordée également en Libye. Il est vrai que comparée à celle qui prévaut en Tunisie ou encore en Libye chez le sulfureux Al-Kadhafi, la situation des libertés publiques est de loin meilleure en Algérie. Mais l'Algérie est-elle pour autant un pays démocratique où les droits de l'Homme ne sont plus l'objet de violations ? La question mérite d'être posée, d'autant que les ligues et autres organisations algériennes de défense des droits de l'Homme, tout comme l'opposition ont souvent dénoncé des “abus à répétition”. Si leur existence est formellement tolérée, les syndicats autonomes ne sont pas reconnus officiellement et leurs animateurs se voient souvent réserver de la part des autorités algériennes un mauvais traitement. L'état d'urgence, instauré depuis 1992, et l'interdiction d'organiser des marches à Alger, depuis 2001, sont maintenus alors que la situation sécuritaire, selon la rhétorique officielle, s'est nettement améliorée. Si les partis d'opposition ont une existence légale et tiennent librement leurs activités, ils sont toutefois exclus des médias publics, notamment de la télévision. C'est dire qu'en matière des droits de l'Homme et des libertés, l'Algérie a, elle aussi, beaucoup à faire. Aussi, il est à se demander pourquoi la responsable américaine a fait l'économie d'un échange avec les responsables algériens sur cette question en préférant axer ses entretiens presque exclusivement sur la lutte contre le terrorisme. À la décharge de Mme Rice, la situation sécuritaire, notamment depuis le ralliement du GSPC à Al-Qaïda, est nettement plus préoccupante en Algérie qu'en Tunisie ou en Libye. Mais cela n'explique pas tout quand on sait que ce dossier intéresse aussi bien les Algériens que les Américains, surtout que ces derniers font de la démocratisation des pays sous-développés, et notamment ceux du monde arabe, la pierre angulaire de leur politique internationale. Il est vrai que les voies de la diplomatie sont impénétrables. ARAB CHIH