Le conflit du Sahara à l'épreuve du Gaz algérien Le revirement des Etats-Unis sur la question du Sahara a été mal perçu à Rabat. Il a même été assimilé à un lâchage du Maroc par Washington.À une poignée de semaines de la fin du mandat de son patron, Condoleezza Rice, la secrétaire d'Etat américaine, s'est rappelée au bon souvenir du Maghreb. Elle est venue confirmer que l'Amérique a des intérêts dans le Nord-Ouest africain et même, paraît-il, des amitiés. Une continuité qui a toujours caractérisé la politique étrangère des USA, quelle que soit l'issue des élections présidentielles prévues pour novembre 2008. Dans un périple qui ressemble à une tournée d'adieu, Mme Rice a eu des escales bien senties à Tripoli, Tunis, Alger, avant de terminer, pour deux jours par Rabat, les 6 et 7 septembre 2008. Elle a distribué un dégradé de notes savamment modulées. Le colonel libyen est devenu fréquentable, bien qu'il reste un “partenaire difficile”; le président tunisien a été “tancé” sur la question des droits de l'Homme ; le chef d'Etat algérien a, lui, bénéficié d'un traitement flatteur; «J'ai eu l'opportunité de bénéficier de la connaissance du président Bouteflika sur la région. Il est vraiment l'un des hommes les plus sages du Maghreb et même au-delà» a-t-elle lancé, sans se forcer. Résistance Et à nous autres, quel emballage diplomatique nous a réservé la dame globe-trotter de la Maison Blanche? Quelle réponses nous a-t-elle livrées sur l'essentiel, comme sur les questions périphériques? La diplomatie étant faite de petits signes indicateurs plutôt que de discours grandiloquents, on aura remarqué que Mme Rice n'a pas été reçue par SM le Roi Mohammed VI. Le Souverain se trouvait à Oujda, sur la ligne de partage frontalière algéro-marocaine, pour ses activités socio-économiques habituelles. Galanterie oblige, il a envoyé à son illustre visiteuse un beau bouquet de fleurs. Les bonnes manières sont donc sauves; et le reste? Pour le reste, Mme Rice a eu droit à un briefing détaillé sur le processus de réformes multi-sectorielles engagé par le Maroc, ainsi que la marche de la démocratie élective et la gouvernance représentative. Abbas El Fassi et Taïeb El Fassi se sont chargés les exposer. Ceci comme entrée d'un menu varié. Comme on s'y attendait, le plat de résistance ne pouvait être que le Sahara marocain. Le vif du sujet et l'objet même de la visite, vu côté marocain. Sur ce dossier primordial, les rumeurs et les spéculations sont allées bon train depuis le départ forcé, fin août 2008, de Peter Van Walsum, le tout dernier représentant, en date, du secrétaire général de l'ONU. Pas plus tard que le lundi 8 septembre 2008, le quotidien espagnol El Pais, avançait le nom de Christopher Ross pour succéder à M. Van Walsum. Ancien ambassadeur en Syrie et en Algérie, associé au processus de paix au Proche Orient, actuellement en charge de la coordination anti-terroriste au département d'Etat; bref, un spécialiste du monde arabe, nous affirme-t-on. Quelques jours auparavant, c'est un autre Christopher, Warren, qui a été balancé par les journaux. Cet ex-secrétaire d'Etat lors du premier mandat de Bill Clinton (1993-1997), est connu pour avoir les meilleurs rapports avec les services de renseignements algériens. Que ce soit l'un ou l'autre, ou un tout autre larron, l'important pour Alger c'est que le candidat à ce poste soit américain, seul à même, estime-t-on là-bas, “d'exercer des pressions sur le Maroc”. Quel type de “pression”? Est-ce pour offrir à l'Algérie, via le Polisario, un bon tiers de notre territoire? Voilà une chimère qui a pris quelques rides. Toujours est-il que le Maroc n'est pas content de la manière dont Peter Van Walsum a été débarqué. Comme on le sait, l'homme qui a dit ses quatre vérités au Conseil de sécurité, fustigeant gentiment les atermoiements de celui-ci sur l'affaire du Sahara marocain depuis plus de 30 ans, a été remercié sans ménagement, suite à un forcing diplomatique algérien sur fond de chantage aux hydrocarbures. Alger a été jusqu'à menacer de boycotter les négociations de Manhasset si M. Van Walsum était maintenu. L'administration américaine a laissé faire. Elle a même fini par donner son feu vert. Ce revirement a été mal perçu à Rabat et mal vécu par les observateurs marocains. Il a même été assimilé à un lâchage du Maroc par Washington. Arrogance Cela n'a pas été dit de manière aussi crue et aussi directe à Mme Rice, mais elle a bien perçu l'amertume ambiante par rapport à un changement de cap de l'Amérique qui, jusqu'ici, voyait d'un œil plutôt favorable l'offre marocaine d'un statut d'autonomie élargie pour le Sahara. Que c'est-il passé depuis? Tout simplement l'arrogance pétrolière algérienne. Une carte imparable. Un argument à faire plier les bons sens politiques les mieux ancrés. Tout un chacun a pu s'apercevoir que l'encensement de Bouteflika par Mme Rice sentait le gaz à plein nez. La ville de New York en dépend entièrement et exclusivement. Tout est dit avec ou sans la fioriture langagière de la diplomatie. Reconnaissance Condoleezza Rice s'est employée à ce contorsionnisme délicat. «Il existe de bonnes idées sur la table. Il n'est pas besoin de recommencer à zéro», a-t-elle souligné, comme pour rassurer la partie marocaine sur l'avenir et l'utilité même des rencontres de Manhasset. Elle a même été jusqu'à plaider en faveur «de bonnes relations entre l'Algérie et le Maroc qui permettraient aux deux voisins de relever les défis auxquels ils font face au Maghreb». Il y a là comme une reconnaissance implicite d'un fait depuis longtemps établi. Le fait est que le problème du Sahara n'est pas entre le Maroc et un quelconque Polisario, mais entre le Maroc et l'Algérie. Sauf que Mme Rice n'ose pas le dire. La diplomatie gazière le lui interdit. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, face à ces circonvolutions laborieuses, le Maroc continue à adopter “une positive attitude”, pour employer une formule en vogue. La volonté de normalisation avec l'Algérie est toujours à l'ordre du jour. Idem pour les appels du pied à l'intention d'Alger l'exhortant à ouvrir ses frontières et à rétablir une libre circulation des biens et des personnes. Même dispositions avenantes à propos des déclarations de Condoleezza Rice. Un décryptage minutieux veut que la porte n'est pas fermée sur la proposition marocaine d'autonomie. Le problème, c'est qu'en dehors de cette proposition, le Maroc n'a plus rien à négocier. Alors, pourquoi un 5ème round de dialogue de sourds à Manhasset. C'est toute la question.