Trente ans se sont écoulés depuis la disparition de la star jamaïcaine Bob Marley, survenue le 11 mai 1981. Celui qui demeure la figure tutélaire du reggae rayonne par-delà le monde de la musique, fort de ce statut de porte-parole des opprimés. Et ils sont nombreux à se retrouver encore aujourd'hui dans son message. Avant même d'être emporté par le cancer, le patron des Wailers n'était plus tout à fait un artiste mais bien le porte-étendard d'une cause et d'aspirations largement partagées à l'échelle de la planète. Dans son édition du 13 mai 1981, qui consacre à la mort du chanteur une partie de sa Une, aux côtés de l'élection de François Mitterrand, le journal Le Monde titre d'ailleurs «Le messager», pour souligner ce rôle de «leader porteur d'espoir et de liberté». Et d'insister sur l'écho qu'il avait rencontré chez tous ceux, «quelles que soient leurs origines et leur culture, qui croient en la nécessité de lutter pour l'égalité des droits». Le socle sur lequel le reggae pouvait se développer hors de Jamaïque – que ce soit en France, en Afrique ou ailleurs – était donc posé. Toutefois, les chansons et les albums de Bob Marley ont une vie indépendante du niveau d'activité de la scène reggae contemporaine, qu'elle soit en effervescence ou, au contraire, en sommeil. Ceux qui, depuis trois décennies, écoutent ou ont écouté Get up Stand Up, Exodus ou Could You Be Loved ne sont pas pour autant tous des fans de reggae en général. A l'inverse, aujourd'hui, il n'est plus si rare de constater que des amateurs de musique jamaïcaine, voire des artistes qui ont choisi de s'en servir comme vecteur, ne connaissent pas vraiment les classiques du répertoire de Marley ! Bandes réduites en cendres Le processus de mythification, au fil du temps, a fait son œuvre et fini par placarder l'image du chanteur, pour mettre sa carrière au second plan. La «mercantilisation» de son nom, poussée à l'extrême dans les années 1990 et au début de la décennie suivante, a accéléré le mouvement. Son visage pourrait presque se confondre avec celui de Che Guevara, autre rebelle symbolique préféré des fabricants de T-shirts. En trente ans, le chanteur est passé au stade de personnage historique. Les livres qui retracent son parcours et son empreinte sur son époque fleurissent dans les librairies. Avec une vraie valeur ajoutée dans le cas de celui écrit par le journaliste français Francis Dordor, qui a échangé à plusieurs reprises avec Marley. En 1991 et 2001, pour les précédents anniversaires de la mort du chanteur, sa maison de disques avait savamment su distiller quelques enregistrements inédits pour susciter un regain d'intérêt opportun. Cette fois-ci, avec le CD Live Forever, elle se contente d'officialiser la captation de son dernier concert, donné à Pittsburgh en septembre 1980, un album «pirate» commercialisé depuis longtemps, et qu'un Wailers affirme, avec certitude, ne pas être du tout l'ultime show... L'incendie qui a ravagé l'an dernier le studio construit au Ghana par Rita, la veuve de Bob, a détruit toutes les bandes analogiques, et réduit en cendres les espoirs de découvrir d'illusoires trésors cachés. Il faudra se faire une raison : même si sa musique garde un aspect intemporel, même si la pertinence de son combat se vérifie encore en 2011 et même si le reggae n'est pas en voie d'extinction, désormais, Marley se conjuguera au passé. B.L.