L'accréditation pour la première fois d'un journaliste algérien à Mawazine ne pouvait rester sans témoignage. Giga festival, festival XXL, festival King Size, face à Mawazine, la presse internationale est à court de superlatifs. Que dire nous concernant ? Si l'on jette un regard croisé entre Alger et Rabat, on s'apercevra que notre pays, sur ce plan, est vraiment isolé de la scène internationale. Une telle confrontation ne peut se solder, là aussi, que par un nouveau carton en faveur du Maroc. Nos amis nous ont tellement parlé de ce pays que ç'est devenu, pour nous, une destination de prédilection. Une vraie obsession. Un désir nommé Maroc. Un rêve enfin exaucé en ce joli mois de mai, en plein printemps apportant une fois encore une foisonnante moisson. A propos de récolte, à la descente de l'avion d'Air Algérie sur l'aéroport Mohamed V de Casablanca on a pu constater que les blés de la plaine de Benslimane étaient déjà fauchés. On en conclut très vite qu'ici il fait plus chaud qu'en Algérie. Notre perspicacité s'en trouvera très vite confirmée. A l'issue des formalités un pafiste nous lance avec le sourire un accueillant et chaleureux «Marhaba !» Ce qui dissipe aussitôt toutes les appréhensions que peut éprouver un ressortissant algérien dont les pérégrinations l'ont mené parfois à l'autre bout du monde sans qu'il ne connaisse jamais le Maroc limitrophe, un voisin si proche et qui paraît si lointain. Mais mieux vaut tard que jamais, n'est -ce pas ! Ou plutôt advienne que pourra ! Les relations tendues entre les deux pays ne sauraient, en aucune manière, entraver la circulation des personnes, un droit humain sacré et consacré. Et puis l'occasion était trop belle ! Après avoir écumé un certain nombre de festivals à travers le monde, il ne restait plus que ce fameux Mawazine presque inaccessible aux Algériens et ce, pour des raisons à éclaircir. Notre détermination ne pouvait que venir à bout des portes closes. Les Marocains semblent négliger le potentiel que représentent les milliers de visiteurs algériens qui auraient fait volontiers le déplacement car sevrés de bonne musique live et de grandes têtes d'affiche, des «légendes vivantes», comme disent les organisateurs marocains. Quoi qu'il en soit, le jeu valait vraiment la chandelle. Avec ses quelques 2,3 millions de personnes qui y participent chaque année, le festival Mawazine, créé il y a dix ans, selon la volonté du roi Mohammed VI, est l'une des plus grandes manifestations culturelles au monde. Giga festival, festival XXL, festival King Size, face à Mawazine, la presse internationale est assurément à court de superlatifs. L'enjeu est un évènement majeur à ne rater à aucun prix. Même sans prise en charge des organisateurs, l'accréditation pour la première fois d'un journaliste algérien à Mawazine ne pouvait rester sans suites, sans témoignages. A Mawazine, tous les concerts sont, pour ainsi dire, gratuits. L'objectif étant de familiariser la population marocaine, notamment celle de l'axe Salé-Rabat-Casa, toutes conditions sociales confondues, à différentes expressions musicales. Pour cette édition 2011, les organisateurs de Mawazine ont réussi à obtenir les droits de retransmission télévisée des concerts de la part de tous les artistes programmés. Une concession importante qui profite essentiellement aux deux principales chaînes marocaines 2M et Médi1 TV. Grâce à cette mesure, Mawazine a été suivi par des millions de téléspectateurs. De l'autre côté de la frontière (fermée), de nombreux mélomanes algériens étaient scotchés, chaque soir, devant leurs écrans pour suivre, en direct ou avec un léger différé, les concerts les plus importants. Certains n'en ont raté aucune miette en enregistrant les performances de leurs artistes préférés. Pourtant, cette dixième édition de Mawazine est intervenue dans un contexte particulier pour la région. Et le Maroc n'est pas en reste de ce que certains s'autorisent à qualifier de printemps arabe, une grande agitation s'il en reste. Ce festival n'aura donc pas échappé aux critiques tous azimuts. Le ministre marocain de la Culture a dû s'en expliquer lui-même devant la Chambre des représentants. Les contestataires du Mouvement du 20 février, qui descendent dans la rue tous les dimanches (en Algérie, c'est le samedi !) avaient lancé un appel au boycott sur Facebook qui n'aura eu, disons-le franchement, aucun écho significatif. En outre, malgré les appels à une annulation après l'attentat de Marrakech (perpétré trois semaines plus tôt et qui avait fait 18 morts), Mawazine a été maintenu par les autorités marocaines contre vents et marées. Comme on peut s'en douter ici, derrière cette contestation se cachent, bien évidemment, des obscurantistes qui veulent interdire toute expression artistique dans notre contrée. Les Algériens connaissent, hélas, cette triste rengaine, eux qui ont assisté, impuissants, dans les années 1990 à l'annulation d'un concert de Linda de Souza sous la pression des islamistes de l'ex-parti dissous. Les Marocains, eux, tiennent bon ! Il n'est sûrement pas question de reculer devant la bêtise humaine. Sur ce plan, les Algériens devraient savoir, eux mieux que quiconque, que l'art et la culture peuvent être de formidables moyens de résistance. Le Maroc veut en faire des instruments de promotion de valeurs universelles fondées sur la liberté, la tolérance, l'ouverture d'esprit, le dialogue entre les civilisations et le respect des cultures des autres. Pour preuve, la prestation très remarquée, l'année dernière, à Mawazine de Sir Elton John, l'un des homosexuels les plus célèbres au monde et non moins un immense artiste. Cette année, c'est au tour de Shakira, une vraie bombe s'il en est, qui viendra, par ses déhanchements, désamorcer d'autres engins, ô combien plus maléfiques et plus dévastateurs. Mawazine, qui s'adresse à tous les publics, mêle délibérément tous les goûts musicaux qu'on peut retrouver dans la nature. Il sera même question cette année d'harmonie divine. Il s'en trouvera, ainsi, un Cat Stevens sur le retour, Yusuf Islam venu psalmodier, en djellaba immaculée, quelques anachids. Bien sûr, le makhzen veillera au grain tout au long de la manifestation, toujours sur le qui-vive. Et pour cause ! Le pari n'était pas gagné d'avance. La sécurité a été ostensiblement renforcée tant les actions de protestation, plus que les attentats, étaient réellement redoutées sur le terrain. Heureusement, il n'en fut rien ! Tout s'est passé dans le calme et dans une ambiance de fête. Mieux encore, le public marocain a été très enthousiaste et chaque soir au rendez-vous pour partager des moments de détente et de découvertes culturelles. Dès lors, l'opération de charme était réussie. Avec Mawazine, le Maroc aspire, de manière résolue, à se mettre au diapason mondial. Et si l'on jette un regard croisé entre à Alger et Rabat on s'apercevra que notre pays est atrocement isolé de la scène internationale. L'Algérie est non seulement l'otage de l'islamisme ambiant mais aussi de son nationalisme ombrageux qui l'empêche, par exemple, de fêter, comme tout le monde, la musique le 21 juin, premier jour de l'été. Nul besoin d'ailleurs de nous demander pourquoi nos officiels sont si rétifs à l'idée d'institutionnaliser cette manifestation consacrée dans plus de 130 pays dans le monde... sauf chez nous ! Est-ce parce que c'est l'ancienne puissance, la France (encore elle) qui a pris, la première, l'initiative ? Lancée en 1982 par l'ancien ministre français de la Culture Jack Lang, la Fête de la musique est devenue, au fil des ans, une fête internationale célébrée sur les cinq continents. Elle existe aujourd'hui même en... Arabie saoudite ! C'est dire qu'on pourra alors nous opposer toutes les arguties qu'on voudra, rien ne saura convaincre le plus crédule de nos mélomanes quant à la morosité à laquelle on veut férocement l'habituer. Personne n'en est dupe tant l'absence en Algérie de vie nocturne et d'activités artistiques permanentes dénote singulièrement avec la vitalité et la soif de vivre des Algériens qui, eux, continuent à végéter à l'ombre de l'état d'urgence. Et pourtant, ne dit-on pas que la musique adoucit les mœurs ? Mais qui a dit cela ? Saint Augustin, pardi, un Algérien ! Mais c'était il y a très longtemps…