Abdelkader El Medjaoui fait partie de ces hommes que l'Histoire doit retenir en raison des profondes empreintes que son œuvre intellectuelle et humaniste aura laissé auprès de ses contemporains et légué aux générations futures. Ses nombreux disciples comme Mouloud Ben El Mouhoub, Ibrahim ben el hadj Mohamed Ettfeyeche et Hamdane Lounici ont pu édifier, grâce à son enseignement et à son engagement, les fondements de leurs propres réflexions et de ceux de leurs successeurs dont l'illustre Abdelhamid Benbadis, disciple de Hamdane Lounici, dans le domaine de la pensée arabo-musulmane et nationaliste algérienne. Il fait indiscutablement partie de la longue chaîne de savants, de théologiens et de patriotes qui ont grandement contribué à la préservation de la personnalité et de l'identité algérienne, voire maghrébine, à l'un des moments les plus sombres et les plus tragiques de l'histoire de l'Afrique du Nord et de l'Algérie en particulier. Qui est Cheikh Abdelkader El Medjaoui ? Abdelkader El-Medjaoui est un savant dont la stature et les multiples facettes lui auront permis d'être appelé de différentes façons, selon sa filiation, ses séjours, son œuvre, sa personnalité : - Abdelkader ben Abdellah El Medjaoui, en référence à sa plus proche ascendance, est la signature que l'on retrouve dans l'ensemble de ses écrits et appellations - Cheikh El Imam el Fakih, el mouderriss Abdelkader El Medjaoui, en rapport avec ses différentes fonctions - El aallama Essalih Abdelkader el Medjaoui el Idrissi, en rapport avec ses qualités pédagogiques, morales et réformistes et à son ascendance noble. - Abdelkader ben Abdallah El Medjaoui El Jaliili El Hassani est une signature que l'on retrouve dans certains de ses ouvrages. Le grand-père d'Abdelkader a longtemps enseigné à El Qaraouiyines. Il a contribué à la formation de nombreux savants comme Mohamed El Aloui, futur kadhi de Fès, et Cheikh Djafar El Kettani. Certains de ses anciens étudiants contribueront, par la suite, à la formation de son petit fils Abdelkader. Le père de Cheikh Abdelkader El Medjaoui, Abdallah, a exercé à Tlemcen en qualité de kadhi pendant environ vingt-cinq ans. Il y a enseigné pendant de nombreuses années et a contribué à la formation de nombreux penseurs et intellectuels qui ont rayonné sur la région. Après la reddition de l'émir Abdelkader en décembre 1847, il est contraint, comme de nombreux contemporains, à quitter la région avec sa famille. En effet, l'administration française, voyant bien que le droit musulman est l'un des principaux fondements de la vie des autochtones, commence très vite à en restreindre le champ d'application. Et c'est l'exil forcé. Il rejoint alors la ville de Fès dont la dynamique intellectuelle rayonne déjà depuis plusieurs siècles sur le monde musulman. Il enseigne à l'université El Quaraouiyine où le nom El Medjaoui est déjà connu. Il est, par la suite, nommé kadhi à Tanger où il décède après quelques années d'exercice. La mère d'Abdelkader est, elle aussi, issue d'une famille très influente dans la région, la famille Senoussi qui compte de nombreux érudits musulmans. Abdelkader El Medjaoui, trajectoire de vie Période tlemcénienne : enfance Abdelkader El-Medjaoui est né en 1848 à Tlemcen. C'est là qu'il fait ses premiers pas dans la vie. Et c'est, très jeune, qu'il apprend le Coran auprès de son père Abdallah et de son grand-père. Les premiers niveaux de l'instruction générale lui sont transmis par ses proches. Mais, encore enfant, il subit l'exil des siens et quitte l'Algérie en proie à d'interminables batailles et conquêtes menées par l'armée coloniale sur une population qui se voit, chaque jour, soumise à de nouvelles lois qui la dépossèdent de ses biens et de ses symboles et qui la chassent de ses terres ancestrales. Période marocaine : adolescence-apprentissage-études Abdelkader poursuit sa formation à Tanger puis à Tétouan. Lorsqu'il atteint le niveau requis, il se rend à El Quaraouiyine où il rencontre de nombreux savants, dont des disciples de son illustre grand-père Mohamed et qui deviennent ses maîtres, comme Cheikh Djafar El kettani, jusqu'à l'équivalent de la licence (idjaza). Le couronnement de sa formation s'effectue à La Mecque, lorsqu'il s'y rend pour le hadj à l'âge de vingt ans. Lors de son pèlerinage, il rencontre de nombreux érudits et foukaha comme le fameux Cheikh Ibrahim Serradj qu'il rencontre à Médine. Période constantinoise : enseignement et production intellectuelle Au terme de son pèlerinage, Abdelkader est de retour en Algérie en 1870. Il se voit contraint de s'installer à Constantine, qui est un bastion de la culture arabo-musulmane et de la résistance. Son maintien, à bonne distance, de sa ville natale Tlemcen est, selon certaines sources, une mesure disciplinaire imposée par l'administration française. Abdelkader El Medjaoui fait un constat amer : la population autochtone, menacée dans son arabité et son islamité, a grande peine à se maintenir tant sur le plan numérique que sur le plan culturel et identitaire. Des lois et des décrets «pleuvent» sur ces autochtones, écrits dans une langue qu'ils ne connaissent pas mais auxquels ils sont soumis pour qu'ils soient délestés de leurs biens matériels et immatériels. D'innombrables mosquées et salles d'instruction sont détruites pour laisser place à de nouveaux édifices et de nouvelles constructions coloniales et pour démanteler le réseau de structures qui servaient à l'enseignement et à la pratique de la religion. Les populations dites «indigènes», hormis quelques individus enclins à faciliter l'occupation française, ne demandent qu'à suivre les conseils et les enseignements éclairés à même de leur permettre de continuer d'exister. Abdelkader El Medjaoui s'inscrit dans cette forme de lutte et de résistance, non pas celle du sabre et du fusil mais plutôt celle de la plume et du verbe. Il trouve donc rapidement sa place dans la «Ville des beys» où il commence à enseigner dans de petites «écoles» de quartier. Très vite, son auditoire prend de l'importance et sa réputation en fait un homme écouté et apprécié. La confiance des Constantinois lui est vite acquise. Mais les Algériens musulmans, colonisés déjà depuis plusieurs décennies, sombrent dans l'ignorance et la misère. La langue française, qui est la langue des nouvelles lois qui régissent leurs vies, leur reste totalement inconnue. Ce sont deux mondes parallèles qui coexistent ; l'un celui des autochtones arabes et berbères musulmans et l'autre celui des colonisateurs français mais aussi maltais, espagnoles, grecs… chrétiens qui veulent les déposséder de leurs biens, les remplacer, les phagocyter pour latiniser le pays. Abdelkader El Medjaoui, doté d'une formation de grande qualité et d'un sens inné de la pédagogie, décide de se mettre au service de ses contemporains opprimés. Son combat va durer près de quarante cinq ans. Les autorités françaises perçoivent vite son subtil combat. Ils mettent en œuvre les moyens pour contrôler et freiner son action et ses enseignements. Il lui est alors proposé d'enseigner, conformément à des programmes officiels, à la medersa Sidi El Ketani de Constantine dès 1873. Il est également désigné imam de la mosquée Sidi Lakhdar — celle-là même où, enfant, Abdelhamid Benbadis venait apprendre les préceptes de l'islam — avant d'être nommé à la mosquée Djamaâ Lekbir où il enseigne et assure l'imama jusqu'en 1898. En 1877, il publie, en Egypte, un ouvrage intitulé «Irchaad el moutaâallimine». Ce livret fait le constat douloureux de l'effondrement du niveau d'instruction des autochtones. Abdelkader, au travers de quelques métaphores, tente de bousculer les consciences et de mettre en exergue tout l'intérêt de l'instruction et de la connaissance qu'il voit comme étant des éléments fondamentaux dans la préservation de la dignité humaine. En quelques pages, Cheikh Abdelkader El Medjaoui décrit les principaux éléments de la connaissance de base que doit acquérir chaque être humain. Ce livret crée une véritable polémique dans la ville de Constantine et une véritable campagne de dénigrement et de violences est menée contre lui. Mais le Cheikh Abdelkader El Medjaoui poursuit sa mission d'intellectuel musulman et continue d'écrire et de publier en dépit des difficultés qu'il rencontre régulièrement. Le 10 septembre 1886, un nouveau décret est signé par Jules Grévy, alors président de la République, qui stipule que les musulmans résidant en Algérie, donc non admis à la jouissance des droits des citoyens français seront, régis pour les crimes, les délits et les contraventions par la loi française. Ce même décret prévoit, par ailleurs, de soumettre la création et la suppression des mahkamas ainsi que la composition et la nomination de leurs personnels aux prévisions du garde des Sceaux. Même les programmes des examens sont fixés par arrêté du garde des Sceaux. Encore un coup dur pour le droit musulman et son champ d'application. Encore un coup dur pour les autochtones dont toute action d'autodéfense peut être assimilée à un délit grave pouvant mener à des sanctions extrêmement sévères.La réaction de notre honorable aïeul ne se fait pas attendre. Avec l'aide de quelques proches collaborateurs, Abdelkader El Medjaoui parvient à faire apposer près de 2.000 signatures sur une pétition qui s'oppose énergiquement à ce décret. Par cette opération, sa popularité devient inquiétante aux yeux de l'administration française qui le surveille de plus près. Pour cela, bien qu'il assure officiellement des enseignements à la medersa de Constantine conformément à des programmes officiels contrôlés par l'administration française, il continue, cependant, de militer, pour dispenser son enseignement, en échappant au contrôle de l'occupant et en veillant à transmettre des messages de résistance, de lutte, de préservation de la dignité humaine et de refus catégorique de la soumission à la colonisation.